Hommes prisonniers dans des corps d'Hommes: Introduction au concept d'Autogynéphilie

par Anne Lawrence, M.D.
Traduction de Michèle-Anne Roncières (Autorisée par l'auteur)

"J'en suis venue à croire de plus en plus que ce qui est le plus important pour moi doit être dit, exprimé et partagé, même au risque de choquer ou d'être mal comprise. Mon silence ne m'a pas protégée. Votre silence ne vous protégera pas." -- Audre Lorde

Les Transsexuels Homme vers Femme sont couramment définis comme "des femmes prisonnières dans des corps d'hommes." Et il est indubitable que ceci est une description appropriée à de nombreux transsexuels. Mais il existe aussi parmi nous des transsexuels Homme vers Femme à qui cette description populaire ne s'applique pas de façon aussi évidente. Beaucoup de nous effectuent leur transition dans leur trentaine, quarantaine, ou même plus tard, après avoir apparemment vécu des vies pleines de réussite en tant qu'hommes. Souvent nous n'étions pas des enfants spécialement féminines, et certaines d'entre nous ne le sont pas non plus spécialement après la transition. Beaucoup d'entre nous ont été mariées, ou, parfois, le sont encore, à des femmes; nous avons souvent été des pères. Un grand nombre d'entre nous s'identifie comme lesbiennes ou comme bisexuelles après la réassignation. Beaucoup d'entre nous ont dans le passé connu l'excitation sexuelle conjointe au travestissement. Mais il n'y a pas de doute que nous pouvons souffrir d'une profonde dysphorie de genre, et cela pas moins que nos soeurs transsexuelles plus manifestement féminines. Et nous recherchons la chirurgie de réassignation de sexe très intensément aussi.

Y a t'il façon plus juste de définir celles de nous qui savions être anatomiquement mâles, qui n'étions pas manifestement féminines et avions quelquefois un gros effort à accomplir pour le paraître, et qui désirions pourtant profondément être des femmes? J'ai parfois dit en plaisantant à demi que nous étions des "hommes prisonniers dans des corps d'hommes." Je n'utilise pas cette expression de façon désobligeante. Beaucoup de mes plus proches amies ont été dans la situation que j'ai décrite; et à d'autres égards, c'est mon cas aussi. (Je sais également que des personnes qui combattent le tableau ci-dessus nieront avec énergie qu'elles ont jamais été "réellement" des hommes, et je ne veux pas contester leur propre auto-définition.) Alors que cela demande un courage énorme à chacune d'effectuer une transition, cela semble être spécialement vrai pour celle de nous dont l'aspect peut ne pas être "naturellement" féminin, et dont les années de vie sous les privilèges mâles leur font souvent mesurer ce qu'elles ont à perdre.

Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi les mâles biologiques qui ont été très féminins depuis l'enfance, et qui sont sexuellement attirés par les hommes désirent une chirurgie de réassignation sexuelle. Il est plus difficile de comprendre pourquoi des hommes qui sont attirés par des femmes, qui ont connu des réussites en tant qu'hommes, et qui ne paraissent pas notablement féminins, la désirent aussi. Quelle force est suffisamment puissante pour nous faire émerger et prendre notre place au soleil; pour nous faire risquer la séparation d'avec nos familles, la perte de nos emplois, et le rejet de nos amis?

Je ne connais qu'une seule force aussi puissante. Pour la voir à l'oeuvre -- et sa capacité à faire se lancer à l'aventure les âmes prudentes -- pas besoin de regarder plus loin que l'actuel Président des Etats-Unis. La force en question est concçue par la Nature pour être terriblement efficace, parce qu'il est nécessaire d'assurer la survie de notre espèce. Cette force est, bien évidemment, le désir sexuel.

Naturellement cela heurte en plein la doctrine conventionnelle qui affirme que la transsexualité n'a rien à voir avec le désir sexuel. Chacune sait cela, que si l'orientation sexuelle ou la "préférence affective"ont à voir avec le sexe, la transsexualité est une affaire de genre. Nous, transsexuelles, effectuons des transitions parce que nous sommes transgenres, parce que nous recherchons désespérément à vivre selon le rôle de genre opposé. En fait, il n'est même pas politiquement correct de parler de "chirurgie de réassignation sexuelle"; le terme politiquement correct pour cela est "chirurgie de réassignation de genre" ou même "chirurgie de confirmation de genre." Tout cela pour bien marquer -- en accord avec la Théorie -- que la quête du rôle de genre recherché est fondamentale; et que la chirurgie de réassignation sexuelle n'est pas une fin en elle-même, mais seulement une confirmation de notre transition de genre.

