Nos soeur indiennes d'autrefois

(Auteur inconnu)
Traduction de Michèle-Anne Roncières

Vous trouverez à l'URL suivante: http://www.unites.uqam.ca/dsexo/Revue/Vol2no2/2102a8.html un article d'ethnologie s'intitulant "Des Trangenders. Le brouillage des identités sur le marché de la population", écrit par Lilian MATHIEU et Daniel WELZER-LANG.

Cet article est intéressant à deux titres principaux: D'abord il montre à quel point les sciences sociales sont, contrairement à leur éthique, déformées par les idées reçues, puisque les auteurs appellent ici "Transgenders", dans le but de créer "une nouvelle catégorie heuristique" sont, je cite, "des hommes se prostituant en femme, quel que soit leur degré de transformation physique et/ou vestimentaire ou leur catégorie de présentation de soi. Ce qui les définit est un certain type de pratique sociale, celle qui consiste à jouer sur les identités de genre et à manipuler les stéréotypes sexuels.". Il semblerait que l'idée ne soit absolument pas venue à ces deux auteurs que les "Transgenders" pouvaient exister en dehors de la prostitution ! De même, la conclusion de l'étude est que le but des "Transgenders" est exclusivement de conforter le monde conservateur dans l'application des stéréotypes sexuels et donc naturellement l'exploitation des femmes ! Voilà une conclusion bien conformiste, il me semble, et qui ne paraît pas de nature à relever l'image des sciences sociales, empêtrées dans les lieux communs, ici féministes. De mon temps, quand je faisais un peu de sociologie, la première chose qu'on apprenait, c'était justement à faire table rase du bon sens, des a-priori, etc, et de se concentrer sur les phénomènes, pour les décrire et, si possible, les expliquer, et non pas pour les interpréter à la lumière de l'idéologie dominante ! Enfin...

Mais cet article est aussi intéressant en cela qu'il rappelle certaines pratiques Amérindiennes du travestissement chez ceux qu'on appelle les "berdaches": je cite ci-après les passages de l'article s'y rapportant. Les ouvrages auxquels il est fait référence dans ces passages sont:

  • Désy, P. (1978). "L'homme-femme"
  • Fulton, R. ; Anderson, S. W. (1992). "The Amerindian " Man-Woman " : Gender, Liminality, and Cultural Continuity"
"Lorsque les premiers colons et observateurs européens entrèrent en contact avec certaines sociétés indiennes, ils furent fortement impressionnés par la présence en leur sein d'individus ayant adopté les vêtements, les pratiques et les statuts réservés aux femmes, malgré leur sexe biologique masculin. Ils les désignèrent par le nom de "berdaches", un mot d'ancien français à connotation injurieuse désignant les homosexuels, et terme aujourd'hui entré dans le vocabulaire anthropologique.

Ce qui a sans doute le plus choqué les Occidentaux est que, loin d'être considéré, comme les homosexuels en Europe à la même époque, comme un marginal ou un déviant, l'Indien qui choisissait ainsi de changer de sexe social détenait une position importante et reconnue dans sa propre culture, position souvent légitimée par des mythes. Il ne transgressait en aucune façon les règles sociales. Désy (1978) affirme que "Le berdache constitue un support irremplaçable d'un noeud de fonctions sociales et culturelles essentielles : fonctions sacrées, religieuses, thérapeutiques, rituelles, guerrières, politiques, économiques. Parce qu'il est au carrefour de toutes ces instances, comme tel, le berdache s'inscrit dans la totalité du système (p. 76)."

Loin d'être marginalisés ou stigmatisés par leur propre société, les berdaches étaient donc au contraire appréciés et recherchés, voire, quand leur statut s'accompagnait de connaissances et de pouvoirs magiques, craints. Dans ces sociétés où la division des rôles entre les sexes était très fortement marquée, ils connaissaient à la fois le monde des hommes et le monde des femmes. Cette "double compétence sociale", si l'on peut dire, était à la fois la condition et la garantie de leur pouvoir et de leur importance au sein du groupe social. Le cas des nadle, berdaches navajo, s'avère on ne peut plus explicite sur ce point : "Chez les Navajos, le nadle sait tout puisqu'il est à la fois homme et femme. C'est donc un signe de bon augure d'en avoir un chez soi ; il est d'ailleurs le favori de la famille. Plus tard, il est destiné à en être le chef. Il a droit de regard sur la propriété, il dirige les travaux des champs. Lors des cérémonies c'est lui qui prépare la nourriture. De plus, il tricote, tisse, tanne le cuir et fabrique les mocassins. C'est un excellent potier, un très bon vannier. Il garde aussi les moutons. Il est recherché comme accoucheur, il connaît les chants pour guérir la folie résultant de l'inceste (ibid., p. 75)."

D'autres témoignages de chroniqueurs ou d'ethnographes montrent que le berdache est considéré comme plus efficace et plus compétent dans les tâches féminines que les femmes elles-mêmes : "[le berdache] apparaît souvent […] comme un surhomme: plus fort, plus musclé, plus grand, plus prospère, plus intelligent (" génial "), plus généreux, plus doué (art et politique)" (ibid., p. 91)."

Femmes sociales, les berdaches se mariaient ou avaient des relations sexuelles avec des hommes qui, eux, n'étaient pas berdaches, donc qui étaient du même sexe anatomique qu'eux, mais de genre (sexe social) opposé. Les berdaches hidatsa, par exemple, recherchaient la compagnie d'hommes plus âgés avec lesquels ils partageaient leur vie lorsque ceux-ci s'entendaient mal avec leur femme. Le couple nouvellement créé vivait dans deux habitations proches l'une de l'autre. Considérer les berdaches comme relevant d'une forme d'"homosexualité institutionnalisée " serait cependant une erreur, car tous les Amérindiens ayant des pratiques homosexuelles ne changeaient pas d'identité de genre. Ce qui définit les berdaches selon Fulton et Anderson (1992) – et là réside le principal point commun avec les transgenders – est leur aptitude à manipuler les identités sociales de sexe, leur double compétence sociale, à la fois masculine et féminine, issue de leur double socialisation. C'est pour cette raison que les sociétés indiennes leur accordaient une place si importante : spécialistes du franchissement des frontières symboliques entre les genres, ils étaient particulièrement qualifiés pour les fonctions religieuses à la frontière du monde des hommes et de celui des esprits, de celui des vivants et de celui des morts. "

NDLR: On peut également ajouter qu'à Tahiti, le MÊME phénomène a aussi existé. Le "transgender" tahitien était aussi considéré comme un cadeau pour sa communauté. On disait de plus qu'il avait des pouvoirs particuliers que lui conferrait son état d'homme-femme. (MartineRu)

Retour