Projet de Film Version du 21 Septembre 2003

Auteur: Michèle-Anne Roncières


1 Extérieur. Rue principale d’une commune de banlieue Parisienne. NUIT (Début de la Nuit)


Il fait clair. Des femmes en robe légère, et des hommes en chemise, la veste sur le bras, descendent d'un autobus. Parmi eux, Alexandre, un homme d'une quarantaine d'années, qui a l'air triste et a gardé sa veste sur lui.


Les passants remontent tranquillement la rue. Beaucoup de couples se promènent en regardant le ciel et en se souriant. Alexandre, qui presse le pas, en contourne plusieurs, impatienté.


Alexandre quitte la grande rue pour un quartier moins animé, pavillonnaire. Il traverse un grand square sur une place qui fait rond-point, puis s'engage dans une rue en pente.


Après une trentaine de mètres, Alexandre s'arrête devant le portail d'un pavillon avec cour et jardin. Il en pousse le portail en jetant des regards anxieux vers le bâtiment, dont une fenêtre est éclairée au rez de chaussée, puis traverse la cour en s'efforçant de ne pas faire crisser les graviers sous ses pas.


Alexandre monte l'escalier du perron. Il s'arrête devant la porte, comme essoufflé, puis l'ouvre et entre.


Voix de femme (OFF)

Ah te voilà, toi, c'est pas trop tôt !


2 Intérieur. Pavillon d'Alexandre : la Salle à Manger. JOUR


Par la fenêtre, on voit un garçon et une fille, de sept à huit ans environ, qui finissent leur repas du soir, l'oeil morne. Ils tournent la tête dans la direction d’Alexandre et lui sourient, heureux de le voir.


LES ENFANTS

Papa, Papa !


ALEXANDRE

Bonjour les enfants... Bonjour chérie.


La femme d’Alexandre, Germaine, se lève de table avec un geste impatience. C’est une femme d'une quarantaine d'années, blonde, décoiffée, le visage fatigué.


GERMAINE

Occupe toi de tes mômes, moi j'en ai ma claque !


Alexandre va embrasser les enfants.


Germaine allume une cigarette et croise les bras.


GERMAINE

Je te signale que la chasse d'eau des toilettes ne marche plus. (Elle tire une bouffée de sa cigarette) Comme tu n'es sûrement pas fichu de réparer ça, j'ai appelé le plombier, il passera demain matin. J'en profiterai pour lui faire vérifier le siphon de la baignoire. Je suis sûre qu'il fuit. C'est trop humide dans cette salle de bains.

Alexandre se met à la hauteur des enfants, entre leurs deux chaises.


GERMAINE

Bon... qu'est-ce que je vais voir ce soir...


Germaine prend un magazine de télévision sur un rayon de la grande bibliothèque murale et se met à le feuilleter.


GERMAINE

Priscilla, Reine du Désert…


Alexandre, surpris, jette un coup d'oeil rapide à sa femme.


GERMAINE

Qu’est-ce que c’est, encore que cette... Je voudrais bien y être, moi dans le désert !


Alexandre se remet debout et donne aux enfants la dernière cuillerée de leurs desserts.


ALEXANDRE

Allez les enfants, ça va être l'heure d'aller dormir; venez, on va se brosser les dents.


Germaine allume la télévision, éteint la lumière et va se vautrer dans un fauteuil en face du récepteur.


La télévision diffuse une publicité. Alexandre fait sortir les enfants de table en leur chuchotant à l'oreille. Obéissants, les enfants sortent de la pièce en silence. Alexandre les suit en emportant la vaisselle sale.


3 Intérieur. La Salle de Bains et le couloir donnant sur la cuisine. JOUR


Les deux enfants, juchés sur de petits tabourets, se brossent consciencieusement les dents devant le miroir du lavabo, en faisant mousser le dentifrice au delà du raisonnable. Ils s'arrêtent, se regardent puis sortent de la pièce.


ALEXANDRE (OFF)

C'est bien les enfants... Allez vous rincer la bouche et

mettez vos pyjamas, j'arrive.


Les enfants reviennent dans la Salle de Bains, regrimpent sur les tabourets et prennent sur la tablette du lavabo leurs verres à dent pour les remplir.


Dans la pièce voisine, Alexandre fait la vaisselle. Les enfants arrivent. Posant une assiette dans l'égouttoir, il les aperçoit qui attendent sagement et en souriant, le garçon dans un pyjama bleu et la fille dans un pyjama rose.


ALEXANDRE

Allez dire bonsoir à Maman, j'arrive.


Alexandre se rince les mains et se les essuie.

4 Intérieur. La Salle à Manger. JOUR


Germaine est assise dans le fauteuil. Elle regarde la télévision. Les enfants arrivent devant la porte ouverte, derrière le fauteuil, et devant la porte de la salle de bains restée ouverte. Ils s'y arrêtent. Germaine cherche un cendrier à droite et à gauche et se penche pour en prendre un sur une table basse, devant elle. Les enfants se regardent l’un l’autre et s'en vont sans mot dire.


5 Intérieur. La Chambre des enfants. JOUR


Les enfants sont couchés dans des lits jumeaux, le garçon avec un ours en peluche et la fille avec sa poupée. Alexandre arrive.


LA PETITE FILLE

Tu nous lis une histoire, Papa ?


ALEXANDRE

Non les enfants, impossible, pas ce soir.


LE PETIT GARCON

Tu vas encore parler avec Maman, cette nuit ?


Alexandre sourit tristement


ALEXANDRE

Non non non les enfants, mais j'ai du travail à faire à la maison ce soir... Je vous lirai une histoire demain, je vous le promets.


Les enfants se glissent dans les couvertures. Alexandre éteint la lumière.


LES ENFANTS

Bonsoir Papa !


ALEXANDRE

Bonsoir les enfants.

6 Intérieur. La Salle de Bains. JOUR


Par la porte ouverte on voit, de dos, dans une lueur bleutée, le fauteuil dans lequel Germaine regarde la télévision, avec le haut de sa tête qui en dépasse. Alexandre entre dans la salle de bains.


GERMAINE (OFF)

Mon Dieu, mais c'est pas vrai ! Regarde ça !


Alexandre se retourne vaguement mais referme la porte et la verrouille.


Il se dirige vers le siège des toilettes et en démonte méthodiquement le couvercle du réservoir. Il y plonge la main et en ressort un sac en plastique transparent noué par des élastiques.


Alexandre l’égoutte dans le lavabo puis en admire le contenu en le tenant devant lui: des bijoux. Il prend une serviette qu’il étale sur le sol puis pose le sac dessus et remonte le couvercle du réservoir.


Alexandre s'agenouille devant le lavabo et tire la colonne à lui pour la dégager. Il la pose sur le sol dans le sens de la longueur. Du corps creux il extrait un autre sac en plastique, du genre sac de boutique de mode. De celui-ci il tire une jupe et un chemisier, qu'il déplie et replie soigneusement puis pose sur la commode. Il remet la colonne en place.


Alexandre se met à quatre pattes devant la trappe de visite de la baignoire et la retire. Il y met le bras et en retire un nouveau sac, en plastique opaque. Celui-ci est mouillé: Alexandre l’égoutte dans la baignoire puis l’ouvre ; il en retire une paire de chaussures, des sous-vêtements de femme et des bas, qu'il met dans le sac dont il avait retiré le chemisier et la jupe. Il pose le sac sur la serviette étendue sur le sol et remet la trappe dans son logement.

7 Intérieur. La salle à Manger. JOUR


Germaine, dans le fauteuil, suit le film en faisant une moue de mépris et en tirant sur sa cigarette. Derrière elle, la porte de la Salle de Bains s'ouvre et Alexandre en sort à demi, tenant serré dans ses bras le paquet des sacs en plastique et des vêtements.


GERMAINE

Si c’est pas malheureux de voir ça…


Alexandre jette un regard rapide à sa femme et sort en vitesse de la Salle de Bains.


8 Intérieur. Le couloir donnant sur la cuisine. JOUR


Toujours tenant son paquet, Alexandre ouvre un grand placard à vêtements, tire un tabouret de l’intérieur, monte dessus, et met le paquet au fond d'un rayonnage placé à sa hauteur. Il modifie le rang de devant pour en augmenter la hauteur, puis replace le tabouret et referme le placard.


Alexandre se rend à la cuisine et reprend la vaisselle qu'il lui reste.


Le poste de télévision passe la scène de Priscilla où le grand bus rose traverse le désert avec la grande sandale sur le toit et les voiles flottant au vent.

GERMAINE (OFF)

Ha ! Ha ! Ha ! Pauvres malades….


9 Intérieur. La chambre de Germaine et d’Alexandre. NUIT


Germaine et Alexandre sont allongés dans le lit.


GERMAINE

Qu'est-ce que c'était nul, ce film... encore un film de pédés, on voit plus que ça, maintenant ! Tu aurais dû voir ça ! Ridicule... Des mecs qui s'habillent en femme pour faire Dieu sait quoi... Des crève-la-faim minables... Remarque, des types dans ton genre finalement... alors, quand est-ce que tu vas passer Chef de Service ?


ALEXANDRE (se râclant la gorge)

Hum... A la fin de l'année... en principe.


GERMAINE

Ca fait déjà deux ans que tu me dis ça.


ALEXANDRE

...


ALEXANDRE

Tu as déjà pris ton somnifère ?


GERMAINE

Ah non, c'est vrai, je l'ai oublié...


Germaine s'assied dans le lit et ouvre un tiroir pour y prendre un tube de comprimés. Elle ouvre le tube, prend un comprimé et le met dans sa bouche. Elle prend un verre d'eau préparé sur sa table de nuit et en avale une gorgée. Elle s'allonge à nouveau et tourne le dos à son mari.


GERMAINE

Bonne nuit.


ALEXANDRE

Bonne nuit, chérie.


Alexandre se met à son tour sur le côté, tournant le dos au dos de sa femme.


10 Intérieur. La cuisine et le couloir qui y mène. NUIT


La pendule à diodes luminescentes indique une heure du matin.


Des mains ouvrent le placard du couloir. Elles fouillent dans les affaires. Le placard se referme.


La porte de la salle de bains se referme. On entend le bruit de la serrure. Un rai de lumière apparaît dans l'encadrement de la porte.

11 Extérieur. La rue devant le pavillon de Germaine et d’Alexandre. NUIT


Une silhouette de femme sort du pavillon et en descend le perron en s’immobilisant à plusieurs reprises pour écouter les bruits venant de l’intérieur.


La femme, à la chevelure blonde, marche dans la cour avec mille précautions pour ne pas faire crisser les graviers.


Elle ouvre doucement le portail qui grince un peu, et regarde dans les deux sens pour voir s’il y a quelqu’un dans la rue. Puis elle sort dans celle-ci, contournant la poubelle, et marche d’un pas mal assuré, en regardant fréquemment à droite et à gauche.


12 Extérieur. La rue qui mène au square. NUIT


La femme se dirige vers le square quand elle s’arrête, inquiétée par un bruit de moteur.


Une voiture apparaît au loin, devant elle, au delà du square. La femme s'immobilise; elle se retourne sur le chemin qu’elle vient de parcourir, puis se remet à marcher en direction du square, en pressant le pas.


La voiture qui vient en sens inverse arrive à sa hauteur et freine brusquement: c’est une Bmw noire décapotable avec quatre “ jeunes de banlieue ” à bord, qui se mettent à la siffler bruyamment.


LES JEUNES

Wooah la meuf !


La femme fait comme si elle ne les avait pas vus et continue de marcher droit devant elle.


LES JEUNES

Qu’ès tu fait tout’ seule ? tu vas t’ faire agresser !


La femme s’éloigne. La voiture fait une marche arrière pour revenir à sa hauteur.


LES JEUNES

Viens avec nous on va t’protéger !


La femme continue à marcher en direction du square, sans manifester la moindre réaction. La voiture accélère vivement en marche avant et fait un peu plus loin un bruyant demi-tour “ au frein à main ”, puis revient à la hauteur de la femme.

Sans tourner la tête, la femme jette des regards de côté pour tâcher d’apercevoir ses tourmenteurs.


LES JEUNES

Hey, on t'parle ! Pourquoi qu’tu réponds pas ? T’veux pas êt’ gentil’ avec nous ?


La femme ne répond pas.


LES JEUNES

Wooaah, pétasse, hé ! Va t’faire niquer, sal’ put’ On sbarre, rien à fout' des connass' com' toi!


La voiture accélère, et dépasse la femme, qui la regarde s’éloigner avec soulagement.


13 Extérieur. La rue qui mène au square. NUIT


La femme traverse la rue pour aller sur la place, dans le square, alors que la voiture en commence le tour. Une fois sur la place, elle s’arrête et la suit des yeux. La voiture achève le tour du rond point et s’arrête au niveau de la femme.


Un jeune, pas rasé, en jeans et casquette, descend de la voiture.


LE JEUNE

Coucou c’est encore nous ! On s'est dit qu'on va pas s’quitter com’ ça ! fais-nous la bise au moins, chérie !


Le jeune s’avance vers la femme, qui recule et se retrouve sous un réverbère de l’éclairage public. Le jeune a soudain un regard soupçonneux.


Le visage de la femme se crispe : on reconnaît Alexandre. Il détourne la tête


Le jeune se retourne vers la voiture pour ameuter ses copains.

LE JEUNE

Hey, les mecs, c’est pas une meuf, c’est un trav’lo, parole ! Ram’nez-vous, on va lui faire sa teuf !


Les jeunes sortent de la BMW, la mine réjouie, en en laissant les portières ouvertes.


14 Extérieur. Le square. NUIT


Alexandre prend la fuite, court de toutes ses jambes vers l’autre côté du square.


Deux jeunes le rattrapent vers le milieu de celui-ci et le ceinturent. Un jeune, le chef, vient se camper en face de lui.


LE CHEF

Tenez le bien, les mecs…


Il lui colle deux coups de poing dans le ventre et deux autres dans la figure. Alexandre devient mou. Les jeunes le laissent s’écrouler.


Alexandre, étendu à plat ventre sur le sol, tente de se relever. Les jeunes le replaquent aussitôt par terre.


Le chef sort son couteau.


LE CHEF

Alors t’veux savoir c’qu’on leur fait aux gonzesses com’ toi ?


LIANE (OFF)

Non, on n’a pas envie de le savoir, petit con !


Le chef se retourne.

15 Extérieur. Le square. NUIT (Suite de la Scène 14)


Derrière la BMW, à l'entrée du square, près d'un arbre, est stationnée une R5 blanche, phares allumés. Liane sort de derrière l'arbre. C'est une belle, jeune et grande femme brune dans une robe de scène blanche, avec un sac à main assorti en bandoulière.


Le chef a un sourire ironique.


LE CHEF

Hey les mecs, j’crois qu’on va s’en faire deux, ct’e nuit !


Liane met tranquillement la main dans son sac et en ressort un énorme pistolet, qu’elle pointe en direction du chef.


Derrière lui, les trois autres, interloqués, relâchent Alexandre, qu’ils maintenaient au sol, et qui relève la tête, aussi éberlué qu’eux.


Le chef secoue les bras comme dans un rap et prend les autres à témoin.


LE CHEF

Un flingue ! Rien qu’ça ? Kes tu veux faire ? Ameuter l’quartier ?


Liane, sans se démonter, prend un autre objet dans son sac : c’est un silencieux qu’elle commence à visser au bout de son pistolet.


Les jeunes et leur chef blémissent.


LIANE

Dites… Je serais vous… j’irai faire vérifier le frein à main de votre voiture… il ne m’a pas l’air très bien réglé…


Liane recule de quelques pas en direction de la BMW, toujours en maintenant les jeunes en respect, et, d'un geste délicat, pousse légèrement la voiture, qui s’ébranle doucement dans la rue en pente.


LE CHEF

La caisse ! Les mecs, la caisse ! Rattrapez la!


Les jeunes et le chef se mettent à courir à toutes jambes après la voiture pour la rattraper, et parviennent à sauter dedans. La voiture s’éloigne et disparaît.


16 Extérieur. Le square. NUIT (Suite de la Scène 15)


Liane replie son bras armé sur sa poitrine, à la façon de James Bond, et sourit. Elle remet son arme dans son sac.


Elle avance à petits pas vers Alexandre, qui est toujours allongé sur le sol, et s'accroupit à côté de lui.


LIANE

Ca va, ma grande ? Pas eu trop peur ? Pas de dégâts ?


Alexandre tente de parler, mais n'y parvient pas. Liane examine son visage.


Alexandre a du sang sur les lèvres, les joues et sur le front.


LIANE

Faut soigner ça. Viens, je t'emmène, faut pas rester là, on ne sait jamais.


Liane aide Alexandre à se relever. Elle l'aide à marcher jusqu'à la R5 blanche en le soutenant tant bien que mal.


Liane ouvre la porte avant droite de la R5 et Alexandre s'assied en grimaçant. Liane referme la porte, fait le tour de la R5, et s'assied au volant. Elle démarre.

17 Intérieur. La R5 de Liane. NUIT


LIANE

Tu habites dans le coin ? Tiens, il y a des kleenex dans la boîte à gants.


ALEXANDRE

...


Alexandre ouvre la boîte à gants et y prend un kleenex, qu'il plie et presse sur sa joue droite, près de la commissure des lèvres. Il en prend un autre qu’il tamponne sur l’arcade sourcillière gauche


LIANE

Je vais t'amener chez moi, j'ai tout ce qu'il faut. C'est pas loin. Je te ramènerai après.


ALEXANDRE (avec difficulté)

Qui... Qui... êtes... vous ?


LIANE

Mon nom de scène, c'est "Liane". Je suis transformiste. Je passe dans un cabaret à Paris.


ALEXANDRE

...


LIANE

J'aime pas trop me démaquiller après le show (rire)... Tu comprends ça ? (rire)


ALEXANDRE

ouh... ouh... ouh...


LIANE (désolée)

Oh, excuse moi, je devrais pas te faire rire...


ALEXANDRE

(P)as... (gr)ave... ouh... Dis... (t)on (p)is(t)olet... (c')est un vrai ?


LIANE (souriante)

Un vrai ? Penses-tu ! C'est un accessoire pour mon show ! C'est dans mon numéro de James Bond Girl ! Je m'entraîne, des fois que je serai sélectionnée dans le prochain film... En tout cas je l'ai toujours avec moi quand je sors... ça peut servir, pas vrai ?


ALEXANDRE

Oh Mon Dieu... Merci… Liane...


LIANE

Pas de quoi... Ah, nous y voilà...


Liane arrête la voiture.


LIANE

Dis, au fait... c'est quoi ton petit nom ?


ALEXANDRE

A(l)e(x)andre...


LIANE

Alexandre ? Pas celui-là, voyons ! Ton nom de femme, bien sûr !


ALEXANDRE

Je... Je (n')en ai pas... je n'y ai jamais (r)é'fl)é(ch)i...


LIANE

Je vois… Bon, c'est pas grave... ca viendra en son temps ! Allez, on y va.


18 Extérieur. La rue où habite Liane. NUIT


Liane sort de la R5, verrouille sa porte et va ouvrir la portière passager.


Alexandre arrive à sortir tout seul.


LIANE

Ca va mieux ?


ALEXANDRE

Oui, oui... (m)e(rc)i...


LIANE

Remarque, on a de la chance, la porte de mon immeuble est juste devant.


Liane verrouille la portière passager, et se dirige vers la porte de l'immeuble, ouvrant le chemin à Alexandre, qui marche avec une certaine raideur. Liane se retourne et l'observe, perplexe.


Liane ouvre la porte avec ses clefs, et tient la porte ouverte à Alexandre. Quand celui-ci entre à son tour, elle va plus avant dans le hall.


Le hall s'éclaire. Alexandre avance à son tour. Liane et Alexandre disparaissent derrière un coin de mur.


19 Intérieur. L'appartement de Liane (Entrée). JOUR


Un rectangle de lumière venu de l'extérieur dessine les contours de la porte d'entrée. Celle-ci s'ouvre dans un bruit de clefs. Liane pénètre à l'intérieur et allume la lumière. Elle avance dans la pièce, suivie d'Alexandre, et disparaît pour aller dans une autre.


Alexandre manque rentrer dans une photo grandeur nature de Liane toute souriante en robe à paillettes: une sorte de mannequin publicitaire qui annonce un de ses spectacles.


Alexandre regarde les murs, où sont punaisées des affiches et des photos de spectacles.


Liane revient dans la pièce avec dans les mains deux bouteilles d'antiseptique, du coton, des ciseaux et du pansement.


LIANE

Allez, viens, on va soigner ça... Viens sur le canapé, par là.


Alexandre obéit docilement et s'allonge sur un canapé, la tête sur un accoudoir, dans la position d'un patient de psychanalyste. Liane s'assied sur une bergère, juste à côté.


Les mains de Liane, très soignées, s'affairent sur le visage d'Alexandre, nettoyant les plaies, les désinfectant à petits coups de coton.


LIANE

Ca fait mal ?


ALEXANDRE

Un peu... Aïe !


LIANE

Ca fait longtemps que tu t'habilles en fille ?


ALEXANDRE (grimaçant sous la douleur)

De(p)uis que (j)e suis (t)out (p)e(t)it... (j)'avais sept ou huit ans, (j)e (p)ense.


LIANE

Et pourquoi tu fais ça ? Si c'est pour draguer les zonards, on peut pas dire que ça soit très probant... sauf si tu es maso !


ALEXANDRE (vivement)

Mais (n)on ! Ouille !


LIANE

Excuse-moi... je plaisantais, bien sûr !


ALEXANDRE

Je fais ça parce que... je ne sais pas... je me sens bien en fille, voilà pourquoi. Aïe !