Malheureusement, il existe certains faits troublants qui poussent certaines personnes à douter de la doctrine conventionnelle. Quelques-unes sont des praticiens qui travaillent avec des transsexuelles, et qui trouvent que la doctrine conventionnelle ne parvient à pas à expliquer tout ce qu'ils observent. Et un petit nombre de ces trouble-fêtes sont eux-mêmes des transsexuelles-- transsexuelles inhabituellement candides, qui ne craignent pas de dire que le désir sexuel est une motivation significative de leur transition. Pour comprendre où ces personnes veulent en venir, il faut se familiariser avec un mot de sept syllabes dérivé du grec: "autogynéphilie."

Le terme d'autogynéphilie a été forgé en 1989 par Ray Blanchard, un psychologue clinique du Clarke Institute of Psychiatry à Toronto. Il définit l'autogynéphilie comme "la propension à être sexuellement attirée par la pensée de l'image de soi-même comme femme." Dans une remarquable série d'articles publiés entre 1985 et 1993, (1) Blanchard analysa le rôle de l'auto-gynéphilie dans la vie érotique de centaines de patients mâles dysphoriques de genre.

Blanchard émit l'hypothèse qu'il existe deux types de mâles dysphoriques de genres qui sont fondamentalement différents: ceux qui sont exclusivement ou quasiment exclusivement attirés par les hommes, c'est à dire ceux qui sont androphiles ; et tous les autres qui, en fin de compte, sont principalement attirés par l'idée d'être une femme, c'est à dire qui sont autogynéphiles.

Blanchard étudia plus de 200 sujets mâles qui se présentèrent pour une évaluation au Clarke Institute, en disant qu'ils se sentaient femmes (ou qu'ils désiraient l'être). Il découvrit que les mâles dysphoriques de genre qui étaient principalement attirés par les hommes -- ceux qu'il appela dysphoriques de genre androphiles ou homosexuels -- se présentèrent pour l'évaluation initiale à un âge relativement jeune. (Notez que le terme "homosexuel" ici se réfère à l'attirance pour quelqu'un du même sexe biologique. C'est l'usage conventionnel dans la littérature psychatrique. C'est également par convention que cet usage ne disparaît pas après la chirurgie de réassignation sexuelle: une transexuelle Homme vers Femme opérée qui est attirée par les hommes est toujours appelée un "homosexuel"). Les mâles dysphoriques de genre homosexuels rapportèrent tous avoir été très féminins dans leur enfance. Seulement 15% d'entre eux ne signalèrent aucune histoire d'excitation sexuelle liée au tranvestissement. Et ils n'étaient en général pas intéressés par la simple fantasie d'être des femmes. Ce qui les intéressait principalement était les hommes -- et spécialement les corps d'hommes.

L'autre groupe de mâles dysphoriques de genre était plus hétérogène, et comprenait: ceux principalement attirés par les femmes (hétérosexuels ou gynéphiles ); ceux attirés par les femmes aussi bien que par les hommes (bisexuels); et ceux qui n'éprouvaient qu'une très faible attirance envers les autres personnes de l'un ou l'autre sexe (anallophiles, "non attirés par les autres personnes"). Prises en groupe, ces personnes étaient dites présenter un type de dysphorie de genre non-homosexuel. Blanchard releva que les mâles de ce groupe candidats à l'évaluation initiale étaient d'un âge plus élevé. Ils rapportèrent une enfance moins féminine, et en fait apparurent souvent avoir été des enfants notablement masculins. Environ 75% d'entre eux admirent une excitation sexuelle liée au travestissement. Et, le plus significatif pour la Théorie de Blanchard, ils étaient toujours très intensément attirés par des fantaisies autogynéphiles -- par la simple idée d'être une femme. Les études suivantes utilisant la plethysmographie pénienne révéla que la plus grande partie de ceux qui avaient nié une excitation lors du travestissement la ressentaient à l'audition de scènes de travestissement. (2)

