La fille sur la civière

par Michèle Anne Roncières

CHAPITRE XI


-"Quoi ???" fis-je affolée."Tu es sûre ?"

-"Bien sûr que je suis sûre ! C'est écrit là ! En toutes lettres ! Enfin, plutôt en tous chiffres !"

-"Mais il faut faire quelque chose !"

-"Evidemment ! N'attendons pas une minute de plus et commandons les faire-parts !"

-"Emma ! Cesse de plaisanter, s'il te plaît !"

-"Bon, d'accord, mais laisse-moi te dire que tu ne te rends pas compte de la chance que tu as ! Peu de personnes connaissent la date exacte de leur décès !"

Je fusillai Emma du regard.

-"Allez, ne t'en fais pas! On ne va évidemment pas te laisser assassiner par la bande de méchants qui est à tes trousses !"

-"J'aime mieux ça ! Sinon, c'était à désespérer d'avoir vécu en femme si peu de temps!"

Emma était redevenue sérieuse :

-"On a beaucoup moins de temps que prévu, certes, mais on va s'en tirer, rassure-toi. En attendant, sortons d'ici."

Elle mit fin à sa session sur la machine et alla déverrouiller la porte, qu'elle entrouvrit doucement pour s'assurer que le couloir était vide.

-"Allez viens !"me dit-elle en accompagnant son invitation d'un signe de la main, la tête encore de l'autre côté." Ne traînons pas ici davantage !"

J'obéis, le coeur encore battant de la révélation qui venait de m'être faite. Nous partîmes aussitôt dans la direction contraire à celle que j'attendais.

-"Mais ?" chuchotai-je," On ne retourne pas à l'entrée ?"

-"Non ! Je t'ai dit que ce couloir donnait sur une branche qui menait à la sortie : profitons de ce que nous sommes là pour que tu voies comment t'y rendre !"

Au bout de quelques minutes, Emma s'arrêta.

-"Nous sommes dans un secteur dangereux, tout près de la morgue, il peut y avoir du monde: Enlevons nos chaussures pour ne pas faire de bruit !"

Je m'exécutai bien volontiers, songeant que Sonia les nommait" ballerines", et nous prîmes ensuite à droite, dans un couloir secondaire que je n'avais pas remarqué.

-"Comme tu vois," me dit encore Emma," ce passage est facile à rater ; tu devras y prendre garde !"

Ces mots m'alarmèrent quand je réalisai ce qu'ils impliquaient , et je m'arrêtai pour demander :

-"Tu veux dire... que tu ne viendras pas avec moi ?"

-"Jacqueline," répondit-elle avec toute la douceur dont elle était parfois capable," Il y a dans la vie des choses qu'il faut faire seule... mais on va t'y préparer, n'aie crainte."

J'aurais bien voulu avoir toute la confiance dont elle me croyait capable ! Je repris la marche le coeur serré ; le couloir n'était pas seulement difficile à trouver : il était aussi plus étroit, moins haut, plus sinueux et encore plus mal éclairé, un grand nombre de lampes étant mortes. Plus d'une fois je butai sur un sol inégal dont je n'avais pas vu les reliefs.

-"On peut remettre les chaussures", déclara Emma sur le ton de la confidence: Nous n'avons rien à craindre ici ; comme tu devines, personne n'y passe jamais."

C'était au moins une information rassurante et je me rechaussai avec soulagement ! Ce qui l'était moins, c'était la longueur du trajet, qui semblait n'en pas devoir finir. Enfin, après ce pénible cheminement qui ne dura peut-être qu'un quart d'heure mais me parut au moins le double, nous arrivâmes à une vieille grille rouillée aux forts barreaux, qui interdisait le passage. Je me retournai vers Emma, l'air dépité, mais celle-ci n'eut qu'à la pousser en souriant pour la faire pivoter dans un long grincement qui déchira nos oreilles.

-"On se croirait dans" Les Misérables" !", remarquai-je, faisant allusion à la grille.

-"Heureusement que tu n'auras personne à porter sur ton dos !", plaisanta Emma.

Elle enchaîna aussitôt sur quelques explications.

-"Tu devras continuer par là pendant environ cinq cents mètres et tu déboucheras dans une espèce de cave pleine de vieux matériel ferroviaire au rebut : c'est un dépôt pratiquement désaffecté de la RATP. Tu n'auras aucune peine à gagner les couloirs publics du métro à partir de là..."

Je hochai la tête :

-"Vous avez bien repéré tout ça ?" demandai-je

-"Non... Pourquoi l'aurions-nous fait ? Mais Corinne est une ancienne conductrice de métro et avant cela elle travaillait dans une équipe de poseurs de rails : les dédales du métro n'ont pas de secret pour eux et elle connaissait l'endroit. Elle nous l'a décrit très soigneusement."

J'aurais préféré de plus grandes assurances...

-"Espérons qu'elle ne s'est pas trompée...", fis-je simplement.

-"Ne t'en fais pas, ça va aller !", me rassura Emma en me mettant une main sur l'épaule, ce qui était sans doute le geste le plus affectueux dont elle était capable. Et nous prîmes le chemin du retour.

Celui-ci aurait dû être sans histoires ; et ce fut effectivement le cas pour tout le temps où nous cheminâmes dans le couloir secondaire où, presque arrivées au débouché, nous avions de nouveau enlevé nos chaussures. Nous avions à peine fait cent ou deux cent mètres en direction de la porte par laquelle nous étions entrées lorsqu'Emma se raidit et posa un doigt sur mes lèvres pour me dire de garder le silence. Ses oreilles exercées avaient capté un bruit de nature à l'inquiéter, que je n'entendis moi-même qu'un moment après : c'était un bourdonnement confus que j'identifiai comme une discussion lointaine, rythmée par des bruits de pas.

Il nous fallut encore quelques dizaines de secondes pour déterminer d'où ces bruits provenaient, mais au bout de celles-ci le doute ne fut plus permis : une équipe de l'hôpital se trouvait devant nous et venait à notre rencontre ! Inutile de dire que nous fûmes promptes à rebrousser chemin !

Je pensai que nous allions reprendre le couloir secondaire et nous y enfoncer le plus possible : c'eût été à mon avis la conduite la plus raisonnable. Mais, à peine arrivées au léger coude qui précédait l'entrée, nous nous rejetâmes vivement en arrière, car nous vîmes précisément deux hommes en blanc s'engouffrer dans le passage que nous avions quitté quelques minutes plus tôt.

Nous n'avions plus d'autre choix que de continuer dans le couloir principal en priant de n'y rencontrer personne; et c'est ce que nous fîmes en effet, jusqu'à notre arrivée dans des locaux parfaitement aménagés qui empestaient le désinfectant.

La priorité était de trouver une cachette pour échapper à la vue de l'équipe que nous avions sur les talons... et l'inventaire en était maigre : bien des salles étaient fermées à clef et Emma n'avait pas le temps de vaincre leurs serrures.

Michèle Anne Roncières, auteur et propriétaire de ce texte, s'en réserve, sauf accord express de sa part, tous les droits pour tous les pays et notamment en ce qui concerne les modifications ou la réécriture, totale ou partielle, ainsi que pour toutes les formes de diffusion et d'exploitation

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