LIANE

Et en homme tu ne te sens pas bien ?


ALEXANDRE

Pas (tr)op. Aïe !


LIANE

Tu es marié ?


ALEXANDRE (sa diction s'améliore avec les soins)

Oui... et j'ai deux enfants.


LIANE

Aïe... Oh pardon, c'est à toi de dire ça... Et ta femme, elle ne sait rien ? Elle ne se rend compte de rien ?


ALEXANDRE

Oh ma femme... Elle ne comprendrait pas. Tu sais, je fais très attention.


LIANE

Tu sors toujours la nuit ? Et si elle se réveillait, une fois ?


ALEXANDRE

Elle est quasiment toujours sous somnifères... aucun risque de ce côté... Et puis non, je ne sors pas que la nuit... Quand j'en ai trop besoin, je prends un jour de congé et je vais en forêt.


LIANE

Et tes affaires ? Elle risque pas de les trouver ?


ALEXANDRE

J'ai de bonnes cachettes ! Enfin en principe... J'en ai planqué pas mal dans la salle de bains mais j'ai dû les retirer parce que le plombier va venir vérifier l'installation. Alors j'en ai profité ce soir...


LIANE

Ca, on peut le dire...


ALEXANDRE

Demain je les mettrai à la cave, avec les autres.


LIANE

A la cave ? Sous le charbon ou dans la cuve à mazout ?


ALEXANDRE

Non... Dans un vieux chauffe-eau qui ne sert plus.


LIANE

Ah... Et tu en as beaucoup ?


ALEXANDRE

Pas mal, oui... 120 litres... Un plein chauffe-eau...


LIANE

Bon... ca y est pour le bobo... Va falloir démaquiller le reste.


Liane ramasse les bouteilles et le coton, se lève et part. Alexandre prend un miroir de poche sur une table basse, et regarde attentivement les dégâts. Il repose la glace, visiblement soulagé. Liane revient avec des bouteilles de démaquillant et s'assied.


De nouveau les mains de Liane sur le visage d'Alexandre: passant des disques démaquillants sur les yeux, les joues, le front, le menton... les traits masculins d'Alexandre réapparaissent peu à peu.


LIANE

Et si tu les planquais ici, tes affaires ?


ALEXANDRE

Ici ?


LIANE

Oui ! Aucun risque que ta femme les trouve ici, pas vrai ?


ALEXANDRE

Evidemment.... Mais... Ca ne te gênerait pas ?


Les mains de Liane posent un pansement sur l'arcade sourcillière gauche d'Alexandre.

LIANE

Bien sûr que non, puisque je te le propose ! Quand tu en as besoin, tu viens passer l'après midi ici (L'après-midi, parce que, en principe, le matin, je dors...). Ca t'évitera de te faire démolir le portrait la nuit et ça sera quand même plus sympa que les ballades solitaires en forêt: on peut y faire de mauvaises rencontres aussi ! Sans compter que je ne suis pas très loin de chez toi.


ALEXANDRE

Ben oui... Merci, Liane !


Les mains de Liane posent un deuxième pansement à la commissure des lèvres droite d'Alexandre

LIANE

Pas de quoi... Et puis moi ca me fera de la visite ! Voilà, c'est terminé. Désolée, mais... il va falloir enlever ça...


Les mains de Liane enlèvent la perruque blonde d'Alexandre.


Alexandre est désormais un homme habillé en femme.


Liane se lève.

LIANE

Je ne crois pas que tu puisses revenir chez toi comme ça non plus... Attends un peu...


Liane va dans sa chambre et en revient avec un costume d'homme plié dans les bras.


LIANE

Tiens, enfile-moi ça... !


Alexandre se lève et Liane lui donne le costume en paquet.


Alexandre déplie le costume, gris, élégant, mais un peu trop grand pour lui. De la poussière vole et Alexandre bat un peu le costume


LIANE

Je ne le mets plus... Bon, je sais, c'est dur... Mais il le faut... Ne t'en fais pas, je te raccompagne !


Liane passe dans le dos d'Alexandre et descend vivement la fermeture Eclair de la robe d'Alexandre.


20 Extérieur. La rue où habite Alexandre. NUIT


Devant le pavillon de Germaine et d'Alexandre, Germaine est sur le trottoir, à côté de la poubelle, échevelée et en chemise de nuit. Elle regarde à droite et à gauche.


La voiture de Liane apparaît dans le haut de la rue, venant du rond point.


De la voiture on voit Germaine sur le trottoir. Liane se tourne vers Alexandre.

LIANE

Aucun risque qu'elle se réveille, tu disais ? Dis-donc, c'est pas ton jour de chance...


La voiture s'arrête devant Germaine.


Alexandre ouvre la porte et descend du côté passager. Il est habillé avec le costume que lui a donné Liane.


GERMAINE (hurlant)

Mais qu'est-ce que ça veut dire, d'où sors-tu ? Je t'ai cherché partout !


Liane sort de la voiture à son tour.


GERMAINE (sur le même ton)

Et qui c'est, celle-là ?


ALEXANDRE (embarrassé)

Attends, Chérie, je vais t'expliquer... Je me suis réveillé dans la nuit, et je me suis souvenu que je n'avais pas vidé la poubelle de la cuisine. Alors je suis sorti avec le sac pour la mettre dans la poubelle de la rue... et des sauvages me sont tombés dessus... Ils m'ont tabassé, je ne sais même pas pourquoi!


LIANE

C'est à ce moment là que je suis arrivée; et les malfrats ont pris la fuite. Comme votre mari était blessé mais qu'il ne voulait pas vous réveiller pour ne pas vous affoler, je l'ai emmené chez moi pour le soigner... et je vous le ramène comme neuf !


Germaine, dans sa mise pitoyable, jette un regard glacial à Liane, belle, soignée et distinguée. Elle se retourne vers Alexandre.


GERMAINE

Viens ici, toi, on rentre !


Germaine rentre dans la cour du pavillon, suivie d'Alexandre, qui ne dit plus un mot.


Liane revient à la portière de sa voiture et regarde le couple rentrer chez lui.


Pendant que Germaine ouvre la porte, Alexandre jette un bref regard en arrière et adresse à Liane un petit signe de la main.


Liane se rassied dans sa voiture. Elle secoue la tête.


La voiture fait un demi-tour et repart d'où elle vient.


21 Intérieur. L'appartement de Liane (Salle de travail). JOUR


Sur une musique de scène [La musique de la dans solitaire de Cyd Charisse dans "La Belle de Moscou"], et dans une pièce totalement vide à l'exception de miroirs aux murs, Liane repète la chorégraphie d'un numéro. Elle est sans maquillage, et en combinaison de danse, mais elle garde son aspect féminin avec ses cheveux naturels, son corps épilé, ses ongles longs et vernis.


On sonne à la porte. Liane s'arrête et souffle, les mains sur les hanches. Sans arrêter la musique, elle sort de la pièce.


Liane revient dans la pièce, reprend sa place au centre et reprend sa chorégraphie en marche. Elle finit juste devant Alexandre qui était resté sur le seuil, avec un grand sac plastique dans les mains. Alexandre n'a plus de pansements.


ALEXANDRE

Fantastique ! Bravo !


LIANE (un peu essouflée)

Ca t'a plu ? Attends de me voir en scène !


ALEXANDRE

Oh oui, j'aimerais vraiment...


LIANE

Qu'est-ce qui t'en empêche ?


ALEXANDRE

Ma femme... Elle n'aimerait pas ce genre de spectacles, et ne me laisserait pas non plus y aller seul.


LIANE

"Ce genre de spectacle" ? Tu veux dire, en gros, ces spectacles de dégénérés où des malades s'habillent en femme pour exciter des pervers ?


ALEXANDRE

Voilà, oui, c'est ça... enfin, je veux dire, non, c'est son point de vue à elle. Moi... moi, j'aurais bien aimé faire ce que tu fais... ça m'a toujours fasciné.


LIANE

Mais tu n'étais pas prêt à courir de cachet en cachet ?


ALEXANDRE

Non, en effet...


LIANE

Ni à te faire jeter par des publics hostiles ?


ALEXANDRE

Non plus...


LIANE

Ni à être payé au lance-pierre ?


ALEXANDRE

Non !


LIANE

Ben moi non plus, tu vois ! C'est très dur de prendre sa place dans ce métier, et j'ai mis quinze ans à percer, mais j'ai tenu bon, et tu sais pourquoi ?


ALEXANDRE

Non ?


LIANE

Parce je sentais que c'était ce que je devais faire, parce que je n'aurais rien pu faire d'autre, et parce que je savais que j'y arriverais... Alors tu vois, si tu n'as pas entendu cette petite voix là, tu ne dois pas avoir de regrets...


ALEXANDRE

...


LIANE

Et maintenant, tu sais quelle est ma récompense ? Des numéros un peu poétiques, comme cette évocation de Cyd Charisse, que je travaillais quand tu es entré; eh bien, quand le silence se fait, quand les gens ne peuvent plus détacher leurs yeux de moi, que je les sens qui se mettent à rêver... et finalement quand ils applaudissent, alors je me dis que ça valait bien toutes les misères que j'ai connues pendant toutes ces années.


ALEXANDRE

Tu passes où ?


LIANE

Au "Trois-Etoiles", tu connais ?


ALEXANDRE

Non.


LIANE

C'est un cabaret, plutôt haut-de-gamme... J'y suis déjà depuis deux ans: (rêveuse) dans quelques années, j'espère pouvoir passer dans une vraie salle.... pour un spectacle où les gens viendraient juste pour moi, tu comprends ? (revenant sur terre) Tu m'as rapporté mon costume de mec ?


ALEXANDRE

Ah oui... faut dire qu'il ne me va pas tellement... tu es plus grande que moi !


LIANE

Tu pouvais le garder... je n'en ai plus besoin, je t'ai dit... je ne le mets plus depuis des années !


Liane prend le costume.


ALEXANDRE

Tu sors... en fille ?


LIANE

Je sors en fille... je travaille en fille et je vis en fille ! Ce n'est pas le cas de tous les transformistes, tu sais ! Mais moi... je suis comme toi, si tu veux... et je connais bien le milieu des travestis. Tiens, avec quelques copines on envisage d'organiser une T-Pride, sur le modèle de la Gay-pride... Pourquoi tu n'y participerais pas ?


ALEXANDRE

Tu veux dire... Pour défiler ?


LIANE

Oui, bien sûr... Ca n'aurait guère de sens d'être 25 à organiser un défilé pour trois ou quatre personnes !


Alexandre semble hésiter. On sonne à la porte. Alexandre regarde Liane d'un air affolé.


LIANE

Ah... Ca ne m'étonnerait pas que ta femme ait lancé toute la DGSE à tes trousses !


Liane sourit pour lui faire comprendre que c'est une plaisanterie.


22 Intérieur. L'appartement de Liane (Entrée). JOUR


Liane arrive à la porte d'entrée, qu'elle ouvre. Une femme brune en pleurs, les mains sur le visage, fait irruption dans la pièce.


LIANE

Véronique ? Encore... Il a recommencé ?


Véronique écarte un peu ses mains. Elle a un oeil poché.


VERONIQUE (en sanglots)

Il... Il m'a frappée tout à l'heure... avant de repartir au travail... Je sais plus... ce que je lui ai dit... Il s'est énervé... et m'a donné une gifle... et un coup de poing...


Liane prend Véronique dans ses bras.


VERONIQUE

Il ne voulait pas me faire ça, il ne s'est pas rendu compte... ce n'était rien sur le moment, mais ca a tourné au bleu.


LIANE

Je vais chercher ce qu'il te faut... assieds toi sur le canapé.


Liane assied Véronique sur le canapé et s'en va.


23 Intérieur. L'appartement de Liane (Couloir et Salle de Bains). JOUR


Dans le couloir, elle retrouve Alexandre, et lui fait signe de l'accompagner dans la salle de bains.


Dans la salle de bains, Liane ouvre l'armoire à pharmacie et en retire une boîte de compresses et une bouteille d'un décongestionnant. Elle s'arrête, réfléchit, et prend une deuxième boîte en plus de la première.


LIANE (à voix basse)

C'est ma voisine: son mari est une vraie brute; il n'arrête pas de l'humilier et il la bat souvent.


ALEXANDRE (à voix basse)

Mais... on ne peut rien faire ?


LIANE (à voix basse)

Rien tant qu'elle tiendra à lui, en tout cas...


ALEXANDRE (voix normale)

C'est qui ce type ? (à voix basse, sur un signe de Liane) Un malade ? Un primate ?


LIANE (à voix basse)

Ne crois pas ça... C'est un "cadre supérieur" dans une grosse boîte... Bon allez, retourne à ton boulot, je vais m'occuper d'elle, l'après-midi ne sera pas de trop...


Alexandre fait un signe d'acquiescement de la tête.


24 Intérieur. L'appartement de Liane (Entrée). JOUR


Liane, avec ses accessoires de pharmarcie, et Alexandre reviennent dans l'entrée.


Véronique est toujours en train de sangloter sur le canapé et ne les voit pas.


Liane et Alexandre avancent silencieusement jusqu'à la porte d'entrée. Liane ouvre la porte et Alexandre se glisse dans l'ouverture. Alexandre et Liane échangent un "au revoir" muet en articulant les lèvres de façon disproportionnée. Liane referme la porte.


Liane se retourne et agite furieusement la bouteille de décongestionnant.


LIANE

A nous deux, chérie...


25 Intérieur. Le Bureau d'Alexandre à la SGC. JOUR


Une monstrueuse pile de dossiers frappés au logo de la SCG (Société de Gestion Comptable). Derrière, Alexandre, en chemise, griffonne des écritures et tape sur une calculatrice, courbé en deux sur un dossier ouvert.


Deux collègues d'Alexandre font irruption dans la pièce, un bureau vitré: Paul, un petit gros rigolard, un peu chauve, et André un grand pince sans rire.


PAUL

Alexandre ! Café !


ALEXANDRE

Oh non, je ne peux pas j'ai du travail !


ANDRE

Menteur !


Andreé fait basculer la pile de dossiers, qui s'écroule sur le sol.


PAUL

Tiens, tu vois ? Du travail ? Quel travail ?


ALEXANDRE

Non, c'est pas vrai ?! Vous êtes chiants, les mecs, vraiment !


Alexandre se lève et ramasse les dossiers, qu'il repose en vrac sur son bureau.


ANDRE

Allez, Alexandre, viens, ça te fera voir des filles ! Paraît qu'il y a des nouvelles stagiaires, tu voudrais pas louper ça ?


ALEXANDRE

...


PAUL

Faut se détendre, dans la vie, Alexandre ! Savoir apprécier les petits plaisirs de l'existence ! T'es trop sérieux, toi ! C'est pas de rester confiné dans ce petit bureau minable qui va te rendre la joie de vivre ! Allez, viens, sinon on fout le bordel dans tes armoires !


André va se planter devant une armoire, dont il prend les poignées en main, comme pour l'ouvrir.


ANDRE

Ok ?


ALEXANDRE

NON !!! ok, je viens avec vous; mais vite, alors !


Alexandre met sa veste, l'air contrarié.


26 Intérieur. Le salon avec la machine à café. JOUR


Alexandre a l'air toujours aussi contrarié.


Lui et ses deux collègues sont dans la file d'attente de la machine, où il n'y a que des hommes en costume. Le sujet de conversation est le même entre eux tous: le match de football de la veille, et il n'est question que de but, de hors-jeu, d'arbitre et de divisions.


ANDRE

Ben alors, Alexandre, t'aimes toujours pas le foot ?


ALEXANDRE

Non...


PAUL

T'as raison, le rugby c'est plus viril, ah ah ah !

(Lui donnant une bonne bourrade dans le dos)

juste ce qu'il te faut !


ANDRE

Même si t'aimes pas le foot, 3-0 pour la France, tu devrais être fier, patriotisme oblige !


Les trois collègues avancent d'un cran dans la file.


ANDRE

Moi c'est bien simple, j'ai fêté ça avec Bobonne !


PAUL

Qui ?


ANDRE

Bobonne ! Mireille, ma femme, quoi !


PAUL

Ah bon ? Elle s'intéresse au foot ta femme ?


ANDRE

Non ! Mais après le match je l'ai sautée trois fois: une fois par but! Remarque, je lui d'vais bien ça: elle m'a pas fait chier une seule fois pendant le match. Et puis c'est manière de l'intéresser aux résultats, pas vrai ? Sans compter que si la France avait paumé, c'était plutôt soirée baffes, ah ah ah !


Alexandre secoue la tête et lève les yeux au ciel.


Les trois collègues avancent une nouvelle fois dans la file.


PAUL (admiratif)

Et alors... vraiment... trois fois ? De suite ?


ANDRE

Tu m'connais, d'voir ça, ça m'avait donné des ailes... et quand je dis des ailes... Bon, évidemment, on aurait gagné huit-zéro... j'sais pas si j'aurais pu, faut être honnête...


Alexandre manifeste des signes de gêne et d'impatience.


ANDRE

Mais faut être juste, aussi ! Parmi tous les mecs qui sont là, y en a combien à la hauteur, question ceinture ?


ALEXANDRE

Ben justement, plus haut que la ceinture, toi, je me demande si tu connais !


PAUL

Ca y est, c'est reparti, voilà l'Alexandre qui nous fait sa sucrée !


La file avance. Alexandre aussi. Une jeune femme, bien maquillée, passe à côté de la file, provoquant un silence général. André et Paul restent figés sur place.


ALEXANDRE, appelant ses collègues.

Hé, ho !


André et Paul se retournent vers Alexandre et le rejoignent.


PAUL

Dis-donc, Alexandre, tu serais pas un peu pédé, par hasard ?


ALEXANDRE

Pourquoi ? Parce que je n'aime pas les sports débiles et que je ne siffle pas toutes les filles qui passent ? Et puis d'abord je suis marié, non ?


ANDRE

Oh, ça...


PAUL

Ouais, ça veut rien dire; tiens, moi, la secrétaire de ta division, par exemple...


ANDRE

Laquelle ? La blonde avec les gros seins ?


ALEXANDRE

Je suppose que Paul parle de celle qui a les yeux bleus...


Les trois collègues avancent d'une place dans la file.


PAUL

Oui... Eh bien c'est pas d'être marié qui m'empêcherait d'faire son bonheur, si tu vois c'que j'veux dire. En plus pour toi c'est du tout cuit: tu la vois cent fois par jour !


ALEXANDRE

Ca ne m'intéresse pas.


PAUL

Voilà, c'est bien ce que j'disais... t'es un homo refoulé, au fond ! Remarque, j'ai rien contre... tant que c'est pas tout contre, ha ha ha !


ALEXANDRE

Au fait, dis-donc, t'es pas marié toi, non ?


PAUL

Ah ben que veux-tu, j'ai pas trouvé l'oiseau rare


ALEXANDRE

Un oiseau rare pour un drôle d'oiseau... Ca ferait gaspillage, non ?


Les trois collègues avancent d'une place dans la file.


Un homme passe, dans le sens inverse de la femme de tout à l'heure. C'est Jean, un homme d'une quarantaine d'années, l'air austère, sévère, concentré, qui ne regarde personne.


ANDRE

C'est comme lui, tiens: tu peux le mettre au milieu des Bluebell Girls complètement à poil, il trouvera encore le moyen de sortir un ordinateur de sa poche: y a que ça qui le branche.


ALEXANDRE

Qui est-ce ?


PAUL

C'est Jean, l'administrateur du réseau; tu le connais pas ? Remarque il a été sympa avec moi: sur mon poste il est tombé un jour sur tout mon stock d'images de cul et il a rien dit. Heureusement, sinon j'me s'rais fait sonner les cloches !


ANDRE

Remarque, lui il en a tant qu'il en veut, normal: l'administrateur, c'est lui qui fait la loi; il a accès à tout, il connait tous les trucs... si ça se trouve, dans son réduit, il passe la journée à mater du porno !


Les trois collègues avancent d'une place dans la file et Alexandre se retrouve devant la machine à café. Paul et André lui passent devant.


PAUL

Pardon, Alexandre, laisse passer les vrais mâles, ah ah ah !


27 Intérieur. Les toilettes de la SGC. JOUR


Le gobelet d'Alexandre est posé sur le lavabo. Dans la glace, sa chemise est tachée par du café. Les mains d'Alexandre passent sur la tache une serviette mouillée pour essayer de la diluer. Puis elles ouvrent son col de chemise, et découvrent une chaîne dorée très fine.


ALEXANDRE

Vrais mâles, vrais mâles... vrais abrutis, oui...


Les mains d'Alexandre rajustent la chaîne et referment le col de la chemise.


Alexandre entre dans un des boxes.


Il pose le pied droit sur une cuvette fermée et rajuste sa chaussette, laissant voir un collant noir sur sa jambe. Il tire sa chaussette au maximum vers le haut.


ALEXANDRE

Crétins...


Il refait la même opération avec le pied gauche.


Alexandre ressort du box. Il s'arrête à nouveau devant la glace et se regarde tristement. Il hausse les épaules et sort.


28 Intérieur. Les locaux de la SGC. JOUR


Alexandre à son bureau: il est replongé dans ses dossiers. Derrière lui une pendule indique 14 h.


La pendule indique à présent 15 h. Alexandre se lève et sort de son bureau.


Dans le grand hall d'étage: Alexandre regarde les hôtesses d'accueil, les secrétaires, les dactylos dans leurs bureaux vitrés.


Le sourire d'une hôtesse qui donne un renseignement.


Une secrétaire à talons hauts trottine dans le hall.


Deux dactylos papotent ensemble.


Une hôtesse montre ses ongles vernis de frais à une autre.