L'autogynéphilie peut être vue comme un type de paraphilie, bien que Blanchard a été sans équivoque possible parfois réticent à dire ceci, pour des raisons que j'expose plus loin. La paraphilie est définie dans le DSM-IV comme:

"fantaisies d'excitation sexuelle récurrente, besoins ou comportements sexuels impliquant généralement 1) des objets non-humains, 2) la souffrance ou l'humiliation de soi-même ou d'un partenaire, ou 3) des enfants ou autre personne non consentante." (3)

La supposition implicite est ici que la sexualité non-paraphilique, "normale",implique principalement une attirance envers d'autres personnes. Par conséquent, l'attirance qui est principalement tournée vers un aspect de soi-même ou du comportement de quelqu'un, réel ou fantasmatique, dans lequel les autres peuvent être présents mais pour lequel ils sont essentiellement superflus, est en principe équivalent à l'excitation impliquant un "objet non-humain."

Ce qui rend les choses compliquées et que l'autogynéphilie parasite l'attraction envers les autres personnes. C'est pourquoi l'on peut dire de certaines transsexuelles qu'elles sont autogynéphiles, et en même temps les ranger dans la catégorie des hétérosexuels, bisexuels, ou anallophiles. (Si l'autogynéphilie interdisait complètement l'attirance envers les autres personnes, toutes les personnes autogynéphiles seraient anallophiles.) Mais l'excitation autogynéphile semble souvent être en compétition avec l'attirance envers les autres personnes. Par exemple, les personnes autogynéphiles hétérosexuelles ou bisexuelles racontent souvent que lorsqu'elles s'impliquent pour la première fois avec un nouveau partenaire sexuel, leurs fantaisies autogynéphiles tendent à s'affaiblir et qu'elles se concentrent plus sur leur partenaire. Mais au fur et à mesure que la relation se déroule et que la nouveauté du partenaire s'évanouit, elles retournent le plus souvent à leurs fantaisies autogynéphiles pour ce qui est de l'excitation. (Peut-être que pour les mâles biologiques, la nouveauté est un facteur important parmi ceux permettant de déterminer à laquelle des sources d'excitation ils doivent prêter attention.)

Une autre observation commune faite par les personnes autogynéphiles est que, alors qu'elles aprécient de faire l'amour avec un partenaire, il existe parfois des pratiques dans lesquelles ce partenaire est quasiment superflue, ou simplement joue le rôle d'un support dans un script de fantaisie autogynéphile. Blanchard a remarqué que ceci est spécialement caractéristique de nombreuses fantasies autogynéphiles impliquant des partenaires mâles: souvent la figure mâle est dépourvue de visage ou parfaitement abstraite, et semble être là bien plus pour attester de la féminité de la personne développant la fantasie, qu'en tant que partenaire désirable dans son être propre. C'est en partie parce que l'autogynéphile semble être en compétition avec l'attirance envers les autres personnes, mais sans l'occulter, que Blanchard a quelquefois préféré l'appeler une "orientation," plutôt qu'une paraphilie. (4)

Blanchard distingua quatre types différents d'autogynéphilie, comme de nombreux individus avaient mis en évidence qu'il existait plus d'un seul type. le premier type est l'autogynéphile travesti, pour lequel l'excitant est dans l'acte ou la fantaisie de porter des vêtements de femme. Le deuxième est l'autogynéphilie comportementale, dans laquelle l'excitant est l'acte ou la fantaisie de faire quelque chose considéré comme féminin, par exemple tricoter avec d'autres femmes, ou d'aller chez le coiffeur. Le troisième est l'autogynéphilie physiologique, dans laquelle l'excitant est la fantaisie d'être enceinte, menstruée, ou de sentir des seins. Le dernier type est l'autogynéphilie anatomique, dans laquelle l'excitant est la fantaisie d'avoir un corps de femme, ou de présenter des aspects de celui-ci, comme les seins ou le sexe.

