La fille sur la civière

par Michèle Anne Roncières

CHAPITRE XVII


Après bien des discussions et plusieurs jours, on finit par accepter de me laisser sortir. Le plus difficile fut finalement de trouver un costume masculin, qui se révéla être une salopette empruntée à un local de la RATP, avec une casquette à son sigle, idéale pour dissimuler mes cheveux. Une paire de lunettes noires complétait utilement le déguisement ! Ce qui me gênait le plus était les grosses chaussures de travail qui me donnaient l’impression d’avoir trop tôt défait mes skis...

Le grand jour étant arrivé, Emma se présenta au matin dans ma chambre, alors que je finissais juste de revêtir ma tenue de travail, et me tendit une enveloppe.

-"Qu’est-ce ?" demandai-je en relevant ma casquette.

-"Un petit cadeau de René-Le-Déclic... Tu pourras le remercier chaleureusement : Il a travaillé jour et nuit pour toi, ces derniers temps...

J’ouvris l’enveloppe et découvris à l’intérieur une carte d’identité et un permis de conduire au nom de Michèle Hahn.

-"Michèle Hahn", fis-je, songeuse... Une héritière du Pétrole ?

Emma fut assez bienveillante pour faire mine de n’avoir pas entendu cet enfantillage et poursuivit :

-"On va te montrer le chemin qui te fera sortir par la sortie des catacombes, Place Denfert-Rochereau : tu te mêleras aux touristes revenant de visite."

-"Et pour rentrer, je fais comment ?"

-"Ah pour rentrer... Ecoute-moi bien..." [Désolée : Je ne peux évidemment pas vous dévoiler le secret de l’accès à la partie Agorienne des catacombes parisiennes...]

-"Très bien !" fis-je alors. "Je pars quand ?"

-"Mais quand tu veux ! Tu es libre !"

Elle se retira et laissa la place à une fille que je ne connaissais pas et qui se nommait Ariane. Celle-ci m’expliqua que ce n’était pas son vrai prénom, mais qu’on lui avait attribué celui-ci parce que c’était elle qui connaissait le mieux le labyrinthe des catacombes et qu’en tant que telle on lui avait confié la charge de guider les néophytes à travers ce dernier. C’était donc elle qui allait me guider jusqu’à la sortie, dans une expédition que nous commençâmes sur le champ.

Ariane n’était pas bavarde : la plupart du temps elle se taisait (Taisait => Thésée... oui je sais, mais ce calembour est là pour vous faire passer le temps, étant donné que Je ne peux évidemment pas vous dévoiler le secret du cheminement dans la partie Agorienne des catacombes parisiennes...]).

Après une marche d’environ ne demi-heure, pendant laquelle nous empruntâmes deux ou trois passages que l’on pourrait qualifier de secrets, nous débouchâmes dans une salle que venait juste de quitter un groupe de touristes, que je m’empressai de rattraper, laissant Ariane derrière moi après lui avoir fait un petit salut de la main.

Personne ne fit spécialement attention à moi, même pas le guide qui me salua négligeamment comme si le passage d’agents de la RATP était habituel, chose d’ailleurs très vraisemblable. Il gratifia la petite troupe de quelques mots aimables et nous sortîmes tous au grand air, dont je n’avais plus l’habitude et qui me fit tousser, non parce qu’il était frais, mais en raison de toute la pollution qu’il transportait et à laquelle je n’étais plus accoutumée. Il avait d’ailleurs une odeur bizzarre et me paraissait également si sec que je craignais qu’il ne me blessât les poumons.

Il me restait beaucoup de chemin à faire jusqu’à la banlieue où m’attendait (du moins l’espérais-je) mon petit studio ; mais grâce au Réseau Express Régional, dans lequel je payai ma place, malgré ma tenue, pour ne pas attirer l’attention, ce qui provoqua tout l’inverse, je me retrouvai une demi-heure après dans une des boucles de la Marne de la banlieue Est, dans une gare que je connaissais bien, dans un quartier où rien ne semblait avoir changé. Et après une petite marche, qui me fit passer successivement devant le cinéma du Samedi Soir, mon boulanger et mon coiffeur, je me retrouvai le coeur battant sur le boulevard, devant mon immeuble.