Une secrétaire enlève discrètement, avec les pieds, les chaussures qui la gênent.


Une hôtesse enlève ses boucles d'oreille, qui lui font mal.


Une secrétaire regarde à gauche, à droite, sort un vaporisateur miniature de son sac, et se remet discrètement du parfum.


Une dactylo montre sa nouvelle bague à une autre, qui l'admire.


La secrétaire qui a enlevé ses chaussures les remet.


Une hôtesse remet en place une bretelle de soutien-gorge.


Alexandre rentre dans son bureau et se remet au travail. Derrière lui, la pendule indique 15h15.


29 Intérieur. Le bureau d'Alexandre. JOUR


La pendule indique 19 heures.


Alexandre prend l'annuaire et recherche dans les pages jaunes.


L'index d'Alexandre pointe sur la rubrique "Cabarets". Il trouve le logo du "Trois-Etoiles", une femme en robe de scène avec en dessous la légende 'Le meilleur spectacle travesti de tout Paris ! Tous les soirs à 22H".


Alexandre note l'adresse. Il s'appuie le visage sur la main, dans une pose dubitative, et reste ainsi quelques secondes.


Alexandre prend son téléphone et compose un numéro.


ALEXANDRE

Allo, Chérie ? C'est moi... Je... Il nous arrive une tuile au bureau: un bilan urgent à vérifier, très important, et qui doit être prêt pour demain matin. Je vais être obligé de rester jusqu'au bout. Comment ? En fait, je ne sais pas... très tard... très très tard... non, sûrement plus tard que ça... Ben oui, peut-être jusqu'au matin. (Il écarte le téléphone de son oreille, devant les vociférations de sa femme) Non, non, bien sûr, ça sera sûrement fini avant... Oui, oui, à deux heures je les plante là et je rentre de toutes façons. Tu sais, je leur ai bien dit: "D'accord, je supervise cette opération, mais ça me fait une journée de récupération à prendre quand je voudrai"... Mais oui, ils ont bien été forcés, ils ont besoin de moi... Oui, je pense qu'ils en tiendront compte. Oui, je veux dire, je suis certain qu'ils en tiendront compte... Oui, c'est ça... Embrasse les enfants pour moi... Au revoir Chérie, dors bien, à demain.


Alexandre fait une intense et comique grimace de satisfaction.


30 Intérieur. Le "Trois-Etoiles". JOUR


Un projecteur illumine la scène du "Trois-Etoiles": un grand espace, presque une vraie scène, dont les tables des consommateurs sont assez loin. Une musique se fait entendre. Une poursuite accueille une danseuse à son entrée: c'est Liane, qui entame une évocation de Cyd Charisse (Sa danse solitaire dans "La Belle de Moscou"), la même chorégraphie que celle que Alexandre lui a vue répéter.


Alexandre est assis à une table, son dîner devant lui. Il reconnait Liane et demeure stupéfait, béat d'admiration.


Liane reconnaît Alexandre à son tour et lui sourit, continuant son numéro.


A la fin du numéro de Liane, les applaudissements fusent. Liane s'avance vers le public et le salue en distribuant des baisers. Elle s'approche de la table d'Alexandre.


LIANE (essayant de parler fort)

Viens me retrouver dans ma loge !


ALEXANDRE

Comment ?


Liane fait un geste gracieux au public pour qu'il l'excuse de s'adresser à un des leurs en particulier; Elle tend sa main à Alexandre comme pour un baise-main. Alexandre la prend et s'incline comme pour le donner . Liane lui hurle dans l'oreille en lui montrant une porte sur le côté de la salle.


LIANE

Ma loge ! Viens dans ma loge ! Passe par là !


Alexandre se redresse et fait signe qu'il a compris.


Liane regagne la scène et disparaît sous les applaudissements.


Dans l'obscurité de la salle, Alexandre se faufile jusqu'à la porte que Liane lui a désignée.


31 Intérieur. Les coulisses du "Trois-Etoiles". JOUR


Alexandre chemine à travers des girls de revues et des travestis qui discutent ou qui attendent leur tour.


ALEXANDRE

(disant "Mademoiselle" aux girls et "Madame" aux travestis)

Pardon Mademoiselle, Madame, Mademoiselle, Madame...


Alexandre va pour s'excuser auprès d'une nouvelle "demoiselle" quand il s'aperçoit que c'est Liane et s'arrête près d'elle.


LIANE

Alors ? Ca t'a plu ?


ALEXANDRE

Oh oui ! C'était... c'était...


Liane éclate de rire.

LIANE

Va m'attendre là-bas, la 17... J'arrive, je dois dire un mot au régisseur.


Alexandre acquiesce et se dirige vers la porte blanche repérée par le numéro "17" écrit en grosses lettres noires.


32 Intérieur. La loge de Liane. JOUR


Alexandre pousse la porte, en regardant du côté où il a laissé Liane. La porte s'ouvre sur l'obscurité.


Alexandre entre. La porte claque. Alexandre tâtonne dans le noir.


La lumière se fait, éblouissante.


VOIX NOMBREUSES (OFF)

BON ANNIVERSAIRE !!!


La loge est remplie de femmes (des travestis) dans tous les coins et recoins, qui sont très étonnés de voir Alexandre à la place de Liane.


EMMA (la main sur l'interrupteur)

Ca alors... on a beau savoir que Liane est la plus géniale des transformistes... chapeau !


UNE FEMME (à Alexandre)

Mais qui es-tu, toi ?


EMMA

Chut ! On n'a pas le temps ! Liane va arriver d'une seconde à l'autre, voyons !


Deux femmes prennent vigoureusement Alexandre par les épaules et l'attirent dans leurs rangs pour qu'il laisse libre l'entrée de la loge.


Emma fait un signe entendu et manoeuvre l'interrupteur. L'obscurité revient.


La porte s'ouvre et la silhouette de Liane apparaît dans l'encadrement de la porte.


LIANE

Alexandre ?


La lumière se fait. Liane est surprise puis éclate d'un rire joyeux.


VOIX NOMBREUSES (OFF)

BON ANNIVERSAIRE !!!


LIANE

Oh, mais comment avez vous su ?


FRANCOISE (qui vient lui faire la bise)

Tu as été follement imprudente: tu as dit un jour, à l'une d'entre nous "Tiens aujourd'hui, c'est mon anniversaire..."; je ne te dirai pas qui... Mais Dieu sait qu'Emma a l'oreille fine !


LIANE

Alexandre, voici mes amies: des filles formidables! Les filles, voici Alexandre, mais ne rêvez pas: si Alexandre est doux, gentil, mignon...


CHOEUR DES FEMMES

Aaaahhhh ????


LIANE

C'est parce qu'il a une GROSSE part de féminité en lui !


CHOEUR DES FEMMES

Oooohhhhh !!!!


LIANE

Et qu'il ne peut malheureusement pas exprimer librement !


CHOEUR DES FEMMES

Ooohhhh ....


FRANCOISE

Ben qu'il vienne avec nous, alors ! Ca lui montrera comme ç'est super une sortie en filles !


LIANE

On sort ?


FRANCOISE

Evidemment qu'on sort ! C'est ton anniversaire, non ?On t'emmène le fêter comme il se doit !


LIANE

Alors, Alexandre ? tu viens ?


ALEXANDRE

Malheureusement non, je regrette... il est déjà deux heures du matin... je dois absolument rentrer...


LIANE

Tu es en voiture ?


ALEXANDRE

Non... je n'en ai pas... et comme il n'y a plus de métro, ni de bus, ni de RER, si vous pouviez m'indiquer où trouver des taxis...


FRANCOISE

Des taxis ? Pour aller où ?


ALEXANDRE

En banlieue, en grande banlieue, même: à Boissy.


FRANCOISE (regardant Liane)

A Boissy ?


LIANE

Oui, comme moi, mais pas ensemble !


FRANCOISE

Mais mon pauvre Alexandre, pour aller à Boissy à cette heure, ce n'est pas un taxi qu'il te faut, c'est une entreprise d'import-export !


EMMA

Attendez ! J'habite à côté, moi, et comme vous savez que je ne peux pas être des vôtres ce soir... Je vais le racompagner, Alexandre.


CHOEUR DES FEMMES

Aaaahhhh ?!?!?!?


EMMA

S'il est d'accord, bien entendu !


ALEXANDRE

Oh oui ! Merci beaucoup !


FRANCOISE

Bon, puisque tout est réglé, il serait temps de partir: les places sont réservées et les agapes nous attendent !


EMMA

Parfait... Amusez vous bien, les filles... Bon anniversaire, Liane ! Tu me suis, Alexandre ?


Alexandre avance vers Emma.


LIANE

Alexandre ! Attends !


ALEXANDRE

Oui ?


LIANE

La première réunion pour la T-Pride est fixée: c'est dans trois jours ! tu viendras ?


ALEXANDRE

Ben... je ne sais pas encore... je...


LIANE

Emma te donnera les détails dans la voiture !


Liane fait à Alexandre, de loin, un baiser à la Marylin Monroe.


CHOEUR DES FEMMES

Oooohhhhh !!!!


33 Intérieur. La voiture d'Emma (DS Citroën). JOUR


Emma actionne le démarreur placé devant le volant puis dégage la voiture de sa place de stationnement.


EMMA

Eh bien, Alexandre ! Tu avais l'air un peu perdu... C'est la première fois que tu viens ?


ALEXANDRE

Oui oui... J'ai dit à ma femme que je passais la nuit sur un bilan... Je ne peux pas faire ça trop souvent !


EMMA

Je vois... Tu la connais depuis longtemps, Liane ?


ALEXANDRE

Non... Juste quelques jours... Elle a mis en fuite une bande de petits truands qui allaient me démolir le portrait. Elle m'a donné l'adresse du "Trois-Etoiles", alors je suis venu voir.


EMMA

Tu as fait connaissance de presque toute l'équipe, ce soir...


ALEXANDRE

L'équipe ?


EMMA

Oui... la bande de filles qui est toujours dans le sillage de Liane ! On n'a pas pu te présenter individuellement, mas ça viendra ! Françoise, par exemple, c'est le moteur du groupe... Il y a aussi Caroline, la plus timide, et Laura, la plus gonflée, celle qui n'a peur de rien !


ALEXANDRE

Et... Vous ? Vous êtes quoi ?


EMMA

Ah moi... Je suis la femme fatale, inaccessible et sacarstique...


ALEXANDRE

Vous vous êtes connues comment ?


EMMA

Oh ça... les hasards de la vie ! Non en fait, il n'y a pas de hasard... Tôt ou tard nous finissons par nous connaître toutes... du moment que nous réussissons à franchir la porte de notre salle de bains, évidemment... Tu en es sorti récemment ?


ALEXANDRE

Oui, après trente ans de préparation... Ca a failli me coûter cher...


EMMA

Ah, salles de bains exceptées, le monde est un dangereux repaire de fauves et de malades... Mais ça t'a réussi quand même, puisque te voilà avec nous, maintenant, non ?


ALEXANDRE

C'est vrai...


EMMA

Tu viendras à la réunion ? (faisant les manoeuvres pour arrêter la voiture) Nous voilà arrivés...


ALEXANDRE

Je voudrais bien... tout semble si facile avec vous...


EMMA

Je t'y conduirai... et t'en ramènerai si tu veux. Tiens, voici mon numéro... (sortant une carte de visite de son sac) Appelle moi quand tu voudras.


Alexandre prend la carte de visite sans la regarder


ALEXANDRE

Merci... Et je demande... "Emma" ?


EMMA

Si tu veux.. c'est une ligne directe ! Enfin bon... mon vrai nom est sur la carte, si jamais l'appel était basculé chez des collègues...


Alexandre met la carte dans sa pochette, sans oser la regarder.


ALEXANDRE

Au revoir, Emma... et merci...


EMMA

Mais de rien... A bientôt...


Alexandre fait deux bises à Emma et sort de la DS.


Emma regarde Alexandre s'éloigner. Alexandre finit de traverser la rue et entre dans son jardin. Emma démarre et s'en va. Alexandre se retourne et reste un instant immobile à la suivre des yeux.


34 Intérieur. La Salle de Bains. JOUR


Alexandre se déshabille: il défait ses manches de chemise. Il prend dans une petite armoire son étui de rasoir électrique, ôte sa chaine du cou et la dissimule dans l'étui.


De dos, il ouvre sa chemise.


Un soutien-gorge roulé en boule finit sa course sur la commode de la salle de bains, basculant derrière des serviettes en pile.


Alexandre, à moitié nu, roule un collant noir dans une paire de chaussettes, qu'il met dans un tiroir de la commode.


Alexandre, en pyjama, éteint la lumière et sort de la salle de bains en s'efforçant de ne pas faire de bruit.


Le soutien-gorge oublié reste derrière les serviettes.


35 Extérieur. La rue où habite Alexandre. JOUR


Alexandre sort de chez lui. Il est en complet blanc et il sourit au grand soleil.


Ses enfants l'accompagnent jusque dans la rue. Liane est là, à la porte, qui lui fait un grand sourire et l'invite à les accompagner, elle et de nombreuses filles massées sur le trottoir. Parmi celles-ci, quelques-unes sont dans des tenues parfaitement extravagantes mais les passants ne s'en formalisent pas et les saluent avec gentillesse.


Etonné, Alexandre leur désigne d'un geste son costume, comme si celui-ci l'empêchait de se joindre à elles.


Emma a un sourire complice et amusé: elle fait un sourire d'acquiescement.


Alexandre se retrouve instantanément maquillé et habillé en femme. Les filles sautent de joie et lancent une pluie de confettis qui retombent dru sur tout le monde.


Tout le monde remonte la rue. Les voisins et voisines sont aux portes de leurs pavillons. Ils saluent joyeusement Alexandre qui leur envoie des baisers. Les enfants d'Alexandre, à ses côtés, font de même.


Le cortège arrive au square. La BMW des voyous est là, à la même place que le jour de l'agression, mais c'est Liane qui est au volant. Avec grâce, comme dans un numéro d'illusionnisme, elle se lève et va ouvrir le coffre arrière. Il en sort un par un les voyous qui ont agressé Alexandre, mais en vêtements de garçonnets (culottes courtes et polos sans manches), sous les quolibets et moqueries de la foule.


Alexandre continue d'avancer vers l'endroit où elle a été projetée à terre: il s'y trouve une forme féminine, qui se relève.


C'est Germaine qui, étonnée mais affectueuse, se dirige vers Alexandre les bras ouverts et un grand sourire aux lèvres. Elle lui dit quelque chose et lui sourit encore avec tendresse. Comme elle va pour le repéter, elle se met soudain à hurler de toute son âme et de toutes ses forces.


GERMAINE

AHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH !!!


Tandis que le cri se prolonge, tout le monde se bouche les oreilles de son mieux, penche la tête vers le sol et part dans n'importe quelle direction.


Alexandre, désorienté, ne sait que faire. Germaine continue de hurler, le visage tourné vers le ciel.


36 Intérieur. La chambre d'Alexandre. JOUR


Germaine hurle toujours. Elle est devant le lit et tient dans une main le soutien-gorge oublié la veille au soir par Alexandre sur la commode de la salle de bains.


GERMAINE

Qu'est-ce que c'est que ça ? Hein ? Qu'est-ce que c'est ?


Alexandre est effaré.


ALEXANDRE

...


GERMAINE

Tu n'as pas besoin de me le dire, va, j'ai compris ! Je m'en doutais d'ailleurs ! Passer la nuit sur un bilan, tu avais dit... Ton fameux bilan c'était une de tes maîtresses ! Ou plutôt une de tes putains ! Et tu n'as pas pu t'empêcher de rapporter un trophée à la maison ! Tu me dégoûtes, tu entends ? Tu me dégoûtes !


ALEXANDRE

Chérie, je t'assure... Je te jure que...


GERMAINE

Ah non : Ne jure pas, hein ! Tu n'as vraiment pas besoin d'accumuler les mensonges ! D'ailleurs, qu'est-ce que tu me caches d'autre ? Puisqu'on a commencé, allons jusqu'au bout !


Germaine sort de la pièce.


Alexandre se prend la tête dans les mains, au désespoir.


Germaine revient avec la veste d'Alexandre, qu'elle commence à fouiller.


GERMAINE

Qui sait ce que je vais trouver ? Une boîte de préservatifs aux trois-quarts vides ? Un porte-jarretelles assorti au truc de tout à l'heure ? Une note d'hôtel ? Un programme de cabaret dédicacé ? (mettant la main dans la pochette) Ah ! Voyons: ça c'est quoi ?


Germaine sort la carte de visite d'Emma et la déchiffre.


GERMAINE

Un numéro de téléphone ! Celui d'un de tes copains de débauche ? Tiens tu vas voir, je vais m'amuser, moi aussi ! Et je vais brancher le haut-parleur, pour t'en faire profiter !


Germaine se précipite dans un coin de la chambre, sur le téléphone, et compose le numéro qui se trouve sur la carte.


37 Intérieur. Le bureau d'Emma. JOUR


Le téléphone sonne. Le bras épilé d'un homme en manches de chemises apparaît. Sa main décroche l'appareil.


JEAN

Informatique, j'écoute... Mais... à la SCG, la Société de Gestion Comptable... Oui, au département informatique...


Emma, en homme, est assise au bureau: on reconnaît Jean, l'Administrateur du Réseau informatique de la SCG, au milieu d'un fouillis de matériels divers (imprimantes, écrans, unités centrales).


JEAN

Ah oui, la réunion de la nuit dernière ? Mais, oui, Alexandre, parfaitement, nous avons travaillé ensemble sur ce dossier... Oui, je comprends, mais nous ne pouvions pas imaginer que cela finirait si tard, nous avions des impératifs, heu... catégoriques... (prenant de l'assurance) je dois dire que votre mari s'est révélé très précieux en l'occurence, oui, particulièrement efficace... Je crains que la Direction ne fasse sans doute appel à lui prochainement dans des circonstances de même nature... Oui, en séances de nuit, hélas... ce sont les seuls moments où nous pouvons vraiment travailler, vous savez... Mais je vous en prie... Au revoir, chère Madame...


Jean raccroche, un sourire rêveur aux lèvres.


38 Intérieur. La chambre d'Alexandre. JOUR


Germaine raccroche le téléphone. Elle reste un moment le dos tourné à Alexandre, puis fait volte-face.


GERMAINE

Tu aurais pu me dire que c'était important à ce point là, ta réunion ! Je suis pas idiote, je peux comprendre que tu doives faire des choses pour ta carrière, surtout pour une fois que tu sembles t'en préoccuper ! Une autre fois, explique moi ! Pourquoi tu m'as rien dit ?


ALEXANDRE

Ben...


Germaine s'avance et tombe sur le soutien-gorge qu'elle avait oublié sur le lit. Sa colère revient:


GERMAINE

Ca, par contre, tu me l'as toujours pas expliqué ! Alors ? J'attends !


Alexandre prend sa respiration.


ALEXANDRE (faiblement)

C'est à moi...


GERMAINE

Quoi ???


ALEXANDRE

Oui, c'est à moi...


GERMAINE

Je n'ose même pas imaginer les cochonneries que tu fais avec ! (un temps) Qu'est-ce que tu fais avec ??


ALEXANDRE

Ecoute... c'est pas du tout ce que tu crois... Je... Voilà, je... Enfin, je vais commencer par le début... (il reste muet)


GERMAINE

J'écoute !


39 Intérieur. La cuisine de l'appartement des parents d'Alexandre quand il était enfant. NUIT


Un réveille-matin, dont le tic-tac est le seul bruit perceptible, est posé sur le réfrigérateur. Il indique minuit. Par la fenêtre on voit la lumière des réverbères.


ALEXANDRE (OFF)

Je crois que ça a commencé quand j'avais huit ou neuf ans...


Alexandre enfant apparaît en pyjama sur la porte de la cuisine. En silence, et avec mille précautions, il se dirige vers un grand sèche-linge vertical dont il ouvre en grand la porte.


ALEXANDRE (OFF)

Ma soeur avait toujours de jolies affaires, fines et délicates, et moi, rien que des chose ridicules, des culottes bavaroises, des shorts...


Le petit Alexandre retire du sèche-linge un chemisier et une jupe écossaise dont il éprouve et caresse longuement le tissu. Pris d'une inspiration subite, il enlève son pyjama et passe les vêtements, qui sont un peu trop grands pour lui.


ALEXANDRE (OFF)

Je ne peux pas dire pourquoi, mais c'était comme si on me privait de quelque chose qui aurait dû me revenir...


Le petit Alexandre quitte la cuisine.


40 Intérieur. Le hall de l'appartement des parents d'Alexandre quand il était enfant. NUIT


ALEXANDRE (OFF)

Alors, la nuit, quand tout le monde dormait, je prenais ma revanche...


Le petit Alexandre arrive dans le hall et va se planter devant une grande glace en pied. Il s'admire, prend des poses.


ALEXANDRE (OFF)

Je prenais les affaires de ma soeur, je les mettais, et j'avais l'impression d'être quelqu'un d'autre, qui était à la fois secret, mystérieux et plus moi-même...


Soudain, il se rend à côté de l'interrupteur, qu'il actionne avec autant de précautions que s'il s'agissait d'une mise à feu de dynamiteur.


Il retourne devant la glace et s'y regarde.


Il cherche quelque chose à droite et à gauche, puis se dirige vers le sac à main de sa mère, qui repose sur un fauteuil. Il prend le sac et en sort un tube de rouge à lèvres. Il revient devant la glace.


ALEXANDRE (OFF)

Ou plutôt je revivais, non, je vivais vraiment une existence qui n'était connue de personne...


Le petit Alexandre dévisse le tube pour faire monter le rouge. Avec lenteur et application, il se met du rouge à lèvres sans le faire baver. Il observe le résultat dans la glace.