Blanchard pensait qu'il était entièrement prévisible que les mâles biologiques qui ont connu l'excitation sexuelle à l'idée d'avoir un corps de femme chercheraient en fait à acquérir ou s'approprier un tel corps. Et ses recherches ont confirmé par la suite que ses sujets du type d'autogynéphilie anatomique étaient les plus intéressés par une transformation physique, c'est à dire par une chirurgie de réassignation. Il a résumé sa théorie de cette façon:

"l'Autogynéphilie revêt une grande variété de formes. Certains hommes sont plus excités sexuellement par l'idée de porter des vêtements de femme. Certains hommes sont plus excités sexuellement par l'idée d'avoir un corps de femme, et ils sont plus intéressés à obtenir delui-ci. Sous cet éclairage, le désir d'une chirurgie de réassignation sexuelle du dernier groupe apparaît comme aussi logique que le désir des hommes hétérosexuels d'épouser des femmes, le désir des hommes homosexuels d'établir des relations permanentes avec des partenaires mâles et peut-être le désir d'autres hommes paraphiliques de se lier avec des objets paraphiliques d'un façon que personne n'a pensé à observer." (5)

Je considère que cela est une des plus brillantes et pénétrantes analyses de toute la littérature clinique consacrée à la Transsexualité.

Cela vaut la peine de remarquer que la théorie de Blanchard se réfère au désir sexuel dans un sens plutôt large; cela signifie plus qu'une excitation génitale. En fait, Blanchard était tout à fait conscient que sa théorie sur la transsexualité non-homosexuelle comme manifestation d'un désir sexuel devrait expliquer pourquoi l'impulsion transsexuelle persiste même quand l'excitation génitale est réduite ou absente. Par exemple, nombre d'entre nous avec un passé d'excitation lié au travestissement ou une autre imagerie autogynéphilie rapportent que, tandis que notre excitation sexuelle diminue avec le temps, notre désir d'une chirurgie de réassignation sexuelle persiste et même s'intensifie. De même, quand nous, transsexuelles autogynéphiles, prenons des oestrogènes, notre libido est souvent diminuée, voire éliminée, mais pas notre désir d'une réassignation sexuelle. Blanchard émit l'hypothèse qu'après une période de temps, les stimuli qui ont été ressentis comme sexuellement excitants en viennent à être considérés comme enrichissants et tentants par eux mêmes, même s'ils ne suscitent plus d'intense excitation génitale. Usant encore de l'analogie du mariage hétérosexuel, Blanchard mit en évidence que les hommes continuent souvent à ressentir d'intenses liens émotionnels envers les objets de leur désir sexuel (c'est à dire, de leurs femmes), même après que leur intense attirance sexuelle initiale a diminué ou a complètement disparu.

Qui plus est, nous n'avons pas à nier que la réassignation sexuelle a d'autres aspects gratifiants pour accepter l'idée que, pour beaucoup d'entre nous, le désir sexuel est l'origine et le noyau de notre impulsion transsexuelle. Les qualités que nous avons besoin de cultiver pour vivre avec succès dans le rôle féminin peuvent être très enrichissantes par elles-mêmes. Apprendre à donner corps à des traits féminins comme la gentillesse, l'empathie, le soin et la grâce augmente la qualité de nos vies et fait tout simplement de nous des êtres humains meilleurs. Beaucoup d'entre nous découvrent avec bonheur nombre de raisons non-sexuelles pour rechercher une chirurgie de réassignation sexuelle. Par conséquent, cela devient plus facile -- et pas nécessairement injuste -- de nous dire à nous-mêmes et à tout le monde que nous désirons réellement une transition pour des raisons qui n'ont rien à voir avec le désir sexuel. Pourtant beaucoup d'entre nous, si ce n'est pas la plupart, admettront probablement, si nous sommes honnêtes, que les motifs sexuels étaient au moins originellement au coeur de notre désir de transition -- et qu'ils y sont probablement toujours, à proximité de la surface.