Mauvais présage : La boîte aux lettres qui arborait mon nom jadis ne le portait plus; elle était d’ailleurs grande ouverte et sa tôle tordue, comme si des gamins avaient fait exploser un pétard à l’intérieur. J’entrai dans le hall et gravis le plus discrètement possible les marches de l’escalier pour arriver au dernier étage.

Je n’avais pas pensé que je n’avais plus les clefs de mon appartement ; en vérité, elles auraient été totalement inutiles, car cette porte non plus ne fermait plus, je le vis à l’intervalle qu’elle laissait baîller, et je n’eus qu’à la pousser pour pénétrer dans mon ancien chez-moi.

Tout était parti. Mes quelques meubles, mes appareils, mes affaires, mes souvenirs... tout avait disparu. Je me souvenais avoir difficilement transporté tout cela de chez mes parents jusqu’ici pour mon premier poste dans la région parisienne : le volume de tout ce que je considérais alors comme une mémoire indispensable avait alors nécessité un fourgon entier. Les cambrioleurs, ou quels malfrats qu’ils fussent, avaient réussi à tout emporter. J’avais déjà perdu mon corps, et voilà que ma vie s’était évanouie à son tour...

Je regardai machinalement ma silhouette de travailleuse dans la grande glace au-dessus de la cheminée... Non, ils n’avaient peut-être pas fait main basse sur tout... Je m’accroupis à moitié dans la cheminée que je savais désaffectée dès mon emménagement, et passai la main haut dans le conduit... Oui, c’était encore là ! J’en retirai avec émotion le paquet que j’avais coutume d’y mettre par précaution pour que la femme de ménage qui venait chez moi une fois par semaine ne découvre pas mon secret.

Le contenu en était simple : une robe noire, des sous-vêtements et des chaussures, quelques bijoux, une perruque, un sac. La tentation était trop forte et je courus me changer dans la salle de bains. Quand j’en ressortis, avec dans le sac la perruque dont je n'avais plus besoin, je fus accueillie par une exclamation :

-"Ben ! Il me semblait bien avoir entendu quelqu’un monter ! Qui êtes-vous ? Que faites-vous là ?"

Faillant à toutes les traditions, la concierge n’était plus dans l’escalier : elle était montée à son tour !

-"Bonjour Madame Gomez !" fis-je sans réfléchir.

-"Comment connaissez-vous mon nom? Mais qui êtes-vous ?"

-"Ah bien... C’est que Pierre m’a tellement parlé de vous... Heu, je suis son amie ..."

Encore méfiante, Madame Gomez objecta :

-"Je ne savais pas qu’il avait une amie... On ne le voyait jamais avec personne... Du moins..."

-"Eh bien si, enfin, j’étais...Vous savez ce qui lui est arrivé ?", demandai-je astucieusement.

-"Oui, j’ai appris...", s’adoucit la mégère.

-"Quel malheur... Un si gentil garçon, n’est-ce pas ?" (Après tout, si on ne se le sert pas soi-même avec assez de verve, comme disait Cyrano...)

-"Oui enfin, c’était pas le pire... ", consentit-elle à reconnaître.

-"Je ne suis jamais venue chez lui,vous savez... Alors j’ai voulu voir où il avait vécu, vous comprenez ?"

-"Bien sûr ma petite ! Mais il n’y a pas grand-chose à voir : deux jours après l’accident, ils sont venus et ils ont tout emporté !"

-"Mais qui ?"demandai-je."Et où ?"

-"Ah ça... mystère... Tout ce que je peux dire c’est que c’étaient de types costauds en blouses blanches... d’ailleurs, c’étaient des infirmiers, oui, c’est ce qu’ils m’ont dit : que le pauvre Monsieur avait une maladie si contagieuse qu’il fallait prendre tout ce qu’il y avait chez lui et le détruire dans un centre spécial dépendant de leur hôpital... Vous comprenez que j’aie laissé faire, n’est-ce pas ? On a pas besoin d’attraper des trucs... N’empêche que c’étaient de sacrées brutes... vous avez vu comme ils ont arrangé la porte ?"

-"Des infirmiers... tiens tiens..."

-"Allez venez, ne restez pas là, Je vais essayer de faire tenir fermée cette fichue porte..."

J’obtempérai volontiers, laissant salopette, casquette et chaussures de chantier dans la salle de bains.

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