ALEXANDRE (OFF)

Délicate... douce... fine...


Le petit Alexandre revient au sac de sa mère. Il en sort un poudrier. Il revient devant la glace et ouvre le poudrier. Prenant la... il soulève un nuage de poudre.


ALEXANDRE (OFF)

Pleine de richesses inattendues...


Le petit Alexandre découvre que beaucoup de poudre est tombée sur le chemisier. Affolé, il souffle dessus. Comme il en reste encore, il pose le poudrier à côté de lui et tapote vigoureusement sur le chemisier pour en faire tomber la poudre.


Le petit Alexandre regarde les traces de la poudre sur le tapis et sur la glace avec consternation. Il tâche de frotter le tapis, sans succès, et souffle avec précaution sur la glace.


Le petit Alexandre se dirige vers la porte par laquelle il est entré et y disparaît.


ALEXANDRE (OFF)

Par la suite, cette part de moi-même a pris de plus en plus de place...


A l'endroit même où le petit Alexandre vient de disparaître, apparaît le jeune Alexandre âgé d'une quinzaine d'années, parfaitement maquillé et habillé en fille. Il vient se camper devant la glace.


ALEXANDRE (OFF)

Ca ne servait à rien de lutter... D'ailleurs j'aimais l'image que me renvoyait le miroir... Je l'aimais de plus en plus.


Le jeune Alexandre approche doucement ses lèvres de son reflet dans le miroir. Il s'arrête à l'instant où ses lèvres vont toucher la glace et ferme les yeux.


ALEXANDRE (OFF)

Et puis d'ailleurs, cette image était la seule fille qui me permettait de l'approcher d'aussi près... Les autres, les vraies, elles se moquaient de moi, elles préféraient aller avec les brutes vulgaires qui les traitaient en moins que rien plutôt qu'avec moi qui les adorais...


Le jeune Alexandre rouvre les yeux, reprend ses esprits, et se dirige vers la porte d'entrée de l'appartement. Il pose la main sur la poignée, et se retourne sur le Hall.


ALEXANDRE (OFF)

Alors j'ai fini par me créer un monde bien à moi, un monde nocturne, puisque je n'avais pas ma place au jour... Je me promenais dans l'immeuble, dans ses caves, et quelques fois dans les rues, tout cela la nuit.


Le jeune Alexandre ouvre la porte d'entrée, la franchit, et la referme sur lui.

ALEXANDRE

Quand je me suis marié avec toi, je pensais que c'en serait fini, que ça allait disparaître tout seul... Mais non... Ca n'a rien à voir avec toi, c'est en moi, c'est tout... Hier soir j'ai pris ma cravate dans ma boîte à cravates: elle a un double fond dans laquelle je mets... quelques affaires; or le double fond s'est ouvert, j'étais pressé, j'ai oublié de remettre ce...


41 Intérieur. La chambre d'Alexandre. JOUR


GERMAINE

En somme, tu m'as flouée sur toute la ligne !

J'ai cru épouser un battant, tu n'es qu'une chiffe molle ! J'ai cru épouser un homme, tu n'en es même pas un ! Je préfèrerais que tu aies une maîtresse, je pourrais aller lui crever les yeux ! Et tu as planqué d'autres choses dans la maison ?


ALEXANDRE

Ben... oui, un peu...


GERMAINE

J'exige, tu entends ? J'exige ! que tu me montres tout ça pour que je flanque tout à la poubelle et qu'il n'en soit plus jamais question !!! Tu imagines, si les enfants tombaient là-dessus ? Et les voisins ? Qu'est-ce qu'on dirait ??? De quoi j'aurais l'air ? Sale égoïste, tu ne penses vraiment qu'à toi !!!


42 Intérieur. Le couloir qui mène à la cuisine. JOUR


Germaine, juchée sur un tabouret, fouille dans les couches supérieures du placard; Elle tombe sur un linge féminin, le fait voler derrière elle, et il retombe sur Alexandre, qui le prend dans la figure.


GERMAINE

ARRRRRRHHHHH !


43 Intérieur. La cave. JOUR


Germaine, juchée sur un tabouret, fouille dans le haut d'un chauffe eau ouvert. Elle projette un peu partout les vêtements qu'elle y trouve.


GERMAINE

ARRRRRRHHHHH !


Alexandre, résigné, ramasse les vêtements et les met dans un grand sac poubelle bleu.


44 Intérieur. La salle à manger. JOUR


Germaine, fouille avec une aiguille à tricoter derrière un radiateur et en retire un soutien-gorge blanc qu'elle jette à Alexandre


GERMAINE

ARRRRRRHHHHH !


Alexandre met le soutien-gorge dans le sac poubelle bleu.


45 Intérieur. Le salon. JOUR


Germaine est plongée dans la pendule comtoise, qu'elle a ouverte, et dont elle ressort les poids. Elle extrait de ceux ci, qui sont creux, plusieurs paires de collants roulés en boule, qu'elle jette violemment sur Alexandre.


GERMAINE

ARRRRRRHHHHH !


Alexandre met les collants dans le sac poubelle bleu.


46 Intérieur. Le garage. JOUR


Germaine extrait une jupe noire d'une roue de secours posée sur le capot de la voiture, et dont le pneu a été écarté de la jante par un démonte pneu encore en place.


GERMAINE

ARRRRRRHHHHH !


Alexandre, le gros sac poubelle rempli à côté de lui, tend la main pour recevoir la jupe.


47 Extérieur. Le perron du pavillon. JOUR


Alexandre est assis sur le marches, le gros sac poubelle bleu devant lui. A ses côtés, ses enfants tentent de le consoler.


LE PETIT GARCON

C'est grave ce que tu as fait, Papa ?


LA PETIT FILLE

Qu'est-ce que tu as fait, Papa ?


ALEXANDRE (souriant tristement)

Non, les enfants... Je... J'ai juste mis des vêtements qui ne m'allaient pas... Et comme j'avais honte, je les ai cachés... Et Maman n'aime pas qu'on lui cache des choses... Et elle a raison parce que dès que l'on cache des choses, même si ce n'est pas grave, tout devient tellement compliqué... tellement compliqué...


Les enfants embrassent leur père, chacun de son côté.


GERMAINE (OFF)

C'est ça ! Va donc voir à ton bureau s'ils ne t'ont pas programmé un stage de relooking; Et je te conseille vivement de pas le rater, celui-là !


Alexandre se lève et descend les marches, oubliant le sac poubelle.


GERMAINE (OFF)

Et prend tes cochonneries, dépose-les chez Emmaüs en passant ! Je ne veux plus les voir !


Alexandre s'arrête, remonte les marches, prend le sac et redescend.


48 Intérieur. Le bureau d'Alexandre à la SCG. JOUR


Alexandre est assis à son bureau. Il sort de sa poche la carte de visite qu'Emma lui a donné et la regarde. Après un instant d'hésitation, mais avec un sourire, il compose un numéro sur le clavier de son téléphone.


ALEXANDRE

Allo... Emma ? Ben c'est Alexandre... Ecoute... Merci pour m'avoir sauvé la mise ce matin... Oui, ma femme avait mis le haut-parleur, j'ai tout entendu... C'est idiot, quand tu m'as donné ta carte, je n'ai pas osé la regarder... sinon j'aurais su qu'on travaillait dans la même boîte... Tu parles d'une chance ! Ben non, je n'ai pas mangé, non... faut dire qu'à la maison l'ambiance n'était pas terrible... A la cantine ? Si, c'est l'heure... Bon, d'accord... A tout de suite.


Alexandre raccroche, se prend le menton dans la main. Puis il se lève et disparaît.


49 Intérieur. La cantine de la SCG. JOUR


Dans le hall de la cantine, Alexandre cherche quelqu'un des yeux.


Jean lui fait un signe. Alexandre le reconnaît et se dirige vers lui. Après un moment d'hésitation, décontenancé, ce qui amuse Jean, Alexandre lui serre la main.


ALEXANDRE

Bonjour... Eh bien... (bas) Mais c'est dingue... je ne t'aurais jamais reconnu...


JEAN

C'est fait pour... Viens, on va prendre des plateaux... (sur un ton de conspirateur) et faire comme si de rien n'était, d'accord ?


ALEXANDRE (enthousiaste)

D'accord !


Jean se dirige vers la chaîne, suivi d'Alexandre. Il prennent chacun un plateau, les posent sur le guide et y déposent des plats qu'ils prennent au fur et à mesure sur les présentoirs. Alexandre bombarde Jean de questions.


JEAN

Ecoute... pour éviter les ennuis dûs aux oreilles indiscrètes... On n'a qu'à faire comme si on parlait d'informatique, entendu ?


ALEXANDRE

D'informatique ???


JEAN

Oui... Par exemple, moi, j'ai commencé à l'étudier vers l'âge de sept ans, l'informatique... Pigé ?


ALEXANDRE

Ah d'accord ! Oui, pigé !


Jean et Alexandre passent la caisse, et vont s'asseoir à une table libre de quatre personnes. Ils commencent à parler quand un individu s'arrête à leur hauteur, tenant un plateau.


C'est Paul, qui entame la conversation.


PAUL

Salut Jean ! Eh bien Alexandre, tu manges bien tard aujourd'hui ? Mais je vois que tu t'es enfin mis à fréquenter les gens qui comptent ? (A Jean) Je parie qu'il est en train de te demander des tuyaux sur des trucs cochons : il voudrait bien savoir comment décrypter les photos pornos des CD des magazines sans passer par le 3615, par exemple, tu vois ?


ALEXANDRE

Paul !!! Mais voyons...?


JEAN

Cette question le préoccupe sûrement moins que toi, je parie... Mais tu ne t'es pas trompé, nous parlions justement d'informatique: nous avons eu tous les deux un parcours très similaire...


Paul s'installe à la table de Jean et d'Alexandre.


PAUL

Sans blague ??? Tu t'y connais en informatique, Alexandre ?


ALEXANDRE

Ben, heu...


JEAN (sur le ton de la confidence)

Quand nous étions tout petits, nous n'aimions pas aller taper dans un ballon avec les autres, pas vrai Alexandre ? Nous préférions des aventures plus vraies, plus exaltantes...


PAUL

Ah bon ? Lesquelles ?


JEAN

Nous savions où trouver des ordinateurs; nous relevions la nuit pour gagner ces endroits magiques, et nous y pénétrions, parfois avec effraction... nous nous emparions des objets enchantés de ce domaine interdit...


PAUL

Mais vous faisiez quoi ?


JEAN

Nous détournions des programmes ! Tu sais ce que c'est qu'un programme ? C'est une suite d'instructions qui impose à la machine de faire ce que l'auteur du programme a décidé... Ca peut s'étendre aux êtres humains: par exemple, Paul, les circonstances de la vie t'ont programmé pour sortir des plaisanteries obscènes à tout bout de champ... Eh bien nous, nous nous mettions à la place de la machine: de quel droit, nous disions-nous, comme elle aurait pu le dire, veut-on me faire me conduire de telle ou telle façon et non pas de telle autre ? Y'aurait-il un programme qui fait partie de moi, et un autre qu'on souhaiterait me voir exécuter de préférence ? Et de quel droit ? Nous tâchions de savoir quelles étaient les natures réelles de nos machines et pour quels programmes elles étaient vraiment faites... Tu sais, la philosophie est une grande aventure en soi...


PAUL

Vous déconnez, les gars, dites ?


JEAN

Oh mais ce n'était pas facile, tu sais... et c'était même très risqué... Si on nous avait pris, on nous aurait sérieusement rossés... Tu comprends, par commodité et par paresse, les gens n'aiment pas que quelque chose soit autre chose que ce qu'ils ont décidé que cela devait être; ce qu'ils aiment, c'est qu'une machine ait l'air d'une machine et se comporte en bonne machine, et pareil avec les hommes ou avec les femmes...


Paul est complètement héberlué.


JEAN

En compensation, nous avons beaucoup appris: sur les machines, sur les programmes, et même et sur les gens... surtout sur ceux qui utilisent ou considèrent les autres comme des machines, bien sûr...


PAUL

Mais vous êtes complètement dingues, les gars !


JEAN

Bien sûr Paul... Tu nous trouves dingues parce que tu ne nous comprends pas, et c'est normal parce que tu n'as jamais réfléchi ni sur toi-même ni sur les autres... Nous si... et c'est pourquoi nous te comprenons sans t'approuver... Mais sans pouvoir t'imiter car, vois-tu, tout ça ne nous a pas laissé beaucoup de temps pour acquérir les réflexes et la pratique de la pensée ambiante et ordinaire... Heureusement, nous avons quand même rencontré pas mal de gens bien...


PAUL

Vraiment ? Qui donc ?


JEAN (exprimant l'évidence et avec un clin d'oeil à Alexandre)

Mais... les informaticiens, bien sûr !


Paul fait un geste d'écoeurement et replonge dans son assiette.


ALEXANDRE (montrant qu'il a compris)

Ah oui, les informaticiens... Dis, tu en connais beaucoup, toi des autres... des informaticiens ?


JEAN (riant)

Oh oui ! Il y en a plein ! Partout ! Sais-tu que selon certaines statistiques, sur dix hommes, il y aurait jusqu'à six informaticiens ?


PAUL

Mais c'est n'importe quoi ! Impossible !


JEAN

Oh, je ne dis pas qu'il sont vraiment informaticiens de métier... Mais qu'ils ont, disons, l'esprit informatique... et qu'ils pratiquent de temps en temps !


ALEXANDRE

Mais comment le sait on ? Après tout, ce n'est pas inscrit sur leur figures, n'est-ce pas ?


JEAN

Non, en effet ! Mais sais-tu qu'il existe (baissant la voix) des associations d'informaticiens ?


ALEXANDRE

Je n'y aurais pas pensé !


JEAN

Et puis de nos jours, beaucoup d'informaticiens ont leur site internet; c'est la moindre des choses non ? C'est formidable, Internet: Ca permet de voir que nous ne sommes pas isolés, de faire connaissance, de discuter...


ALEXANDRE

Dis, tu pourras me montrer ? Je n'y suis jamais allé, moi, sur Internet.


PAUL

Eh bien Alexandre ? Si spécialiste que tu sois en informatique tu n'es pas trop fortiche ! Si je l'étais, moi, je sais bien ce que je ferais: il paraît qu'il y a de véritables banques de photos X là-dessus, des trucs d'enfer censurés partout !


JEAN

Ah tu sais, Paul, l'informatique est un domaine tellement vaste... chacun a sa spécialité ! Et pour ce qui est de photos, ça m'étonnerait beaucoup que tu en trouves jamais une qui ne soit pas déjà dans ta collection... A propos... va falloir nettoyer ton disque dur: ton micro va partir en maintenance la semaine prochaine...


PAUL

La semaine prochaine ? Mais je ne peux pas ! Du X, j'en ai 30 Gigas !


JEAN

Ne t'en fais pas, je te prêterai des disquettes... Bon, Excuse nous Paul, nous devons y aller...


Alexandre et Jean se lèvent avec leurs plateaux, laissant Paul catastrophé.


50 Intérieur. Le bureau d'Alexandre à la SCG. JOUR


Alexandre et Jean sont devant l'ordinateur, en train de regarder l'écran.


ALEXANDRE

C'est vrai ce que tu as raconté à Paul ? Il va devoir effacer ses trésors ?


JEAN

Penses-tu... dans deux ou trois jours je lui dirai que j'ai pu m'arranger... Il m'en sera éternellement reconnaissant... Bon, regarde bien, voici le code d'accès pour Internet... Voilà... et à présent tiens: le site d'une copine.


L'écran affiche la page d'accueil d'un site Internet, avec en son centre la photographie de Françoise.


Alexandre se retourne vers Jean.


ALEXANDRE (surpris)

Mais c'est Françoise ! Elle n'a pas peur qu'on la reconnaisse ?


JEAN

Comment veux-tu ? Tu m'as dit toi-même que tu ne m'aurais pas reconnue, non ?


ALEXANDRE

C'est vrai, mais... tout de même... s'exposer à la vue de tous, comme ça... je trouve ça risqué !


JEAN

Moins que tu ne crois... Tu sais, les gens regardent, mais ne voient pas, comme dit l'autre... Ils ne voient que ce qu'ils veulent voir, et si personne ne s'attend à te voir en fille sur Internet, personne ne t'y découvrira.


Jean se retourne vers l'écran.


JEAN

Bon, je vais te montrer ce qu'est un site Internet, ils sont tous à peu près sur le même principe...


Sur l'écran, le curseur de la souris se déplace sur le bouton "Entrée" et s'affiche alors à la place de la page d'accueil le menu général du site.


JEAN

Tu vois: une petite biographie, une galerie de photos, parfois des renseignements ou des informations sur le travestisme ou la transsexualité (ne pas confondre, bien sûr !), une adresse mail pour écrire à la personne... et surtout, les liens favoris avec d'autres sites... de telle sorte que tu peux naviguer de site en site à l'infini... c'est là que tu t'aperçois que tu n'es vraiment pas un cas unique...


Alexandre prend la souris et clique. Il lit l'écran.


ALEXANDRE

Mon Dieu... Elle a vraiment vécu ça, Françoise ?


JEAN

Hélas... Nos histoires ne sont pas toujours ni simples, ni faciles... Mais tu liras ça plus tard, regarde les liens; tiens, clique ici...


Alexandre clique.


L'écran affiche une nouvelle page d'accueil avec la photographie d'une fille superbe.


ALEXANDRE

Mon Dieu ! C'est... quelqu'un comme nous, ça ?


JEAN

Eh oui... comme nous, une erreur de la nature, mais... à ce point là, est-ce vraiment une erreur ?


Paul entre dans la pièce sans frapper.


PAUL

Hé les gars !


Alexandre et Jean relèvent la tête de derrière l'ordinateur.


Les mains de Jean plongent sur le clavier et s'agitent frénétiquement.


L'écran montre une page de tableur pleine de chiffres et de graphiques.


Paul s'approche de la machine.


PAUL

Puisque vous parliez d'Internet tout à l'heure... Vous voudriez pas me montrer comment on y va ? Y a un copain qui m'a passé une liste de sites, juste pour voir... Je vais la chercher, ok ?


JEAN

C'est pas sûr qu'on soit encore là à ton retour, Paul, on doit porter un dossier à la Direction dans deux minutes...


PAUL

Ca ne fait rien, je tente le coup ! Bougez pas !


Paul file hors de la pièce en courant.


Jean regarde Alexandre.


JEAN

Allons chez moi, ce casse-pieds va revenir ici dans trente secondes et ne nous fichera pas la paix avant d'avoir bavé son content...


Alexandre approuve d'un signe de tête. Jean et Alexandre se précipitent vers la porte et sortent à toute vitesse.


51 Intérieur. La passerelle intérieure du bâtiment. JOUR


Alexandre et Jean essouflés, se penchent sur la balustrade. Ils voient, dans le "puits" sur lequel donne tous les niveaux inférieurs, et à celui qu'ils viennent de quitter, Paul qui court jusqu'à la porte du bureau d'Alexandre avec dans les mains un listing de plusieurs pages.


Paul ressort du bureau, l'air dépité, et regarde à droite et à gauche. Il repart dans la direction d'où il était venu.


Alexandre et Jean se mettent à rire.


JEAN

Bon, viens dans mon antre, on sera plus tranquilles...


ALEXANDRE

Je ne sais même pas où elle se trouve exactement !


JEAN

C'est normal: Personne n'y a jamais pénétré ! Après tout, la gestion du réseau informatique est l'un des deux points capitaux de l'entreprise !


ALEXANDRE

Quel est l'autre ?


JEAN

Le centre de contrôle video, bien sûr ! Tout est filmé, ici, tu n'as jamais remarqué ? Regarde les caméras, (les lui montrant du doigt) là, là et là... Je sais où elles sont, car leur commande passe par mon propre réseau.


ALEXANDRE

Tu peux voir tout ce qui se passe alors ?


JEAN

Moi non; les types de la sécurité, oui. Moi je le pourrais... mais ça me demanderait du bricolage, et je n'ai pas le temps; et

puis ça ne m'intéresse pas. Allez viens... direction le sous-sol.


Jean se met en route. Alexandre le suit.


52 Intérieur. Le Bureau de Jean à la SGC. JOUR


A côté d'une grande baie vitrée qui donne sur un mini plateau informatique parfaitement propre et dégagé, Alexandre et Jean se frayent un chemin dans un invraisemblable amas de matériels informatiques divers, de revues informatiques et de câbles. Il y a tout juste la place pour passer. Ils aboutissent dans un espace "interne" relativement confortable avec quatre ou cinq écrans actifs. Jean prend place devant l'un d'eux et invite Alexandre à en faire autant.


JEAN

Je voulais te montrer autre chose que les sites: Sur Internet tu as aussi des canaux de discussion.


ALEXANDRE

Qu'est-ce que c'est ?


Jean pianote sur son clavier.


JEAN

Eh bien tu te connectes à un serveur fait pour, avec un logiciel approprié, tu sélectionnes un thème ou un titre et tu te retrouves dans une sorte d'espace, avec plein de gens qui partagent tes centres d'intérêts... Il y 'en a pour nous aussi; comme celui-ci, regarde:


Alexandre s'approche de l'écran et en déchiffre le contenu.


ALEXANDRE

"Salon T-girls" ? et qui sont ces gens ? Adeline, Sylvie, Jacqueline... Il y a de vraies filles ?


JEAN

Honnêtement, les femmes génétiques, c'est comme ça qu'on dit, sont plutôt rares ici, mais ça peut arriver... Jacqueline, que tu vois là, est une amie que j'ai déjà rencontrée... Une fille extraordinaire, qui a créé une entreprise pour les personnes comme nous... je t'en reparlerai à l'occasion. Les prénoms masculins par contre, correspondent à de vrais hommes.