Ce serait une erreur de conclure que si la transexualité autogynéphilique concerne le désir sexuel dans une large mesure, cela est plus ou moins suspect, ou moins légitime que la transsexualité homosexuelle/ Alors que le centre de cet essai n'est pas sur la transsexualité homosexuelle en elle-même, je dois en dire assez pour détruire la notion erronée que les transexuelles homosexuelles sont les "vraies" transsexuelles, ou que leurs motifs sont exclusivement non-sexuels. Rien de tout cela n'est vrai. Par définition, les transsexuelles sont celles qui ont recours à la chirurgie de réassignation en tant que remède à la dysphorie de genre. La dysphorie de genre des transsexuelles autogynéphiliques est aussi authentique dans ses moindres aspects que celle de leurs équivalents homosexuels. Et ce n'est pas le moins du monde important si la dysphorie provient en totalité ou en partie d'une incapacité à aboutir à la satisfaction sexuelle dans le corps ou selon le rôle existants. Les transsexuelles autogynéphiles peuvent autant revendiquer d'être de "vraies" transsexuelles que leurs seours homosexuelles.

Et les transsexuelles homosexuelles ne sont pas exactement dépourvues de motifs sexuels elles-mêmes. Les collègues qui ont passé du temps à en interviewer me disent qu'elles peuvent être vues comme des hommes homosexuels très éfféminés qui ne se sont pas déféminisés dans leur adolescence. Presque toutes passent par une période "homo"; et leur décision d'effectuer ou non la transition est souvent fondée pour une large part sur leur capacité d'être suffisament convaincantes dans le rôle féminin pour attirer des partenaires mâles. Celles qui pensent ne pas pouvoir "passer" n'effectuent habituellement pas de transition, quelque féminin que leur comportement puisse être. A la place, elles acceptent, peut-être avec réticence, une identité d'homosexuel mâle, et restent dans la culture homosexuelle mâle, dans laquelle ils peuvent raisonnablement attendre de trouver des partenaires intéressés. Cette auto-sélection explique l'observation curieuse que les transsexuels homosexuels en transition tendent à être physiquement plus petits et plus minces que leurs soeurs autogynéphiles. (6) La vérité, c'est que dans la transsexualité homosexuelle aussi, il existe souvent un calcul sexuel. La Transsexualité a largement à voir avec le sexe -- peu improte de quel genre de transsexuel il s'agit.

Bien que la recherche de Blanchard ait été rigoureusement conduite, il est aussi important de comprendre ses limites. Premièrement, elle a été conduite sur un échantillon clinique: un groupe d'hommes suffisamment désemparés ou typiques pour qu'ils fassent la démarche d'être évalués. Deuxièmement, afin de répartir ses sujets dans des catégories fondées sur l'attirance sexuelle, Blanchard a utilisé délibérément une technique de classement pour s'assurer qu'il en résulterait quatre secteurs. Alors que cela peut être efficace et valide dans des buts statitstiques, un coup d'oeil sur les données graphiques révèle que les secteurs ne sont pas si cloisonnés en réalité. Les secteurs bisexuels et homosexuels sont particulièrement arbitraires dans leur séparation, ce qui plaide contre toute typologie rigide et suggère l'hypothèse qu'au moins certains transsexuels bisexuels pourraient être compris dans un type intermédiaire. Troisièmement, au risque de d'énoncer l'évidence, Blanchard trouve seulement des corrélations statistiques, bien que hautement significatives, entre de nombreuses des variables qu'il a examinées. Cela n'implique pas que les caractéristiques qu'il a découvertes sont nécessairement vraies dans chaque cas individuel. Il y a toujours des exceptions. Pour finir, aucun des cobayes de Blanchard n'a réellement eu de transition de genre ou de chirurgie de réassignation sexuelle -- ils étaient simplement des mâles dysphoriques de genre, et qui disaient qu'ils se sentaient, ou désiraient être, des femmes. Blanchard n'a jamais confirmé ces idées dans un groupe de transsexuelles Homme vers Femmes opérées.

J'ai essayé de confirmer les théories de Blanchard avec un groupe de femmes transsexuelles opérées aux New Woman's Conferences de 1996 et 1998, en utilisant une méthode d'enquête anonyme. En 1996, dix des treize femmes, soit les trois-quarts, dirent que "l'autoféminisation était érotique" pour elles. Et plus de la moitié des femmes dirent que "la féminisation avait été leur premier fantasme avant la transition." (7) En 1998, mieux préparée, j'ai posé une question spécifiquement écrite par Blanchard. En réponse, cinq des onze femmes, soit presque la moitié, ont reconnu que, avant la chirurgie, leur "fantasme érotique préféré avait d'origine, ou avait acquis, des caractéristiques relatives au corps féminin." (8) une pruve supplémentaire de l'importance du fantasme autogynéphile chez les transsexuelles qui ont effectivement été opérées vient de la thèse Ph. D. non publiée de Maryann Schroder "New Women." (Les Nouvelles Femmes) Cinq de ses dix-sept sujets opérés étaient décrits comme ayant été excités par des fantaisies sexuelles autogynéphiles prior la chirurgie. (9)

Pourquoi l'autogynéphilie, qui est si facilement signalée dans ces petits groupes de femmes opérées, a y'elle reçu aussi peu d'attention? Je pense qu'il y a de nombreuses raisons.

Parmi les transsexuelles, l'autogynéphilie n'est pas un sujet de discussion très respectable. S'il y a une chose, c'est que de nombreuses transsexuelles ont un dégoût passionné pour le Clarke Institute, et tendent à écarter tout ce qui en provient. En conséquence, les idées de Blanchard ne sont pas souvent discutées; et quand elles sont soulevées, elles tendent à être étouffées. La honte est indubitablement un autre facteur de dissuasion. C'est probablement trop difficile pour de nombreuses transsexuelles d'admettre qu'elles ont eu des fantaisies autogynéphiles, et spécialement d'admettre que le désir sexuel autogynéphilique peut avoir été l'un de leurs motifs pour une chirurgie de réassignation sexuelle. Les gens sont remarquablement réticents à admettre qu'ils ont une paraphilie -- terme plus connu comme "perversion". La plupart des femmes transsexuelles veulent être considérées comme de "vraies femmes," et il est largement admis que l'excitation paraphilique est plutôt le fait des hommes. Les Transsexuelles qui admettent leur excitation autogynéphilique risquent de ne pas être perçues comme de "vraies femmes" -- et peut-être même pas comme de "vraies" transsexuelles!

Les Médecins et les chirurgiens ont certainement leurs propres raisons d'ignorer l'autogynéphilie. La plupart des médecins est accoutumée à penser à la transsexualité en termes plus traditionnels, fondés sur les genres. L'idée qu'il peut y avoir des motifs sexuels à une transition peut leur sembler "untidy," et ne pas s'accorder à leur paradigme. Ils peuvent penser que le désir sexuel autogynéphilique chez les transsexuels est rare et aberrant. Et comme leurs patient ne désirent la plupart du temps pas leur parler de leur autogynéphile, qui peut blâmer ces praticiens de penser de la sorte? Qui plus est, la plupart des médecins et des chirurgiens trouveront probablement difficile de reconnaître que lorsqu'ils donnent leur agrément à une chirurgie de réassignation sexuelle, ou l'accomplissent, ils sont parfois simplement en train d'aider une femme transsexuelle à jouer son script sexuel paraphilique.

Personnellement, quoi qu'il en soit, je ne trouve pas que l'idée qu'une femme transexuelle cherche parfois une chirurgie de réassignation sexuelle pour des raisons sexuelles pose spécialement probléme, même si la sexualité est essentiellement paraphilique. La vraie question n'est pas quelle peut être la motivation de chacun, mais bien plutôt si la chirurgie de réassignation sexuelle améliore la qualité de la vie de la personne. Le niveau général de satisfaction suivant la chirurgie est extrêmement haut. Et cet élément constant jusqu'à présent semble démontrer que ces femmes transexuelles dont certaines doivent être autogynéphiles -- apparition tardive, attirance sexuelle pour les femmes, etc. -- tendent à être aussi bien après la chirurgie que celles qui se présentent plus jeunes et sont sexuellement attirées par les hoimmes.