ALEXANDRE

Que viennent-ils faire ici ?


JEAN

Draguer, évidemment ! Mais enfin, pas tous... Et s'ils se tiennent tranquilles, ça nous permet de discuter tranquillement entre nous !


ALEXANDRE

Alors tu y passes tes journées ?


Jean se retourne vivement du côté d'Alexandre.


JEAN

Bien sûr que non ! Tu crois que je n'ai pas assez de travail pour m'occuper ? Il peut m'arriver de passer des heures et même des journées sur Internet, mais c'est pour rechercher des solutions à des problèmes techniques... Et puis même si personne ne peut me contrôler, je ne suis pas payé pour ça ! Quand j'utilise Internet à titre privé c'est chez moi le soir... Tu devrais faire comme moi !


ALEXANDRE

Mais je n'ai même pas d'ordinateur chez moi !


JEAN

Tu sais qu'aujourd'hui les ordinateurs ne font plus 160 mètres de long sur 50 de large ? On en trouve dans tous les magasins, ou presque ! Achète en un !


ALEXANDRE

Mais je n'y connais rien !


JEAN

Devine à qui tu peux demander des tuyaux ?


Alexandre ouvre la bouche pour formuler une dernière objection, mais y renonce.


53 Extérieur. La rue devant le pavillon d'Alexandre. JOUR (CREPUSCULE)


La DS d'Emma s'arrête devant le pavillon d'Alexandre.


Le coffre est ouvert car il contient un énorme carton. Alexandre descend du côté passager et Jean du côté conducteur.


Jean aide Alexandre à sortir le carton du coffre et à le poser sur le trottoir. Jean va prendre quelques paquets supplémentaires à l'arrière de la voiture et les pose à côté du gros carton.


ALEXANDRE

Eh bien... Merci... Emma... Je vais rentrer tout ça tout seul... Ma femme va sûrement râler, et...


JEAN

Je comprends... Bonne chance ! Et peut-être à ce soir, qui sait ! Je t'ai donné toutes les coordonnées utiles...


Jean remonte dans la voiture, fait un dernier salut et démarre. La voiture s'éloigne.


54 Intérieur. La salle à manger. JOUR


Alexandre pénètre dans la pièce avec dans les bras le gros carton qui lui masque tout le haut du corps. Il le pose avec difficulté dans un coin de la pièce.


Les enfants, à table, ouvrent de grands yeux.


LES ENFANTS

Papa, Papa ! Bonjour Papa, Qu'est-ce que c'est ?


ALEXANDRE

Un ordinateur, les enfants !


LES ENFANTS

Un ordinateur ? Pour faire des jeux ?


Germaine entre dans la pièce à son tour et lève les yeux au ciel.


GERMAINE

Un ordinateur ! Manquait plus que ça ! Pour aller mater des cochonneries sur Internet, oui ! Mais je te préviens: si jamais...


ALEXANDRE (l'interrompant)

Mais non chérie, c'est à cause du bureau: tu avais raison, je suis décidé à en mettre un grand coup; avec cet ordinateur, je pourrai me connecter au bureau, avoir d'ici accès à tous mes dossiers, et noter toutes mes idées même pendant le week-end, bref, avoir un travail beaucoup plus efficace, qui me fera sûrement reconnaitre à ma véritable valeur; c'est bien ce que tu veux, n'est-ce pas ?


GERMAINE

Je me demande si tu n'aurais pas plutôt intérêt à ce qu'on te surestime, comme je l'ai fait pendant des années !


Germaine quitte la pièce.


Alexandre hésite à répondre.


ALEXANDRE

Et puis, dans les temps où nous vivons, il est bon que les enfants sachent ce que c'est qu'un ordinateur !


55 Intérieur. La salle à manger. JOUR


Alexandre qui déballe l'ordinateur.


Alexandre farfouillant dans la notice.


Alexandre aux prises avec les branchements des câbles.


56 Intérieur. La chambre à coucher. JOUR


Germaine qui prend son somnifère.


57 Intérieur. La salle à manger. JOUR


Alexandre qui surveille son écran.


Alexandre qui cherche fébrilement dans la notice.


Alexandre qui téléphone à Emma


58 Intérieur. La chambre à coucher. JOUR


Germaine qui dort à poings fermés, seule dans le lit.


59 Intérieur. La salle à manger. JOUR


Alexandre qui rayonne de joie devant son écran.


Un écran où s'ouvrent des fenêtres de "chats" Internet.


Alexandre qui tape fébrilement sur son clavier.


Un écran où s'ouvre une fenêtre de récupération de courrier électronique.


Le courrier indique: "Je te rappelle que la réunion pour la T-Pride est dans deux jours, chez Marie. Bises Emma".


60 Intérieur. Le Bureau de Jean à la SGC. JOUR


Jean est assis devant l'un de ses écrans. Alexandre est debout à côté de la machine et regarde Jean.


ALEXANDRE

Mais je ne peux pas y aller seul !


JEAN

Et pourquoi pas ?


ALEXANDRE

Je ne connais personne !


JEAN

Mais non ! Tu connais beaucoup de monde au contraire: la plupart des filles étaient à l'anniversaire de Liane !


ALEXANDRE

Mais j'en suis parti dès le début, avec toi, tu te souviens ?


JEAN

C'est la preuve qu'il fallait rester !


ALEXANDRE

Mais Marie, chez qui se fait la réunion, je ne la connais pas du tout, elle !


JEAN

Ecoute... si tu cherches une bonne raison de ne pas y aller... Je ne te la donnerai pas. Tu as obtenu un congé, profites-en. Si je pouvais t'accompagner, comme je l'avais prévu, j'irais. Mais je dois remonter ce serveur et j'en ai pour deux jours de travail: c'est impossible. Alors rassemble ton courage et vas-y. Que crains-tu ? D'être accueilli à coups de pierres ? De te montrer tel que tu es à des personnes qui sont comme toi ? Ca changera ta vie, je t'assure; (sortant une carte de sa poche) Tiens, voici l'adresse.


Alexandre prend la carte, et la tourne quelques secondes entre ses doigts avant de la mettre dans sa poche.


ALEXANDRE

Bon d'accord, j'y vais.


JEAN

Bravo.


Alexandre sourit et se dirige vers la porte. Arrivé à celle-ci, Jean l'appelle.


JEAN

ATTENDS !


Alexandre se retourne, surpris et inquiet.


JEAN

Ca ne suffit pas, d'y aller: quand tu seras là-bas, devant la porte... ENTRES-Y !


Alexandre se met à rire.


ALEXANDRE

Promis !


Alexandre sort de la pièce.


61 Extérieur. La rue devant la maison de Marie, en banlieue. JOUR


Alexandre marche avec hésitation dans la rue, regardant alternativement les numéros des pavillons et la carte de visite qu'il tient à la main. Arrivé devant le N° 13, il s'arrête, regarde à droite, puis à gauche, hésite encore et reprend sa marche.


Alexandre se rend au coin de la rue et s'y dissimule derrière un panneau de stationnement interdit. Il fait le guet, surveillant attentivement la rue.


Un retraité qui fume sa pipe, le journal plié sous son bras, passe devant chez Marie.


Le retraité passe devant Alexandre.


Un jeune homme passe à son tour devant Alexandre, dans l'autre sens.


Le jeune homme passe devant chez Marie et jette un coup d'oeil dans le jardin sans ralentir sa marche. Il s'éloigne.


Alexandre regarde sa montre.


Un vieille et grosse dame qui promène un chien minuscule passe devant chez Marie, dans le même sens que le retraité.


Le petit chien vient se frotter aux jambes d'Alexandre.


LA VIEILLE DAME

Oh, vilain Kiki ! Excusez le Monsieur, il n'est pas méchant, c'est juste pour jouer...


ALEXANDRE (agacé)

Mais je vous en prie, Madame...


LA VIEILLE DAME

Il vous aime bien on dirait... vous avez de la chance ! Oh, c'est pas un chien de garde, vous savez... mais ça me fait une présence... depuis que j'ai perdu mon mari, il y a quarante ans, il était dans le chemins de fer, j'en ai eu 5. Et puis on ne sait jamais quand même, il se passe tellement de choses bizzarres dans le quartier...


Alexandre sourit par politesse, mais continue à surveiller la rue.


LA VIEILLE DAME

Tenez, par exemple... quand je vous le disais...


ALEXANDRE

Quoi donc ?


LA VIEILLE DAME

Cet homme qui arrive, là-bas, regardez...


Alexandre regarde dans la direction indiquée par la vieille dame.


Un homme avec des lunettes noires, et qui porte avec difficulté un énorme sac de sport, rase les murs. Il passe avec une gêne visible devant Alexandre et la vieille dame qui le suivent des yeux sans mot dire.


Arrivé devant chez Marie, il sonne discrètement, pousse le portillon et entre dans le jardin.


Quelques secondes plus tard, un autre homme, qui transporte une grosse valise, la pose avec fracas devant chez Marie, sonne à la porte, pousse à son tour le portillon et entre.


LA VIEILLE DAME

A mon avis, ça doit être une réunion de "dileurs" ! Bon... Bien le plaisir, Monsieur, je dois rentrer pour préparer la pâtée de mon Kiki...


ALEXANDRE (soulagé)

Au revoir, Madame...


La vieille dame tire sur la laisse et s'apprête à reprendre son chemin. Elle manque rentrer en collision avec Françoise, en grande tenue, qui arrive à ce moment là dans leur direction.


LA VIEILLE DAME

Oh pardon Madame !


FRANCOISE

Mais ce n'est rien, Madame, je vous en prie !


La vieille dame s'éloigne sans avoir rien remarqué.


FRANCOISE (taquine)

Coucou, Alexandre... ! Mais quelle surprise, il est venu !


ALEXANDRE

Heu, oui... Je suis venu... pour voir...


FRANCOISE

Et bien viens voir, dans ces conditions... Emma n'est pas avec toi ?


ALEXANDRE

Non... Elle a été retenue à son travail...


Françoise et Alexandre s'éloignent. Ils arrivent devant chez Marie. Françoise sonne, pousse le portail et ils entrent tous les deux dans le jardin.


62 Intérieur. Le Hall de la maison de Marie. JOUR


Des filles sont en train de finir leur maquillage: deux sont assises sur les fauteuils, et font des raccords de fond de teint munies d'une glace de poche; trois se partagent la grande glace murale pour surveiller leur application de mascara.


LES FILLES

Bonjour Françoise ! (A Alexandre) Bonjour Toi !


Alexandre esquisse un petit salut timide.


FRANCOISE

Coucou les filles... (Appelant) Marie ! C'est nous !


Marie arrive dans le Hall. C'est une T*girl d'environ quarante-cinq ans, avec un zeste de préciosité dans sa voix, ses gestes, son attitude.


MARIE

Bonjour Françoise... tu vas bien ?


FRANCOISE

Oui Marie, merci... Je t'ai amené Alexandre, qui vient nous aider à trouver des idées... C'est un ami de Liane et d'Emma qui est très concerné par le sujet !


MARIE

Ah, bien... Bonjour Alexandre ! Je crains que tu ne soit le seul habillé en homme ici... Ca ne te dérange pas ? Viens... je vais te mettre dans l'ambiance !


Avant qu'Alexandre ait pu répliquer quoi que ce soit, Marie le prend par le bras et l'entraîne dans la pièce principale. Ils sont suivis par Françoise.


63 Intérieur. La salle à manger de la maison de Marie. JOUR


Marie se tient sur le seuil, Alexandre à son bras. Ils avancent dans la foule des filles qui discutent entre elles. Alexandre regarde les filles avec envie et curiosité. Marie est arrêtée par une amie qui discute avec elle et Alexandre reste à écouter la conversation de deux filles qui sont près de lui: Pascale, une grande mince sobrement vêtue, peu maquillée, calme et sereine, et Victoria, pas très grande, presque rondelette, savamment maquillée, qui tire fébrilement sur sa cigarette.


PASCALE (à Victoria)

Alors, ça y est ? tu as le feu vert de ta psy ?


VICTORIA

Oui ça yest ! J'attendais ça depuis si longtemps... tant d'années... Et maintenant je trouille très fort...


PASCALE (à Victoria)

C'est normal, ma chérie, il faut y passer...


VICTORIA

Ce qui m'angoisse le plus, c'est la douleur. J'ai lu que ca faisait terriblement souffrir ! Et puis... si c'est mal fait ?


PASCALE

Tu sais, maintenant, avec les nouveaux anti-douleurs, ce n'est quand même plus pareil... Quand on devait aller au Maroc... Et puis il y a des chirurgiens très compétents... Ou vas tu aller ?


VICTORIA

Belgique... La Thaïlande c'est trop loin... Et puis j'ai beaucoup de copines qui en sont revenues satisfaites. (tirant une bouffée) Mais j'angoisse quand même.


PASCALE

C'est le dernier moment à passer... (souriant) Et puis c'est fait une fois pour toutes...


VICTORIA (lui rendant son sourire)

Et toi ? Tes papiers ?


PASCALE

Ca rame encore un peu, mais je crois que c'est pour bientôt... Je ne vois pas ce qui manquerait: j'ai une attestation du psy, une attestation du chirurgien, une attestation de notoriété et une attestation attestant que les attestations sont attestées !


Les filles pouffent de rire et Alexandre aussi. Les filles le regardent et engagent la conversation.


VICTORIA

Bonjour toi ! Tu sais que c'est pas une soirée travestie, ici ?


ALEXANDRE

Je... Heu...


Marie se retourne et le tire d'affaire en s'adressant à Pascale et à Victoria.


MARIE

Ah non, ne commencez pas à tourmenter mon invité d'honneur, vous deux ! Je vais d'ailleurs faire une annonce... (Claquant des mains et élevant la voix) Les filles ! Les filles ! Nous allons pouvoir commencer! Je vous présente Alexandre, il va nous être très précieux, n'est-ce pas Alexandre ?


Alexandre fait un geste de surprise et de modestie.


MARIE

Allons nous asseoir, sinon nous ne pourrons pas travailler !


Marie reprend le bras d'Alexandre et suit le mouvement de la foule qui s'installe autour de la table.


64 Intérieur. La salle à manger de la maison de Marie. JOUR


La grande table de la salle à manger est occupée sur les deux côtés de sa longueur par des T-girls aussi variées que possible. A chaque place, une tasse à thé vide qui n'a pas encore servi


Marie va s'asseoir, au milieu, à une place "d'honneur" qui lui a été réservée entre deux filles.


Alexandre va s'assoir à la première place libre, du côté opposé à Marie, sur le côté. Sa voisine lui fait un sourire et engage la conversation.


Le brouhaha se calme.


MARIE

Bon... Alexandre, je ne fais pas les présentations dans l'autre sens, tu verras tout ça tout à l'heure. Pour l'instant, je vous rappelle que nous sommes réunies ici pour étudier si nous ne pourrions pas mettre sur pied notre propre défilé, que nous avons baptisé la "T-Pride", au lieu de nous intégrer dans un petit espace de la Gay-Pride traditionnelle...


NATACHA

Ben déjà, si tu permets, moi je vois pas pourquoi on ferait un défilé à part ?


MARIE

L'idée nous en est venue pour plusieurs raisons, Natacha... D'abord parce que, bon, je ne rejette pas la Gay-Pride et ce que ça représente, ni ce que ça a apporté, je ne la remets pas en cause, mais nous sommes un certain nombre à penser qu'elle ne nous permet pas de nous exprimer dans toute notre sensibilité...


FRANCOISE

Oui: il faut dire que c'est toujours difficile de placer nos chars dans la Gay Pride: d'abord on est obligé d'en limiter le nombre, et puis ensuite les organisateurs ne savent jamais à quel endroit nous placer...


MARIE

Sans compter que aujourd'hui ça va mieux, mais les relations entre eux et nous n'ont pas été toujours au beau fixe dans le passé... Enfin bref... Nous pensons que nous sommes suffisamment nombreuses et décidées aujourd'hui pour pouvoir faire nous même un vrai défilé avec toutes nos "composantes": les transsexuelles, les travesties, les transgenre en général... Et on ne fait pas ça pour imiter bêtement la Gay Pride, mais parce que cet événement permettrait de faire connaître nos difficultés spécifiques.


BEATRICE

De toutes façons, c'est pas nous qui copions: historiquement le premier défilé qui est devenu la Gay-Pride, c'est des filles comme nous qui l'ont monté ! Et les émeutes de Stonewall, c'est nous aussi !


MARIE

C'était un message de notre historienne de service... Béatrice, pour ne pas jeter de l'huile sur le feu et parvenir à nos fins dans de bonnes conditions, nous ne ferons pas état de ces informations dans le public !


CHRISTINE

Ben moi je suis pour, mais par contre, je vois pas pourquoi nous, trans, on devrait défiler avec les travestis... Je n'ai rien contre vous, bien sûr, mais nos vies ne sont pas les mêmes, nos buts non plus et je crois qu'il ne faut pas tout mélanger !


FRANCOISE

Excuse moi, Christine, mais là je t'arrête tout de suite: nous voulons faire précisément ce défilé en commun parce que nous avons, transsexuelles et travesties, le plus fort point commun qui soit: nous avons contre nous les préjugés des gens qui ne nous connaissent pas ni les unes ni les autres, et qui ne feraient pas de distinguo pour tirer dans le tas s'ils le pouvaient; Il n'y a qu'ensemble que nous pouvons venir à bout de ces gens là...


MARIE

Oui, et puis justement ce serait bien si à l'occasion de ce défilé nous pouvions éviter de nous tirer dans les pattes... Je ne veux pas que ce défilé finisse en bagarre rangée à coup de pancartes, les Ts contre les Tv, les associations les unes contre les autres... Je voudrais qu'on soit résolument unies, pour une fois.


CHRISTINE

Comment ça, "pour une fois" ?


Le brouhaha reprend de plus belle. Une fille passe pour faire le service du thé et des petits gâteaux.


65 Intérieur. La salle à manger de la maison de Marie. JOUR


Une fille qui expose des arguments avec véhémence.


Une autre qui montre qu'elle n'est pas d'accord.


Marie qui apaise la discussion.


Une fille qui suit les débats en tendant sa tasse de thé à celle qui le verse.


Une autre qui suit les débats en grignotant son petit gâteau.


Une fille qui expose des choses sérieusement, avec des gestes méthodiques.


Une fille qui suit le discours, fascinée.


Une fille qui suit aussi, souriante et rêveuse.


La fille qui goûte son thé.


Une fille qui expose des choses avec humour.


Des filles qui rient aux éclats et finissent dans un sourire complice.


La fille qui suit toujours en grignotant son gâteau, et rit timidement dans son coin.


66 Intérieur. La salle à manger de la maison de Marie. JOUR


MARIE

Bon, alors, nous sommes bien d'accord... Premièrement, bien informer tout le monde... Alexandre, tu demandes à Emma de répercuter à toutes les filles d'Internet...


Alexandre fait un signe de la tête.


MARIE

Toi Béatrice, tu te charges des filles du Minitel, si ça existe encore...


Béatrice est une fille d'un certain âge mais bien conservée, avec une certaine élégance.

BEATRICE

Bien sûr que ça existe encore ! Entendu, ce sera fait !


MARIE

Et toi, Laura...


Laura est une fille très blonde au maquillage plutôt lourd, habillée à la façon d'une danseuse de saloon dans l'Ouest des USA au siècle dernier. Elle se retourne pour écouter Marie.


MARIE

Toi, c'est, heu, les filles du Bois...


Laura acquiesce d'un clin d'oeil incendiaire.


MARIE

Souvenez vous bien qu'il faut leur dire que le principe du défilé est adopté, qu'on cherche des idées de chars, les chars eux mêmes et les volontaires pour les préparer, monter dessus et défiler ! Et comme il nous reste environ quatre semaines pour ça, le pari est loin d'être gagné ! Enfin, on verra bien ! Je lève la séance !


Tout le monde se lève. Alexandre suit le mouvement et se retrouve perdu dans un flot de robes, et de chevelures. Il fait quelques pas tant bien que mal et se retrouve nez à nez avec Marie.


MARIE

Alors Alexandre ? Emballé, j'espère ? (sans laisser à Alexandre le temps de répondre) J'ai oublié de te dire: La fête que Liane donne pour son anniversaire, c'est dans trois jours ! Emma et toi vous êtes invités, tu lui diras ? Dans trois jours chez Liane !


Marie est happée par des amies. Alexandre retrouve tout seul le chemin de la sortie.


67 Intérieur. Le bureau d'Alexandre à la SGC. JOUR


Alexandre à son bureau: il est replongé dans ses dossiers. Derrière lui une pendule indique 19 h. Le téléphone sonne. Alexandre étend la main, décroche et répond.


ALEXANDRE

Allo ? Emma ? Pour l'anniversaire de Liane, non je n'ai pas changé d'avis... Ecoute, aller chez toi pour me changer ça va nous retarder... C'est chez toi que tu vas te changer ? Mais je ne veux pas te déranger... Et puis si on s'habille chacune à notre tour, on va mettre deux fois plus de temps, il vaut mieux que je sois déjà prête et que je t'attende dans la voiture... -(à court d'arguments) Ecoute, je ne veux pas monter chez toi parce que.. parce que je ne veux pas être vue dans la rue, voilà pourquoi, il va y avoir plein de monde dehors... je ne veux pas... Bon, dans cinq minutes.


Alexandre raccroche, l'air pensif. Il referme le dossier qu'il examinait, recapuchonne son stylo et le range sur le dessus de son bureau.