Personne ne devrait être choqué d'apprendre qu'il existe des gens qui souhaitent modifier leur corps -- par chirurgie ou d'une autre façon -- principalement pour parfaire leur attrait sexuel, pour eux ou pour d'autres. Cela donne lieu à une industrie représentant un billion de dollars de chiffre d'affaires rien qu'aux Etats-Unis, et la plupart de celle-ci ne concerne pas les transsexuelles. Nous coupons, colorons, tatouons, perçons, augmentons, réduisons, lissons, réarrangeons des parties de nos corps pour exprimer notre sexualité et pour accomplir notre satisfaction sexuelle. Ceci est même unique dans la culture moderne Occidentale, comme n'importe quel anthropologue peut vous le dire. Je ne suggère pas que nous devrions être complaisants avec la chirurgie de réassignation sexuelle, ou la considérer comme une aventure mineure. Je suggère seulement que, dans mon esprit, avoir des motivations sexuelles pour une chirurgie de réassignation sexuelle ne pose aucun problème éthique d'aucune sorte. Les motifs sexuels supposent une large gamme de procédures médicales et chirurgicales qui sont accomplies de manière habituelle sur des non-transsexuelles, et que nous tenons plus ou moins pour acquises.

Récemment quelques femmes transsexuelles exceptionnellement courageuses ont appelé à plus de franchise au sujet de leurs motifs sexuels dans nos parcours de vie. Jessica Xavier écrivit ceci dans son article "Reality Check," publié en 1995:

"pour mieux connaître nos réalités, nous devons d'abord connaître nos fantasmes. L'érotisme du travestissement et de la transsexualité est fondée pour la plupart d'entre nous sur le puissant fantasme de devenir quelqu'un d'autre, de façon temporaire ou permanente. Pourquoi devrions nous considérer notre érotisme indispensable comme moins que légitime parce qu'il signifie plaisir par nous-même et auto-découverte? Le sexe est un facteur puissant mais rarement exposé dans nos vies transsexuelles.... Il est à la fois ironique et malheureux que nos propres efforts sur l'éducation des genres ont éclipsé cet érotisme fondamental." (10)

Margaret O'Hartigan parla plus franchement encore dans son article "Surgical Roulette," publié en 1994:

"Il est nécessaire que les transsexuelles arrêtent de prétendre que changer de sexe concerne le genre et non le sexe. Le 'Transgendérisme' utilisé comme un euphémisme à la place de "chagement de sexe" masque la réalité, qui est que les transsexuelles cherchent à changer leur corps pour expérimenter le plaisir sexuel génital sans donner "de coup d'épingle" . La récente tentative de certaines pour remplacer le terme de "chirurgie de réassignation sexuelle" par "chirurgie de confirmation de genre " aboutit seulement à rendre confus les domaines séparés du sexe et du genre." (11)

Je pense que des opinions honnêtes comme celle-ci ne sont pas seulement saines mais aussi extrêmement précieuses. Une telle franchise aide les femmes transsexuelles dont l'expérience ne correspond pas aux caractéristiques traditionnelles à se sentir moins isolées, moins seules. Il est malheureux, selon moi, que les femmes transsexuelles n'aient pas davantage écrit sur leurs sensations et fantaisies sexuelles, et comment celles-ci influent dans leurs décisions de recourir à la transition et la chirurgie. Carol Christ écrivit ce qui suit à propos de femmes non-transsexuelles, mais cela s'applique aux femmes transsexuelles aussi bien:

"Les histoires des femmes n'ont pas été exposées. Et sans histoires il n'y a pas d'articulation de l'expérience. Sans histoires une femme est perdue quand elle doit prendre les grandes décisions de sa vie. Sans histoires elle ne peut pas se comprendre elle-même." (12)

Les histoires des femmes transsexuelles ont besoin d'être exprimées et écoutées. Quelque part dans ces pages, j'ai encouragé les lectrices qui ont expérimenté des fantaisies ou des excitations sexuelles autogynéphiles à m'écrire, en décrivant leurs sensations et en exposant quel rôle le désir sexuel a joué dans leur décision de faire une transition et de passer par la chirurgie génitale. J'espère pouvoir faire connaître largement un tel matériel, de telle sorte que tous ceux qui sont concernés par la transsexualité, les patientes et les praticiens, puissent mieux comprendre les relations complexes entre la transsexualité et le désir sexuel. ( Des extraits de ces récits sont maintenant disponibles quelque part sur ce site.)

Je finirai avec une histoire authentique, celle d'une amie que j'appellerai Linda (ce n'est pas son vrai nom). Linda fit sa transition à la fin de sa quarantaine, après une carrière professionnelle très brillante. En tant qu'homme elle avait été mariée à une femme, et avait été le père d'un fils. Linda se plongea dans son rôle de femme comme un canard dans l'eau, et se débrouilla bientôt très bien sans faire le moindre effort. Elle avait eu une chirurgie de réassignation avec un excellent chirurgien Américain, réputé pour son habileté à préserver les sensations sexuelles. Après la chirurgie elle commença à rencontrer des hommes, et avec un certain succès. Le seul problème de Linda était que, deux ans après la chirurgie, elle n'avait encore pas pu avoir d'orgasme. Un jour je courus voir Linda à une conférence, et elle me confia d'un ton de conspiratrice:

"J'en ai enfin eu un! Le grand O!"
"C'est merveilleux, Linda," ai-je répondu. "Comment as tu fait?"
"C'était simple, vraiment. J'ai enfin trouvé le bon fantasme."
"Et c'était quoi...?"
"Féminisation forcée."

*********************************************

S'il y a une morale ici, je pense que c'est que la connaissance et l'acceptation de notre propre vérité est ce qui nous rend libres

REFERENCES:

  • 1. Ce qui suit est une bibliographie des articles de Ray Blanchard sur l'autogynéphilie:
    • Typology of male-to-female transsexualism Arch Sex Behav 14(3), 247-261 (1985)
    • Heterosexual and homosexual gender dysphoria. Arch Sex Behav 16(2), 139-152 (1987)
    • Nonhomosexual gender dysphoria. J Sex Res 24, 188-193 (1988)
    • The classification and labeling of nonhomosexual gender dysphorias. Arch Sex Behav 18(4), 315-334 (1989)
    • The concept of autogynephilia and the typology of male gender dysphoria. J Nerv Ment Dis 177(10), 616-623 (1989)
    • Clinical observations and systematic studies of autogynephilia. J Sex Marital Ther 17(4), 235-251 (1991)
    • Nonmonotonic relation of autogynephilia and heterosexual attraction. J Abn Psychol 101(2), 271-276 (1992)
    • The she-male phenomenon and the concept of partial autogynephilia. J Sex Marital Ther 19(1), 69-76 (1993)
    • Partial versus complete autogynephilia and gender dysphoria. J Sex Marital Ther 19(4), 301-307 (1993)
    • Varieties of autogynephilia and their relationship to gender dysphoria. Arch Sex Behav 22(3), 241-251 (1993).
  • 2. Blanchard R, Rachansky I, Steiner B. (1986) Phallometric detection of fetishistic arousal in heterosexual male cross-dressers. J Sex Res 22(4), 452-462.
  • 3. American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fourth Edition. Washington, DC; American Psychiatric Association; 1994. pp. 522-523.
  • 4. Blanchard R. (1993) Partial versus complete autogynephilia and gender dysphoria. J Sex Marital Ther 19(4) p. 306.
  • 5. Blanchard R. (1991) Clinical observations and systematic studies of autogynephilia. J Sex Marital Ther 17(4) pp. 245-246.
  • 6. Blanchard R, Dickey R, Jones CL. (1995) Comparison of height and weight in homosexual versus nonhomosexual male gender dysphorics. Arch Sex Behav 24(5), 543-554.
  • 7. Lawrence A. Life after surgery: questions and answers from the 1996 new woman's conference. Paper presented at the Second International Congress on Sex and Gender Issues, Philadelphia, PA., June 20, 1997.
  • 8. Lawrence A. Unpublished data.
  • 9. Schroder M. New women: sexological outcomes of gender reassignment surgery. Unpublished Ph.D. thesis, Institute for Advanced Study of Human Sexuality, San Francisco, CA, 1995.
  • 10. Xavier J. Reality check. Transsexual News Telegraph, #5, Summer/Autumn 1995, pp. 32-33.
  • 11. O'Hartigan M. Surgical Roulette. TransSisters, #3, Winter 1994, p. 28.
  • 12. Christ C. Diving Deep and Surfacing. Boston, Beacon Press, 1980, p. 1

© 1998 Anne A. Lawrence, MD; Tous droits réservés. Traduction française de Michèle Anne Roncières, avec autorisation de l'auteur. Cette traduction n'a pas été revue par Dr. Lawrence. L'adresse de l'original en langue anglaise est http://www.annelawrence.com/autogynephilia.html. (le site existe toujours et a fait l'objet de nombreuses mises à jour)

Retour