Alexandre se lève comme mû par une impulsion subite. Il se dirige vers une armoire, l'ouvre, s'accroupit devant et plonge la main à l'intérieur, derrière une rangée de dossiers suspendus.


La main d'Alexandre retire de l'armoire un sac en plastique. Elle défait le dessus, fouille dedans et en retire à demi un soutien-gorge blanc par sa bretelle. Elle le repousse à l'intérieur.


Alexandre se relève avec le sac, le met sous le bras comme s'il s'agissait d'un trésor qu'il venait de découvrir et quitte son bureau.


68 Intérieur. Devant les toilettes "hommes" à la SGC. JOUR


A l'entrée des toilettes: Jean attend.


Alexandre arrive avec son sac sous le bras. Il se dirige vers la porte "hommes" puis s'arrête.


JEAN

Qu'est-ce qu'il y a ?


ALEXANDRE (indécis)

Je vais chez les hommes, ou chez les femmes ?


JEAN (surpris)

Ben pourquoi tu irais chez les femmes, vu que pour l'instant tu es habillé en homme ?


ALEXANDRE (avec énervement)

Mais quand je vais en sortir ! (chuchotant et scandant les syllabes) JE SE-RAI EN FEMME ! Si un homme entre ?


JEAN

Justement, je suis là pour l'empêcher d'entrer: je lui dirai que c'est bouché. Tu auras le temps d'aller dans une cabine. S'il entre tout de même tu n'auras qu'à attendre qu'il ressorte.


Alexandre réfléchit. Sans mot dire, il entre et referme la porte sur lui.


69 Intérieur. Les toilettes "hommes" de la SGC. JOUR


Alexandre déballe son matériel sur le lavabo.: la perruque, les vêtements, les produits de maquillage, un rasoir électrique.


Alexandre se passant le rasoir électrique sur la figure.


Alexandre s'étalant du fond de teint.


Jean, devant la porte, les bras croisés, regardant à droite et à gauche.


Alexandre se mettant du mascara.


Alexandre se poudrant.


Jean, devant la porte, regardant sa montre.


Alexandre s'appliquant du rouge à lèvres.


Alexandre mettant sa perruque.


70 Intérieur. Devant les toilettes "hommes" de la SGC. JOUR


Jean déambule devant la porte. Celle-ci s'ouvre lentement.


Vu de la porte, Jean semble s'apprêter à dire quelque chose, puis y renoncer.


Alexandre a une jupe plissée rouge qui lui arrive à mi cuisse, une chemisier vert pomme dont les manches lui arrivent au coude et une perruque rousse. Ses yeux sont entièrement cerclés de noir et il a aux poignets une multitude d'anneaux qui font un bruit d'enfer en s'entrechoquant. Ses chaussures ont des talons de 8 cm.


ALEXANDRE

Alors ? Ca va ?


JEAN (un peu effaré)

Heu... Tu n'as pas un manteau ?


ALEXANDRE

Non, pourquoi ?


JEAN

Ca ne fait rien... Viens, dépêchons nous, il faut aller au parking avant la ronde de 20 Heures.


Alexandre fait quelques pas, puis manque tomber; Il est retenu par Jean, qui se précipite.


JEAN

Je crois que tu ferais bien d'enlever tes chaussures... Tu portes des hauts talons d'habitude ?


ALEXANDRE

D'habitude non... Je les ai achetés hier... Comme c'est une soirée de fête j'ai fait un effort pour ma tenue... Au fait, je m'appelle Kelly, désormais... Ca va bien avec, non ? Ca fait un peu sophistiqué. Qu'est-ce que tu en penses ?


JEAN

Eh bien tu sais... il faudra te trouver un bon fauteuil et ne pas en bouger... Sinon tu vas t'esquinter les chevilles...


ALEXANDRE

Ah, dommage... Si on danse ?


Jean lève les yeux au ciel et s'en va. Alexandre enlève ses chaussures et suit Jean qui s'éloigne dans les couloirs.


71 Intérieur. Dans les sous-sols de la SGC. JOUR


Jean est en tête, avec Kelly/Alexandre derrière lui, ses chaussures à la main.


A un carrefour, Jean s'immobilise. Il fait signe de s'arrêter à Kelly; Jean regarde à droite, à gauche, puis lui fait signe de venir.


Kelly avance à grandes enjambées silencieuses et passe le carrefour.


A un autre carrefour, Jean s'arrête encore. Il écoute. Il fait signe à Kelly de se cacher dans un renfoncement.


Kelly s'exécute en catastrophe.


Jean s'accroupit pour faire semblant de relacer sa chaussure droite. Une femme de ménage du service d'entretien passe devant lui en poussant son chariot.


Jean la suit du regard, se relève et fait signe à Kelly de venir.


Kelly arrive et passe le carrefour avec une mimique de crainte.


A un autre carrefour, Jean s'arrête encore. Il jette un rapide coup d'oeil, a une réaction de surprise et se rejette dans l'ombre.


Jean retourne au niveau de Kelly, la pousse dans un renfoncement sans lui donner d'explications, en lui faisant signe de se taire. Jean se jette lui-même dans un renfoncement symétrique.


Au carrefour passe un ponte, un homme dans la cinquantaine, bedonnant, qui avance à pas lents, un gros cigare à la main. Arrivé au niveau de la galerie où cheminaient Jean et Kelly, il s'arrête, jette un coup d'oeil, tire une bouffée de son cigare et repart satisfait.


Jean et Kelly sortent prudemment de leurs cachettes et avancent de concert dans la galerie.


72 Intérieur. Au parking souterrain de la SGC. JOUR


Jean et Kelly arrivent devant la porte métallique du parking. Jean l'ouvre avec sa clef et passe sa tête dans l'entrebaîllement.


JEAN

Il va être huit heures (regardant sa montre). Oui, c'est ça, huit heures moins cinq. C'est ce que je craignais.


Kelly (alertée)

Quoi donc ?


JEAN

La ronde des vigiles du parking. Ils vont bientôt passer.


Kelly (inquiète)

Quest-ce qu'on va faire ?


JEAN

Ma voiture n'est pas très loin. Mais il vaut mieux que tu m'attendes ici.


Kelly

TOUTE SEULE ?


JEAN

J'en ai pour deux minutes ! Si elle démarre...


Kelly montre un visage décomposé.


Jean garde le silence et part chercher la voiture..


73 Intérieur. Au parking souterrain de la SGC. JOUR


Kelly se ronge les ongles. Soudain elle dresse l'oreille et regarde au loin.


Une équipe de vigiles avec des chiens et des matraques progresse dans un coin du parking.


Kelly jette des regards désespérés à droite et à gauche.


La Ds de Jean prend un virage qui fait crisser ses pneus et s'arrête juste devant Kelly.


Kelly se jette sur la portière et n'arrive pas à l'ouvrir en poussant des cris d'énervement. A l'intérieur, Jean l'ouvre pour elle. Kelly s'engouffre dans la voiture.


La voiture démarre sur les chapeaux de roue et disparaît dans une allée.


74 Intérieur. Dans la voiture de Jean. JOUR


Jean et Kelly rient de l'aventure pour se soulager.


JEAN

Bon, il ne me reste plus qu'à aller me changer chez moi...


KELLY

Ben tu aurais pu le faire ici, non, comme moi ?


JEAN

Tu es folle ! Je ne fais jamais ça: c'est trop dangereux !!!


Sur le trajet: Alors que Jean s'arrête à un feu rouge, le conducteur de la voiture voisine remarque Kelly, rigole ouvertement, et la désigne au copain qui l'accompagne. Kelly se tourne vers Jean.


KELLY

Démarre, démarre !


JEAN

Mais je ne peux pas ! C'est au rouge !


KELLY

Mais fais quelque chose ! Ces deux types, ils vont descendre, ou bien nous suivre, ou...


JEAN

Calme toi, voyons ! Ils s'amusent, c'est tout... Dès que le feu sera vert ils nous auront oubliés.


Le feu passe au vert. La voiture des deux hommes démarre, non sans que ceux-ci fassent des gestes obscènes à Kelly.


KELLY

Ouf, tu avais raison...


Kelly se tasse sur son siège.


JEAN

Si tu veux, j'ai le coffre...


La voiture de Jean s'arrête à un deuxième feu rouge. La voiture voisine du côté de Kelly est cette fois conduite par une femme d'un certain âge qui porte des lunettes.


Celle-ci aperçoit juste la tête de Kelly qui dépasse du montant de la portière. Elle ajuste ses lunettes et sourit. Kelly sourit également.


Jean redémarre. Après avoir tourné deux ou trois fois il arrête la voiture à une faible distance d'un commissariat où un planton monte la garde.


KELLY

Mais... Qu'est-ce que tu fais ?


JEAN

Je m'arrête ! Nous sommes arrivés chez moi !


KELLY

Oui, mais pourquoi t'arrêtes-tu ICI ?


JEAN

Bien obligé... c'est la seule place de libre de tout le quartier !


Kelly soupire.


JEAN

Je reviens dans une demi-heure... Promis !


Jean descend de la voiture et disparaît.


Kelly regarde attentivement en direction du commissariat. Le planton regarde ailleurs. Puis il tourne la tête et regarde dans la direction de Kelly. Kelly se tasse encore une fois sur son siège.


Kelly regarde sur le siège arrière et aperçoit un vieux journal. Elle le prend, le déplie devant elle et s'abrite derrière. Elle feuillette quelques pages, regarde par la vitre, refeuillette le journal.


Jean s'assied dans la voiture, habillé en Emma: Sous son manteau on voit une robe de soirée et des bijoux assortis. Jean/Emma donne son sac à Kelly.


EMMA

Bon, on y va !


Emma démarre. Kelly continue à se cacher derrière son journal.


75 Intérieur. L'appartement de Liane. JOUR


Emma et Kelly sont sur le pas de la porte que Françoise tient ouverte.


FRANCOISE

Emma ! (Avec un doute) Alexandre ?


EMMA

Françoise, je te présente Kelly !


FRANCOISE

Ah ! Kelly, Bienvenue chez Liane ! Elle doit être dans un coin rendu totalement inaccessible par la foule de ses admiratrices...


Dans l'appartement, la foule est compacte: Des filles en grande tenue discutent gentiment les unes avec les autres, une flûte de champagne à la main et piochant de temps à autre dans les assiettes de petits fours qui circulent à la ronde.


FRANCOISE

Emma, tu connais déjà tout le monde... Kelly, je vais te présenter mieux que tu ne l'as été aux "Trois-Etoiles"... Viens !


Françoise prend Kelly par la main et l'amène à deux amies qui se tournent vers la nouvelle arrivante: Hélène, en tenue de soubrette, une assiette pleine petits fours à la main, et Gudrün, une dominatrice en cuir, son fouet en bandoulière.


FRANCOISE

Les filles, je vous présente Kelly, une amie de Liane. Kelly, voici Hélène, qui aime bien faire le service (Hélène présente à Kelly l'assiette de petits fours, timidement et avec un légère génuflexion), et Gudrün, qui aime bien être obéie.


GUDRUN

Par les hommes seulement... (s'adressant à Kelly avec sévérité) Tu ne serais pas un homme par hasard, au fond de toi ?


KELLY

Heu... non, je ne crois pas, non...


GUDRUN

Dommage... Ca manque d'hommes, ici...


Gudrun pose la main sur le manche de son fouet et en éprouve la matière, comme si cela lui démangeait. Françoise entraîne Kelly devant un nouveau groupe constitué de Solweig et de Catherine, habillées de façon assez provocante. Catherine jette un oeil à la tenue de Kelly et lui saute au cou.


CATHERINE

Ah, enfin ! On commençait à se demander si on serait les seules ! Toi aussi tu aimes l'exhib ?


KELLY

C'est à dire, en fait... je...


FRANCOISE

C'est Kelly, une amie de Liane... Voici Solweig et Catherine... Qui aiment bien se montrer !


SOLWEIG (sur le ton de la confidence)

Et encore, nous c'est rien ! Si tu connaissais Maud ! Son truc c'est les routiers... Elle a fait toutes les aires d'autoroute de France: elle gare sa voiture du côté des camions, en sort pour montrer ses jambes sous prétexte de se délasser, remonte dans sa voiture et s'en va avant que les gars aient le temps de seulement descendre de leurs cabines !


CATHERINE

Remarque, ça vaut mieux.. Mais quand elle fait Paris-Marseille, elle en a pour un mois (rires)!


SOLWEIG

Elle devrait être là, mais... peut-être qu'elle a fait du stop !


Kelly, un peu gênée, s'éloigne en laissant Solweig et Catherine à leur délires. Françoise la rejoint.


FRANCOISE

Kelly ? Ca va ? Elles sont un peu spéciales et fofolles, mais pas méchantes, tu sais !


KELLY

Je sais... c'est juste que... je ne suis pas comme ça. (Inquiète) J'ai l'air d'être comme ça ?


FRANCOISE

Non bien sûr ! La plupart d'entre nous ne sont pas "comme ça". Mais Emma te dirait qu'elles font partie de la famille et qu'il faut les accepter comme elles sont. Tiens, voilà Liane !


LIANE (apercevant Kelly)

Oh, Alex... oh, je ne sais pas si je dois encore t'appeler ainsi ?


Emma rejoint Liane et Françoise.


FRANCOISE

Bien sûr que non, Liane ! Car Alexandre est mort et Kelly vient de naître !


EMMA (taquine)

Oh, Françoise... Juste l'alexandrin que je rêvais de faire !


LIANE

Kelly, dis-tu ? Hmmm... attendez, elle n'est pas encore tout à fait née, je pense !


76 Intérieur. Dans l'appartement de Liane. JOUR


Liane ôte ses chaussures et invite Françoise à l'aider pour monter sur le canapé tout proche. Ainsi juchée, elle harangue ses invitées.


LIANE

Mes amies ! Mes amies ! (Le brouhaha diminue) Mes amies ! (Le silence se fait). Si je vous ai réunies ici ce soir c'était initialement, vous le savez, pour fêter mon (baissant la voix pour être inaudible) ... (haut) ème anniversaire. Mais qui dit anniversaire dit naissance, et nous avons quelqu'un d'autre ici qui va naître ce soir: mon amie Kelly que voici ! (Elle fait signe à Kelly de monter sur le canapé)


Kelly ne veut pas monter sur le canapé. Françoise et Emma la poussent. Liane prend la main de Kelly et la force à monter.


Kelly est sur le canapé, prête à pleurer d'émotion. Les filles éclatent en applaudissements. Liane les laisse applaudir quelques secondes puis les réduit au silence sur un signe de la main.


LIANE

Mes amies ! Je vous invite à aider Kelly à naître parmi nous ! Je fournis la robe ! (Acclamations) ; Qui la coiffure ? (Cris: Moi ! Moi !) Qui un bijou ? (Cris: Moi ! Moi !)Qui veut maquiller Kelly ? (Cris: Moi ! Moi !) D'accord ? (Cris: Ouuuuiiii !)


Les filles se ruent sur Kelly et l'emmènent dans la salle de bains.


77 Intérieur. Dans la salle de bains de l'appartement de Liane. JOUR


Les filles enlèvent successivement à Kelly, malgré sa résistance, ses vêtements, ses bijoux, sa perruque et son maquillage. Kelly/Alexandre se retrouve pratiquement nue.


Françoise prend la direction des opérations en imposant le calme et le silence par des gestes d'apaisement. Elle avise Marie dans l'assistance et l'invite par signes à la rejoindre à côté de Kelly.


FRANCOISE

Marie, tu seras la maquilleuse-habilleuse !


Marie accepte gravement.


FRANCOISE

Cache Barbe !


Des tubes et des flacons sortent de plusieurs mains tout autour de Kelly. Marie en prend un et en passe le contenu sur les zones sensibles du visage de Kelly.


FRANCOISE

Fond de teint !


Des tubes et des flacons de fond de teint, de toutes formes et de toutes couleurs, surgissent spontanément des mêmes mains que précédemment Marie choisit des échantillons et les compare à même la peau de la joue de Kelly. Elle les efface ensuite tous avec un mouchoir en papier, sauf un, qu'elle étale sur le visage de Kelly.


FRANCOISE

Mascara !


Le visage de Kelly avec les yeux passés au mascara noir.


FRANCOISE

Fards à paupières !


MARIE (OFF)

Rose !


Le visage de Kelly avec les paupières maquillées en rose.


FRANCOISE

Crayon à sourcils !


Le visage de Kelly avec les sourcils faits.


FRANCOISE

Fard à joues !


Le visage de Kelly avec les joues rehaussées.


FRANCOISE

Poudre !


Le visage de Kelly avec le visage poudré.


FRANCOISE

Rouge à lèvres !


MARIE (OFF)

Rouge vif !


Le visage de Kelly avec les lèvres dessinées et maquillées en rouge vif.


FRANCOISE (marquant la dernière étape)

Perruque !


MARIE (OFF)

Blonde !



Le visage de Kelly avec une perruque blonde longue.


Le visage de Kelly avec une perruque blonde courte coupée au carré.


Le visage de Kelly avec une perruque blonde moyenne "floue".


Le visage de Kelly avec une perruque blonde moyenne lisse.


CHOEUR DES FILLES (OFF)

Ohhhhhhh !


Marie tend une glace à Kelly.


FRANCOISE

Kelly, tu es superbe !


Kelly se regarde dans la glace, supéfaite et heureuse, regarde alternativement Marie, Françoise et son reflet, rit aux éclats.


Marie apporte à Kelly une des robes de scène de Liane. Kelly reste interdite puis la prend délicatement, souriant à tout le monde, et commence à la passer.


78 Intérieur. Dans la salle de Séjour de l'appartement de Liane. JOUR


Liane et Emma discutent amicalement, assises sur le canapé. Elles tournent les yeux dans la direction qui leur fait face et restent ébahies.


Kelly est là, magnifique, flanquée de Françoise et de Marie, les trois entourées des autres filles. Kelly fait un geste d'impuissance, un grand sourire aux lèvres.


FRANCOISE

Pas mal, non ? C'est l'oeuvre de Marie !


MARIE

C'est facile... Quand le modèle est bon !


Kelly va faire assaut de modestie quand retentit la sonnette d'entrée, pressée avec fébrilité en alternance avec le tambourinement de la porte.


Les filles se taisent et s'immobilisent toutes.


Liane se lève, traverse la pièce et va ouvrir la porte. Véronique entre, les cheveux en bataille, les mains sur les yeux. Liane laisse la porte ouverte.


LIANE (Atterrée)

Véronique...


Liane prend Véronique dans ses bras. Véronique enlève les mains de ses yeux rougis. Elle porte un sérieux coquard à l'oeil gauche.


VERONIQUE (en sanglots)

Oh Liane... Il a recommencé... C'est de ma faute... je n'ai pas obéi assez vite... j'aurais dû le savoir...


Liane conduit doucement Véronique vers le canapé, au fond de la pièce. Liane et Véronique s'assoient. Véronique pleure sur l'épaule de Liane.


Les filles se rapprochent doucement de Liane et de Véronique.


FRANCOISE

Ce n'est pas de ta faute, tu n'as rien à voir avec ça; c'est lui qui est un abruti et un malfaisant ! Pourquoi restes-tu avec ce... (bafouillant d'indignation) ce... ce... minable ?! Prends tes enfants et va t'en !


VERONIQUE (toujours en sanglots)

On n'a pas d'enfants... Il ne peut pas... Mais je l'aime !


Les filles se regardent les unes les autres.


Le mari de Véronique entre brusquement dans la pièce, rejetant la porte avec violence, qui va heurter bruyamment le mur. C'est un homme d'une quarantaine d'années, coiffé très court, assez massif.


Les filles sursautent et se retournent vers la porte.


LE MARI DE VERONIQUE

Ah, évidemment, tu es là... (faisant quelques pas dans la pièce avec arrogance) chez tes... (ironique) amies...


Le mari de Véronique met les mains sur les hanches et toise les filles les plus proches de lui avec mépris.


LE MARI DE VERONIQUE

Une belle bande de pédés, oui, voilà ce que vous êtes... !!!


Les filles relèvent fièrement la tête avec un air de défi.


Solweig s'avance en ondulant vers le mari de Véronique, en fait le tour en séductrice.


SOLWEIG

Et alors mon chéri ? Tu es vraiment sûr qu'on ne te plaît pas ?


LE MARI DE VERONIQUE

Tire toi, espèce de sale...


Le mari de Véronique lève la main pour la frapper, mais celle-ci est stoppée par la mèche du fouet de Gudrun, qui s'enroule autour du bras. Solweig s'écarte.


Gudrun s'avance vers le mari de Véronique, en repliant la corde du fouet, et se plante droit devant lui.


GUDRUN

Ma parole... Voilà enfin un mâle, un vrai... Tu veux tâter de mon fouet, mon chéri ? Crois moi, tu vas adorer ça je le sens...


Le mari de Véronique accuse le coup. Il détourne la tête.


LE MARI DE VERONIQUE (s'adressant à Véronique)

Toi, tu vas revenir chez nous immédiatement, recevoir la correction que tu mérites !


Véronique va pour se lever du canapé, mais aussitôt, les filles se regroupent entre Véronique et son mari pour former un rideau de protection.


LE MARI DE VERONIQUE

VERONIQUE ! ICI ! TOUT DE SUITE !


Kelly se détache du groupe et se plante devant le mari de Véronique.


KELLY

Véronique ne rentrera chez elle... que lorsqu'elle en aura envie ! Et, en tout cas, sûrement pas avant que vous ne promettiez de ne plus jamais la frapper...


LE MARI DE VERONIQUE (Hilare)

Parce que c'est toi qui va m'en empêcher, petite pédale ? Mais tu vas te casser un ongle, ma loute !


Le mari de Véronique essaye soudain de frapper Kelly par surprise. Mais celle-ci lui fait instantanément une prise de judo qui le met à genoux par terre, grimaçant de douleur.


KELLY

Alors ? Tu promets ?


LE MARI DE VERONIQUE

...


KELLY

Allez ! Promets d'être un bon garçon !


LE MARI DE VERONIQUE

...


Kelly accentue sa prise.


LE MARI DE VERONIQUE

AIE !!! VOUS ALLEZ ME CASSER LE BRAS !


KELLY

Alors promets d'être gentil... Ca te sera moins douloureux !


LE MARI DE VERONIQUE

...


Kelly accentue encore sa prise. On entend claquer quelque chose.



LE MARI DE VERONIQUE

AIIIIIEEEEEEEEE ! JE PROMETS JE PROMETS ! LACHEZ MOI !


Kelly lâche le mari de Véronique, qui roule par terre au pied des filles.


KELLY

Fiche le camp... et souviens-toi que si tu fais encore du mal à Véronique tu auras affaire à moi,désormais !


Le mari de Véronique se relève très difficilement, en tenant son bras meurtri avec le bras encore valide. Il sort sans un mot et sans un regard.


GUDRUN

Pas mal... pour une amatrice...


79 Intérieur. Dans la salle de Séjour de l'appartement de Liane. JOUR


Kelly ferme la porte de l'appartement de Liane et se retourne vers les filles avec un clin d'oeil complice.


KELLY

Ce ne sera rien... juste un léger déboîtement de l'épaule... qui l'empêchera de se servir de ses poings pendant quelques temps !


CHOEUR DES FILLES

Waouh !


Les filles s'avancent vers Kelly pour la féliciter, le sourire aux lèvres, tandis que Kelly se dirige vers le canapé d'où Véronique la regarde avec reconnaissance.


LIANE (avec humour)

Dis-moi Kelly... si j'avais su que tu étais aussi experte en arts martiaux, supplices japonais et tortures en tout genres, je t'aurais laissée te débrouiller toute seule l'autre jour !


Kelly s'assied sur le canapé et tend les bras à Véronique, qui passe ainsi de l'épaule de Liane à celle de Kelly.


KELLY

Ah, l'autre jour... j'étais paralysée par la peur... J'ai fait des années et des années de judo pour prendre confiance en moi... pour me changer les idées... mais ça ne m'a jamais servi à rien pour me défendre moi-même, comme si je n'en avais pas envie ou que je n'en valais pas la peine... Tandis que là, c'était pour défendre Véronique... et puis avec vous, je n'ai plus peur ! Je dirais même que de la façon dont vous m'avez transformée... (Avec une moue de coquetterie) je suis assez fière de moi !


FRANCOISE

Super ! Tu viens avec nous, alors, cette fois ? On sort fêter tout ça au restaurant ! Qu'en dites-vous les filles ?


UNE FILLE

Tu connais un endroit où on nous accepte, Françoise ?


FRANCOISE

Je vais vous confier un secret: quand on se présente à trente, et le sourire aux lèvres, on est acceptées partout ! on y va ?


CHOEUR DES FILLES

OUIIIIIIII !


Toutes les filles se ruent sur leurs manteaux déposés dans l'entrée et se rassemblent en attendant qu'on ouvre la porte.


Françoise ouvre la porte et les filles comment à sortir.


Alors que Liane se lève, Véronique reste assise avec Kelly, sans savoir que faire.


VERONIQUE

Et moi ? Vous me laissez ? Je n'ai pas envie de retourner tout de suite chez moi...


LIANE

C'est avec nous que tu es chez toi ! Viens !


Liane tend la main à Véronique, qui se lève. Kelly se lève aussi, songeuse.


EMMA

Qu'as-tu, Kelly ? Tu me sembles bien pensive ?


KELLY (prenant et mettant son manteau)

C'est juste ce type que j'ai ramené à la raison... Je me demande si je ne l'ai pas déjà vu quelque part...


Emma et Kelly sortent à leur tour de l'appartement. Ce sont les dernières et la porte de referme derrière elles.


80 Extérieur. Dans la rue où habite Liane. NUIT


Des voitures, les phares allumés, sortent des places où elles étaient garées. Elles avancent et stoppent les unes derrière les autres devant la porte de l'immeuble de Liane, où attendent joyeusement de nombreuses filles qui leur font des signes.


Il y a six voitures, dont la DS d'Emma et deux cabriolets qui baissent la capote. Plusieurs filles s'y précipitent. Kelly et Véronique, plus mesurées, montent à l'arrière de la DS avec moins d'effets. Emma jette un coup d'oeil dans le rétroviseur, passe la première et démarre en souriant.


81 Extérieur. Sur les grands boulevards de Paris. NUIT


Les boulevards sont illuminés par les terrasses des restaurants, des magasins.


Les voitures des filles passent les uns après les autres. Les filles dans les deux cabriolets font des saluts démesurés aux passants.


Un homme, interloqué, les regarde passer avec ahurissement. Un autre sourit. Un troisième leur répond du geste, en secouant la tête après leur passage.


Françoise, dans la première voiture, désigne à Liane, qui la conduit, un restaurant.


FRANCOISE

Regarde ! Si on allait là ?


La terrase du restaurant est à l'enseigne de "La Tour de Platine".


LIANE

Là, tu es sûre ?


FRANCOISE

Oui, oui ! Allez, pour une fois...


LIANE

Bon, d'accord... remarque il y a justement la place pour nos voitures...


Liane donne un coup de volant.


Les voitures de la troupe s'arrêtent le long du trottoir. Les filles en descendent en jetant des exclamations.


GUDRUN (inspectant les lieux)

C'est là qu'on va ?


CATHERINE

On va se faire jeter !


FRANCOISE

Mais non, vous allez voir ! Toutes derrière moi !


82 Intérieur. Dans la salle de la 'Tour de Platine". JOUR


Françoise s'engouffre dans l'établissement, suivie des autres filles en rangs serrés. Un maître d'hôtel se précipite à leur rencontre. Françoise ne lui laisse pas le temps de parler.


FRANCOISE (Avec assurance)

Bonsoir ! Nous avons réservé pour trente personnes... pour le 25° congrès de la CGT...


LE MAITRE D'HOTEL (Effaré)

La CGT, madame... ?


FRANCOISE (exprimant l'évidence)

Mais oui, la Confédération Générale des Transformistes... Nous avons réservé voici trois semaines pour ce soir ! (Soupçonneuse) Il y a un problème ?


LE MAITRE D'HOTEL (Balbutiant)

Mais non, pas du tout... Trente personnes dites-vous ? Hum... C'est par ici, n'est-ce pas... Si vous voulez bien me suivre....


Les filles suivent le mouvement et prennent place à une grande table dégagée pendant que le maître d'hôtel fait des signes cabalistiques en direction de la gérance.


83 Intérieur. Dans la salle de la "Tour de Platine". JOUR


FRANCOISE (souriante)

Eh bien vous voyez... ce n'est pas plus difficile que cela !


Françoise est assise à la droite de Kelly, qui a Véronique à sa gauche.


Kelle soupire de plaisir.


KELLY

Ah Françoise.... Si tu savais comme je me sens bien, avec vous ! Je crois que jamais je ne me suis sentie aussi bien de toute ma vie !


FRANCOISE (souriant)

Mais je sais ! Je suis passée par là !


Françoise fait passer des cartes de Menus à Véronique et à Kelly.


Kelly va pour ouvrir la carte, puis se ravise.


KELLY

C'est comme si pour la première fois je me trouvais parmi des personnes qui pensent comme moi, ressentent comme moi, comme si j'étais enfin parmi mes soeurs, quoi...


FRANCOISE

Oui, ça fait ça les premiers temps... Et pourtant, tu sais, nous sommes très différentes les unes des autres... Comme dans la vie... Mais ce besoin de nous exprimer en tant que femmes nous réunit et nous permet de nous apprécier... et d'apprécier les autres, et la vie et le monde. Quand nous ne pouvons le satisfaire, nous sommes mutilées, humiliées et pitoyables. Mais dès que nous sommes nous mêmes, alors... nous sommes le meilleur de ce que l'humanité peut-être... (Avec une moue amusante) les gens devraient comprendre ça !


KELLY

C'est ce que j'allais dire... c'est ce que je sens enfin, avec vous... Il me semble que tout est enfin possible, de tout ce qui m'a été refusé jusqu'à présent... Comme si j'avais passé la ligne mauve...


FRANCOISE

La ligne mauve ?


KELLY

Oui, excuse-moi: quand j'étais gamine, je m'imaginais que je n'étais pas dans le vrai monde, mais dans une sorte d'imitation où tout était triste et faux, à commencer par moi; je me figurais qu'un jour pourtant j'y trouverais un repère, que je n'aurais qu'à franchir pour me trouver dans une réalité souriante et magnifique... C'était comme une ligne d'horizon inaccessible... Je ne sais pourquoi, j'avais décidé que cette ligne magique était mauve...


FRANCOISE (attendrie)

Une belle histoire, Kelly... Tu n'as pas été la seule à errer à la recherche de la ligne mauve... Combien d'entre-nous ont choisi des voies qui n'étaient pour elles que des impasses... Tiens regarde, on va jouer à un jeu... Je te désigne une fille, et tu dois me dire sa profession d' homme... D'accord ?


KELLY (amusée)

D'accord !


FRANCOISE

Celle-ci !


Une fille d'un certain âge, très distinguée, en train de discuter avec sa voisine, en faisant preuve d'un maintien tout à fait remarquable.


KELLY

Je ne sais pas... Prof ou quelque chose comme ça ?


FRANCOISE (pouffant de rire)

Perdu ! Elle est ... plombier ! Oui, comme dans le film de Lubistch... Et Solweig ?


Solweig fait ostensiblement les yeux doux au garçon qui est en train de remplir son verre et qui prend le parti de se concentrer sur sa tâche, non sans laisser échapper un sourire.


KELLY

Hé bien... Coursier, taxi, flic... ?


FRANCOISE (secouant la tête)

Encore perdu ! Professeur d'Université, ma chère, eh oui ! Allez, la dernière: Tu connais Gudrün...


Gudrün promène des yeux dominateurs sur le monde qui l'entoure, toisant ouvertement les convives qui s'installent aux tables voisines.


KELLY

Mais je ne sais pas ! C'est impossible de deviner !


FRANCOISE

Tu l'as dit! Tu n'as plus de repères ! Ce qui prouve d'ailleurs qu'on ne devrait jamais juger les gens sur les apparences... Allez, je te le dis... Gudrün est dentiste... (stupéfaction de Kelly) Je te donnerai l'adresse de son cabinet si tu veux !


Kelly décline l'offre en riant.


84 Intérieur. Dans la salle de la 'Tour de Platine". JOUR


Le garçon qui sert une fille, celle-ci surveillant attentivement l'opération, puis remerçiant le garçon, qui passe à sa voisine.


Deux filles qui discutent ensemble avec animation.


Véronique et Kelly, qui se parlent doucement.


Des clients d'une table voisine, très distingués, qui regardent en douce, l'oeil en biais, la table de filles.


Emma qui se pâme aux senteurs de son assiette.


Françoise, qui captive ses voisines en racontant une anecdote.


Kelly, qui remplit le verre de Véronique.


D'autres clients du restaurant, qui se retournent franchement en direction de la table des filles et se font part de leur étonnement [neutre].


Les filles, tournant les cuillères de leurs tasses à café ou en buvant le contenu, sans plus rien dire.


85 Intérieur. Le Bureau d'Alexandre à la SGC. JOUR


Une monstrueuse pile de dossiers frappés au logo de la SCG (Société de Gestion Comptable). Derrière, Alexandre, en chemise, griffonne des écritures et tape sur une calculatrice, avec entrain, en chantonnant, feuillentant un dossier ouvert.


Les deux collègues tortionnaires d'Alexandre font irruption dans la pièce, un bureau vitré: Paul et André.


PAUL

Alexandre ! Café !


Alexandre relève la tête et se repousse dans son fauteil.


ALEXANDRE

Ah oui... Le café... La petite cérémonie des petites gens... !


PAUL (surpris)

Ben... Qu'est-ce que tu veux dire, Alexandre ?


Alexandre se lève avec énergie.


ALEXANDRE (grandiose)

Ce que je veux dire ? Je veux dire qu'il n'y a plus d'Alexandre ! Non ! Alexandre a fini de se taper vos plaisanteries graveleuses et ridicules, vos exploits sportifs minables et vos conversations ennuyeuses à en crever!


PAUL (ahuri)

Ben... merci Alexandre ! mais qu'est-ce que tu as ?


ALEXANDRE

Il y a qu'Alexandre a du travail ! Qu'Alexandre vient de se rendre compte qu'il vaut mieux que ce qu'on lui a fait croire qu'il valait, qu'il a trente ans de médiocrité à rattraper et que ça commence par des mesures de prophylaxie énergiques !


ANDRE ET PAUL (ensemble)

Des mesures de quoi ?


ALEXANDRE

Vous voyez ? Vous ne comprenez même pas ! De meilleures fré-quen-ta-tions, pigé ?


Paul et André se regardent et comprennent.


PAUL

Bon, très bien, Alexandre... Puisque tu le prends comme ça...


Paul fait mine de sortir puis se dirige vers l'armoire, dont il prend les poignées comme pour ouvrir les portes. Celles-ci lui restent dans les mains. Paul est figé par la surprise. Il se retourne sans mot dire vers Alexandre.


Alexandre, narquois, lui montre le tournevis qu'il tient à la main.


André va taper sur l'épaule de Paul et le fait sortir du bureau sans qu'aucun des deux ne se retourne.


86 Intérieur. Le Bureau d'Alexandre à la SGC. JOUR


Alexandre retourne à son bureau. Il s'assied, savourant sa victoire en pensée.


LE CHEF D'ALEXANDRE(OFF)

Vous avez le Dossier du Rhône ?


Alexandre sort de sa rêverie.


Son supérieur direct est devant lui. C'est un homme très conventionnel, en costume trois pièces anthracite, chemise blanche et cravate noire.


ALEXANDRE

Il est chez votre secrétaire depuis un mois, Monsieur. Vous deviez le viser.


LE CHEF D'ALEXANDRE(pincé)

Que signifie cette remarque ?


ALEXANDRE (avec aplomb)

Que vous m'avez demandé voici un mois de faire dans des délais très courts un travail important dont l'urgence s'est révélée à l'épreuve des faits parfaitement illusoire.


LE CHEF D'ALEXANDRE (interloqué)

Vous cherchez à me prendre en défaut ?


ALEXANDRE (pesant ses mots avec insolence)

Je doute qu'il soit nécessaire de chercher, Monsieur.


LE CHEF D'ALEXANDRE (suffoqué)

Vous allez trop loin ! Prenez garde ! Vous avez de la chance que je sois pressé ! Nous en reparlerons !


Le chef sort du bureau à grand pas, très énervé. Il croise sans le remarquer Jean qui attendait à la porte.


87 Intérieur. Le Bureau d'Alexandre à la SGC. JOUR


Jean entre dans le bureau, très étonné.


JEAN

Alexandre ! Tu es devenu fou !


ALEXANDRE

Moi, devenu fou ? Non, au contraire ! Je retrouve la raison ! C'est avant que j'étais fou, de supporter tout ce que j'ai supporté ! Mais hier j'ai enfin compris, j'ai retrouvé ma dignité, mon estime et mon courage !


JEAN

Tu peux employer ton courage autrement qu'en provocations que tu risques de payer très cher !


ALEXANDRE

Ca couvait depuis trop longtemps, il fallait que ça sorte ! Mais à présent je veux vivre tout ce que j'ai laissé de côté par peur, par ignorance ou par conformisme. Tiens, ce soir, je veux aller à l'Eve de Feu !


JEAN (effaré)

A l'Eve de Feu ?


ALEXANDRE

Oui, une fille nous en a vaguement parlé à table, hier soir, tu connais ?


JEAN

Moi oui, je connais, mais toi, je pense que tu ne réalises pas bien quel genre d'endroit c'est.


ALEXANDRE

Une espèce de club privé qui nous ouvre les bras, non ? Et puis quelle importance ? Il faut tout connaître dans la vie, non ?


JEAN

Oui, mais... Tu ne vas quand même pas y aller comme ça, à l'aveuglette !


ALEXANDRE

C'est bien pour ça que tu devrais m'y accompagner ! Tu peux ?


JEAN (dépassé)

Eh bien dis-moi, tu as vraiment changé ! Je ne demanderais pas mieux, mais... j'ai une très importante réunion dans la journée de demain, et j'ai encore quelques derniers détails à vérifier!


Alexandre regarde Jean d'un air suppliant.


JEAN (conciliant)

Bon, écoute, d'accord, je vais avec toi ce soir... Ma réunion est dans l'après-midi... Je mettrai les bouchées doubles demain matin... si je suis en état...


ALEXANDRE

Oh merci Em... Jean ! Tu es vraiment... Tu ne veux pas faire les boutiques avec moi cet après-midi ?


JEAN (ahuri)

Faire les boutiques ???? Tu prends un congé ?


ALEXANDRE

Ben oui.... je n'ai plus les affaires qu'on m'a prêtées hier, alors il faut que je m'équipe, forcément... Et non, je ne prends pas de congé ! Je fais sécher le bureau ! Au diable le Bureau !


JEAN

Mais enfin, Alexandre ! Tu imagines si "ils" s'en aperçoivent ?


ALEXANDRE

Et alors ? Je leur jetterai à la figure toutes les heures de travail, de mon travail, qu'ils ont gaspillé en prenant des décisions contraires à mes conclusions et dictées par leur seul intérêt personnel; en me faisant plancher des jours et des jours sur des rapports qu'ils n'avaient pas l'intention de lire; au temps perdu en réunions stupides d'où il ne sort jamais rien ! Ca tombe bien, d'ailleurs, ils en ont une cette après-midi: je me fais excuser, et hop, moi je fais les boutiques ! Ca au moins, ça sera utile !


JEAN

Je vois qu'il n'y a pas moyen de t'arrêter... Ecoute, je ne peux vraiment pas t'accompagner cet après-midi, tu me comprends ? Mais j'appelle Françoise, elle te pilotera... Ca te va ?


ALEXANDRE

Ca ira !


88 Intérieur. Des intérieurs de magasins. JOUR


Alexandre et Françoise dans un magasin de chaussures de femmes. Une vendeuse montre un modèle aux deux "clientes" qui s'extasient.


Alexandre et Françoise dans un magasin de perruques. Françoise avec plusieurs perruques différentes. Alexandre de même.


Alexandre et Françoise dans une bijouterie. Elles choisissent des colliers et des bagues. Françoise les met, les ôte de ses doigts et les passe à Alexandre.


Alexandre et Françoise dans un grand magasin, au rayon prêt à porter féminin. Françoise toise Alexandre et pose des robes sur lui pour juger de leur effet, à sa grande confusion.


Alexandre et Françoise dans un grand magasin, au rayon maquillage, parmi les clientes. Françoise regarde attentivement le visage d'Alexandre et choisit les fards appropriés.


Alexandre et Françoise, chargés de paquets. Ils les mettent dans la voiture de Françoise.


Devant le bureau d'Alexandre: celui-ci descend de la voiture de Françoise et récupère ses paquets un par un. Il fait un signe de la main et la voiture s'éloigne.


89 Intérieur. Le Bureau d'Alexandre à la SGC. JOUR


Alexandre est à son bureau. Ses paquets sont sur le sol, sauf un qui est sur le bureau. Il en sort une robe dont il éprouve le tissu. Puis il prend un autre paquet et en sort une chaussure, qu'il regarde longuement.


Alexandre repose la chaussure et défait frénétiquement les autres paquets.


Le téléphone sonne. La main d'Alexandre, parée d'une bague et les ongles faits, saisit le combiné.


ALEXANDRE

Allo ? ... Emma ? ... A la sortie du parking ? Entendu j'arrive... et... Tu vas avoir une surprise ! ...Si si ! Attends !


90 Intérieur. Les sous-sols de la SGC. JOUR


Kelly chemine à travers les sous-sols parfaitement à l'aise. Elle emprunte le même itinéraire que celui de la scène 71. Mais elle passe hardiment chaque carrefour comme par provocation.


Kelly traverse le parking souterrain par l'allée centrale, dans le claquement de ses talons. Elle monte la rampe d'ascension jusqu'à la porte extérieure.


91 Extérieur. Devant l'entrée du parking de la SGC. NUIT


Kelly sort du parking. Elle s'arrête, interdite.


Devant elle, Emma l'attend, souriante, adossée à une Mercedes noire.


KELLY

Emma ? Tu as changé de voiture ?


EMMA

Kelly... Tu as changé de look, je vois... Non, je n'ai pas changé de voiture... (Elle ouvre la portière arrière à Kelly)


Kelly s'avance et commence à entrer dans la voiture. Elle apperçoit le conducteur, qui la salue. Kelly se retourne vers Emma, surprise.


EMMA

Je te présente Michel... Oui, il y a des endroits où il vaut mieux se rendre accompagnées...


Kelly se retourne vers Michel, le salue et finit de rentrer dans la voiture.


92 Extérieur. Devant l'entrée de "l'Eve de Feu". NUIT


La voiture s'arrête devant une porte cochère massive et se gare juste à côté. Michel en descend et va ouvrir les portières d'Emma et de Kelly, qui sortent de la voiture.


Michel appuie sur le bouton de la sonnette à côté de la porte. Au bout de quelques secondes, la porte s'entrouvre.


Une tête féminine apparaît, scrute les visiteurs et disparaît.


La porte s'ouvre en grand. Emma, Kelly et Michel franchissent le seuil. La porte se ferme derrière eux.


93 Intérieur. A l'intérieur de "l'Eve de Feu". JOUR


La tenancière des lieux referme les verrous de la porte et les laisse se recouvrir d'une lourde tenture rouge assortie aux murs du hall. Elle se retourne. C'est un travesti-maîtresse femme d'une cinquantaine d'années au sourire commercial.


CHRISTIANE

Mais je rêve... Emma, voilà des siècles qu'on ne t'avait pas vue ici... (Embrassant Emma sur les deux joues) et Michel... tu connais toujours les bons endroits ? (Embrassant Michel de même). (Se tournant vers Kelly) Et toi ma chérie, je ne te connais pas ?


EMMA

Je te présente Kelly... Elle est venue découvrir ton établissement !


CHRISTIANE

Oh alors bienvenue, Kelly, je vais te faire visiter ça... C'est par ici...


Alors que Kelly regarde dans tous les sens, Christiane les invite de la main à passer dans un couloir.


Tout le monde fait quelque pas et passe devant une porte devant laquelle Christiane s'arrête. Elle ouvre la porte.


CHRISTIANE

La loge de ces dames !


A l'intérieur de la pièce ainsi ouverte, trois filles à des stades divers de leur transformation sont en train de se préparer devant un grand miroir bien éclairé. Deux sont déjà prêtes et occupées à se faire les yeux devant le miroir; la troisième, encore en guépière et sans perruque, salue les visiteurs et va choisir une perruque sur les têtes rangées sur un côté du mur, à côté d'une penderie.


Kelly salue à son tour, l'air admiratif.


CHRISTIANE

Les hommes ne pénétrent pas ici...


KELLY (étonnée)

Les hommes ?


CHRISTIANE (étonnée)

Mais oui, les hommes !


EMMA (sur le même ton, à Kelly)

Les hommes, quoi !...


Christiane referme la porte.


CHRISTIANE

La visite continue...


Le groupe reprend la marche derrière Christiane, qui les fait entrer dans une nouvelle pièce, beaucoup plus vaste et sans éclairage direct. Dans un coin bar, une fille sert des hommes au comptoir. Ceux-ci jettent un oeil sur les nouveaux venus et reprennent leur discussion. Dans un autre coin, sur l'un des deux canapés présents, un homme pose sa main sur le genou d'une fille. Dans un autre coin, enfin, des couples dînent tranquillement.


Kelly semble surprise et un rien mal à l'aise. Son regard croise celui d'Emma.


CHRISTIANE

Le plus intéressant est bien évidemment au sous-sol, comme vous le savez...


Christiane entraîne ses hôtes vers l'escalier qui conduit au-sous-sol et s'y engouffre.


94 Intérieur. Le sous-sol de "l'Eve de Feu". NUIT


Christiane débouche de l'escalier dans une salle faiblement éclairée par une lumière rouge diffuse, et présente avec fierté un grand écusson sur le mur aux pierres apparentes, sur lequel sont accrochés des fouets de toutes longueurs et de toutes épaisseurs.


CHRISTIANE

Ici, il y en a pour tous les goûts !


D'un geste altier, elle désigne les autres murs et le reste de la salle, avec un chevalet, une potence, et des tableaux d'instruments de supplice, depuis la punaise jusqu'au fléau d'armes.


CHRISTIANE (prenant un fouet)

Qu'est-ce que tu aimes ? Le moulage à la cire de bougie fondue ? Les pinces à linge coquines ? Le fouet pour petites filles pas sages ?


KELLY (qui n'en mène pas large)

Je...


Kelly sursaute et pousse un petit cri, alors qu'on se met à crier juste derrière elle: c'est une fille qui reçoit une fessée d'un bourreau moyen-âgeux très costaud et en grande tenue. Plus loin dans un lit à baldaquin, des mouvements et des gémissements témoignent d'une activité suspecte.


Kelly se tourne vers Emma.


EMMA

Je pense que notre amie est maintenant suffisamment au fait des loisirs qui lui sont offerts... Tu as une table pour nous ?


CHRISTIANE (remettant son fouet en place avec regret)

Mais bien entendu... Par ici...


Kelly Emma et Michel remontent l'escalier.


95 Intérieur. La salle principale de "l'Eve de Feu". NUIT


Sortant de l'escalier, Emma, Kelly et Michel sont guidés par Christiane jusqu'à une table libre, à l'écart des autres couples. Ils s'y installent. Emma et Michel sont à côté l'un de l'autre et Kelly en face d'eux. La chaise à la droite de Kelly est libre.


CHRISTIANE

Vous prenez des apéritifs ?


EMMA (Interrogeant Kelly et Michel du regard)

Oui, volontiers...


Christiane fait un geste à une serveuse pour lui indiquer d'avoir à servir trois apéritifs à cette table.


CHRISTIANE

Ce soir c'est plat unique: Saumon et tagliatelles... Ca va pour tout le monde ?


EMMA, KELLY, Michel

Oui, oui...


CHRISTIANE

Ca marche... Bonne soirée !


Christiane s'éloigne de la table.


96 Intérieur. La salle principale de "l'Eve de Feu". NUIT


Un serveuse apporte à la table les apéritifs désirés. C'est un travesti qui leur fait un grand sourire à chaque fois qu'il tend un verre. Il quitte la table.


Un homme arrive un verre à la main. C'est un homme d'une quarantaine d'années, de belle présentation, qui se place, debout, à la droite de Kelly.


L'HOMME

Bonsoir...


EMMA, KELLY et Michel

Bonsoir...


L'HOMME

Je peux m'asseoir à votre table quelques instants ?


Michel regarde Emma, qui regarde Kelly. Celle-ci fait un sourire contraint et interrogateur. Elle fait un geste d'impuissance qui signifie "pourquoi pas ?"


Emma fait du regard un signe d'approbation à Michel, qui invite l'homme à prendre place.


L'homme s'assied à côté de Kelly et met sa main gauche sur le dossier de sa chaise.


L'HOMME

Je me présente... François... Amateur de plaisirs tabous et raffinés à la fois...


EMMA

Emma... Enchantée...


Michel

Michel... Ravi


L'homme se tourne vers Kelly


KELLY

Heu... Moi c'est... Kelly.


L'HOMME

Kelly... Mais c'est charmant... Aussi charmant que le reste de votre personne....


Les doigts de la main gauche de l'homme caressent négligemment la nuque de Kelly.


Kelly se raidit et a un petit rire gêné en portant sa main à sa nuque. L'homme retire sa main en souriant.


L'HOMME

Je suis gérant de sociétés... Quand je vois vos yeux, je regrette de n'être pas diamantaire... Et vous, que faites vous dans la vie, Kelly ?


KELLY

Eh bien, je...


La main de l'homme se pose sur la cuisse de Kelly, repousse l'étoffe de la robe et découvre sa jambe, qu'elle caresse lentement.


Kelly reste figée de surprise. Elle ferme les yeux, se mord les lèvres. Puis elle les rouvre et appelle clairement Emma au secours du regard.


EMMA

François... Nous allons vous décevoir, mais... cette demoiselle est avec nous....


L'homme s'arrête aussitôt et sa main gauche réapparaît sur la table.


L'HOMME

Oh... Veuillez me pardonner... Suis-je bête, je n'avais pas compris... Toutes mes excuses...


L'homme fait un baise-main à Kelly, salue Emma puis Michel...


EMMA

Nous sommes navrés, vraiment... Nous vous souhaitons une bonne soirée...


L'homme s'incline une dernière fois et s'éloigne en direction du bar.


97 Intérieur. La salle principale de "l'Eve de Feu". NUIT


KELLY

Merci.... Oh mon Dieu, merci... Si je m'imaginais...


EMMA

Tout peut aller très vite, n'est-ce pas Kelly ? Tu vois pourquoi je ne voulais pas te laisser venir ici toute seule...


KELLY

Oui, je comprends, Emma... (Elle hésite à continuer) Dis, Emma... je...


EMMA (à Michel)

Michel, tu veux bien nous laisser un moment ?


Michel sourit, se lève et quitte la table.


EMMA

Vas-y... n'aie crainte...


KELLY

C'est pour tout à l'heure... Quand il a posé sa main...


EMMA

Je sais ce que tu vas dire... ne t'en fais pas pour ça...


KELLY

Mais j'aurais dû... oh, j'aurais dû... Pourquoi n'ai-je pas réagi ?


EMMA

Tu as été prise au dépourvu... Et puis on ne serait pas vraiment femme si on n'aimait pas plaire, c'est humain... Le tout est de choisir à qui !


La serveuse apporte à la table les assiettes de saumon aux tagliatelles.


Kelly regarde dans son assiette.


KELLY

Emma, je peux te poser une question ?


EMMA

Bien sûr, Kelly...


KELLY

Eh bien... Michel... C'est qui, au juste, pour toi ?


EMMA

Ah, Michel... C'est un homme qui est très amoureux de moi...


KELLY (surprise)

Ah bon ??? Mais alors, tous les deux, vous... ???


EMMA (amusée)

Non non...


KELLY

...???


EMMA

Michel est un grand cérébral... et ça vaut mieux car moi je suis spéciale...


KELLY

Comment ça ?


EMMA

Tu sais, quand on a passé toute sa vie avec des machines... on ne peut pas être une grande amoureuse... Le mieux que je puisse donner c'est une grande part de rêve... Et après deux divorces un homme finit par se contenter de peu... Alors je sors avec lui de temps en temps, ça lui fait plaisir... et ça m'est agréable... On s'entend bien... La seule chose qui pourrait nous brouiller c'est...


KELLY (avide)

Quoi donc ?


EMMA

Que je l'oblige à manger des pâtes froides....


Kelly pouffe de rire. Emma fait signe à Michel qu'il peut revenir.


Michel vient reprendre sa place en souriant, particulièrement à Emma.


98 Extérieur. Devant la porte du parking de la SGC. NUIT


La voiture de Michel est à l'arrêt, moteur tournant, phares allumés. Michel est au volant, Emma et Kelly debout sur le trottoir.


KELLY

Merci pour cette soirée, merci du fond du coeur...


EMMA

De rien... Tu es sûre que ça va aller ? Je regrette qu'on ne puisse pas t'accompagner chez toi mais... Je suis morte de fatigue !


KELLY

Mais non, ce n'est pas grave, je t'assure... Si j'ai fait le chemin dans un sens je peux le faire dans l'autre.... Et puis je n'ai pas le choix, puisque j'ai oublié mes affaires de mec à mon bureau, comme une idiote... Merci encore... A bientôt !


Emma embrasse Kelly puis va prendre place dans la voiture, à côté de Michel.


Michel salue Kelly de la main et fait avancer la voiture, qui s'éloigne.


Kelly introduit une carte dans le lecteur de l'entrée du parking.


La porte coulissante s'ébranle avec bruit et se met à remonter.


99 Intérieur. Le parking et les sous-sols de la SGC. NUIT


Kelly chemine dans le parking désert en jetant dans toutes les directions des coups d'oeil apeurés. Le bruit de ses pas résonne.


Elle s'arrête pour enlever maladroitement ses chaussures.


Tenant ses chaussures à la main, elle entre précautionneusement dans le sous-sol, s'arrêtant à chaque carrefour pour écouter la venue éventuelle des vigiles.


100 Intérieur. Les locaux de la SGC. NUIT


Kelly apparaît sur l'écran d'une caméra de surveillance. Elle marche dans les couloirs.


Kelly marche jusqu'à la porte de son bureau. Elle s'arrête devant elle et l'ouvre la porte.


Des mains musclées et poilues saisissent les bras de Kelly.


Kelly est maintenue par deux vigiles: deux types costauds avec un semblant d'uniforme. Elle se débat, puis y renonce.


PREMIER VIGILE

Alors ma poulette, qu'est-ce que tu viens faire chez nous ?


DEUXIEME VIGILE

Tu viens piquer des informations sur des sociétés ? Mais sais-tu que c'est très vilain, ça ?


PREMIER VIGILE

Mais dis-nous d'abord comment tu as fait pour entrer, ça nous intéresse... question sécurité, tu comprends...


KELLY

...


DEUXIEME VIGILE

Tu veux pas nous causer ? A ton aise... On va appeler le boss, de toutes façons... (prenant son talkie-walkie) Allo chef ? On a un colis pour vous... Une gonzesse qu'on a chopée en train d'ouvrir le bureau 213... (A Kelly) Il arrive... T'as intérêt à t'allonger... et c'est pas une image !


101 Intérieur. Le bureau d'Alexandre à la SGC. JOUR


Le premier vigile allume la lumière du bureau d'Alexandre et pousse Kelly à l'intérieur, l'obligeant à s'asseoir sur une chaise. Il avise la tenue de Kelly.


PREMIER VIGILE

Dis-donc, c'est pas tellement une tenue pour un casse !


Un homme bedonnant d'une cinquantaine d'années, avec le même uniforme que les deux autres, mais avec une matraque et un pistolet à sa ceinture, entre dans la pièce.


Le deuxième vigile lui désigne Kelly:


DEUXIEME VIGILE

C'est elle, chef !


Le chef des Vigiles se plante devant Kelly, qui reste tête baissée.


LE CHEF DES VIGILES

Beau travail, les gars... Alors, qui t'es, toi ? T'as des papiers ?


Les deux vigiles se précipitent pour fouiller, l'un les poches du manteau de Kelly, l'autre son sac.


LES DEUX VIGILES

Rien chef !


LE CHEF DES VIGILES

Une professionnelle, on dirait... (Il relève la tête de Kelly avec sa main) et qui veut pas parler... Voyons voyons, qu'est-ce qui pouvait bien t'intéresser dans ce bureau...


Le chef des Vigiles fait le tour du bureau en regardant les noms des dossiers dans les armoires. Il s'arrête devant l'une d'elles et en retire avec étonnement un pantalon et une chemise, qu'il rejette dans les rayons. Il examine le bureau lui-même et saisit brusquement un porte-photographies.


La photographie représente Alexandre avec ses enfants.


Le chef des Vigiles regarde attentivement Kelly, puis l'armoire où il a trouvé les vêtements. Sûr de lui, il repose le porte-photographies.


LE CHEF DES VIGILES

Les gars... laissez moi seul avec... Mademoiselle... Je vais la cuisiner un peu.


Les deux vigiles se regardent, avec un air entendu.


PREMIER VIGILE

Vous pouvez pas nous en laisser des miettes, chef ?


LE CHEF DES VIGILES

Allez, allez !


Les deux vigiles sortent.


LE CHEF DES VIGILES

Et fermez la porte !


Le deuxième vigile se retourne et ferme la porte sur lui.


102 Intérieur. Le bureau d'Alexandre à la SCG. JOUR


LE CHEF DES VIGILES (l'air avantageux)

Alors, dis moi, tu sais que t'as de la chance, toi ?


Kelly relève la tête sans rien dire.


LE CHEF DES VIGILES

De la chance, parfaitement ! Tiens, un autre, à ma place, il irait illico tout raconter au patron ! Et sûrement que tu te ferais virer, parce que le patron, à mon avis, ça lui plairait pas trop qu'un de ses employés s'habille en gonzesse, tu vois ?


Kelly ouvre de grand yeux.


KELLY

Mais vous... vous n'allez rien dire ?


LE CHEF DES VIGILES

Moi ? Oh non, voyons rien du tout... Tu vois, c'est pour ça que tu as de le chance: moi, j'aime bien les travs... T'es super mignonne, pas de doute... Je ne dirais rien, promis... enfin, à une seule petite condition...


KELLY

Laquelle ?


Le chef des Vigiles quitte le bureau et vient se planter devant Kelly, les mains sur les hanches.


LE CHEF DES VIGILES

Ben pour commencer, tu vas être très gentille avec moi... Et si tu es douée, alors, j'envoie les deux autres imbéciles poursuivre leur ronde... Mieux que ça, j'étouffe l'affaire... on trouvera une explication bidon... Et je te jure que personne sera au courant, rien que nous deux...


KELLY (au bord des larmes)

Et si je refuse ?


LE CHEF DES VIGILES (contrarié)

Ah, si tu refuses... Alors là, évidemment, je serai obligé de sévir... rédiger un rapport circonstancié... (d'un ton câlin) Mais ce serait bête d'en arriver là, non ? Je veux pas te faire d'embêtements, moi... Je te veux pas de mal, au contraire... J'adore les travs, je te dis ! Surtout quand elles sont bien foutues comme toi... (Il défait sa ceinture et dégrafe son pantalon) Allez, tu d'mandes que ça, au fond...


KELLY (criant)

NOOON !


Le chef desVigiles recule d'un coup. D'un coup rageur, il reboucle sa ceinture.


LE CHEF DES VIGILES (furieux)

Ok... Puisque c'est ça que tu veux, tu vas l'avoir ton rapport... (criant) Ohé les gars ! Rentrez !


Alors que les deux vigiles font irruption dans le bureau, Kelly bondit de sa chaise, se jette sur ses vêtements d'homme dans l'armoire, qu'elle enfouit sous son manteau.


LE CHEF DES VIGILES

C'est pas une gonzesse, c'est une saloperie de trav'lot ! Foutez moi ça dehors... On va lui mitonner un rapport aux p'tits oignons... Il est pas prêt de retrouver du boulot, moi j'vous l'dis... Et elle aura plus qu'à faire le tapin ! Allez, virez-moi ça... Et faites gaffe de pas choper l'Sida !


LES DEUX VIGILES

Oui chef !


Les deux vigiles empoignent Kelly par les bras et la traînent hors du bureau


103 Extérieur. Devant l'entrée des locaux de la SGC. NUIT


Les deux vigiles jettent violemment Kelly dans la rue, qui roule par terre sur le trottoir. Ils referment la porte de verre.


Kelly se relève difficilement. Elle est en larmes. Elle ramasse ses affaires d'homme qui sont éparses sur le trottoir et s'éloigne dans la rue.


Elle gagne un porche et s'arrête sous celui-ci. Toujours en pleurant, elle sort des mouchoirs en papier de son sac et tente de se démaquiller. Elle enlève sa robe et ses sous-vêtements, qu'elle abandonne dans le caniveau, et passe son pantalon et sa chemise. Elle repart en laissant son sac et son manteau sous le porche.


104 Intérieur. L'entrée des locaux de la SGC et l'ascenseur. JOUR


On passe la porte de verre et pénètre dans le hall d'accueil de la SGCC.


Derrière son comptoir, la réceptionniste est occupée avec un visiteur. Elle tourne la tête et a une expression de surprise. Elle appelle sa collègue, qui se retourne aussi.


On se dirige vers les ascenseurs, au fond du hall. Les personnes qui les attendent se retournent également, font semblant de ne rien voir et se mettent à chuchoter.


On entre dans l'ascenseur avec les autres.


Un homme, à droite, regarde le plafond.


Une femme, à gauche, fixe la porte.


La sonnerie d'étage retentit et les portes s'ouvrent.


105 Intérieur. L'étage du bureau d'Alexandre. JOUR


Alexandre sort de l'ascenseur. Il marche la tête haute, sans regarder personne. Sur son passage, les gens se le désignent les uns les autres.


Alexandre s'arrête à la porte de son bureau: celle-ci est ouverte.


Alexandre entre dans la pièce.


Son bureau a été entièrement débarrassé de tous les dossiers. Sur son bureau est posée une boîte en carton.


Alexandre va jusqu'au bureau et regarde dans la boîte.


Il s'y trouve ses affaires personnelles: des stylos, un Plan Comptable, un Guide Financier et la photo d'Alexandre avec ses enfants.


Alexandre prend la photo et la regarde longuement.


Le chef d'Alexandre entre dans la pièce.


LE CHEF D'ALEXANDRE (avec jubilation)

Vous ! Quand je vous disais que vous alliez trop loin... J'étais loin de penser à quelles turpitudes vous vous livriez ! Prenez vos affaires et suivez-moi !


Alexandre prend sa boîte sous le bras et avance en direction du chef.


106 Intérieur. Le bureau du responsable du personnel. JOUR


Le chef du personnel est debout assisté de ses deux adjoints. Ce sont des hommes d'une cinquantaine d'année, chauves, avec des lunettes, à l'aspect sévère et en costume de cadre, noir anthracite.


Alexandre se tient devant eux, sa boîte sous le bras. Le chef d'Alexandre est en retrait derrière lui. Ils écoutent.


LE CHEF DU PERSONNEL

La SGC est une entreprise sérieuse ! Même si nous observons une stricte neutralité vis à vis de la vie privée et de la... moralité... de nos employés, nous devons préserver l'image de notre société vis à vis de nos clients !


Alexandre n'écoute pas. Il regarde ailleurs.


LE CHEF DU PERSONNEL

Par votre conduite irresponsable et... dégoûtante, vous avez gravement terni cette image ! Il nous est naturellement impossible de garder en notre sein un individu qui compromet aussi lourdement notre crédibilité, et met ainsi en péril notre survie à tous !


Alexandre ouvre la bouche pour protester mais le Chef du Personnel ne le laisse pas parler.


LE CHEF DU PERSONNEL

Vous êtes licencié pour faute lourde ! Sans indemnités ! Et j'aime mieux vous dire que vous êtes entièrement grillé chez tous nos confrères, j'y veillerai personnellement ! Remarquez, parti comme vous êtes, vous pourrez toujours aller travailler au Bois de Boulogne, vous y serez à votre vraie place, n'est-ce pas ?


Le chef du personnel sourit de ses propres traits d'esprits, et ses deux assesseurs se mettent à rire.


Alexandre arbore fièrement un sourire méprisant


LE CHEF DU PERSONNEL

Ah, autre chose... le remboursement du prêt que vous a consenti l'entreprise devient naturellement immédiatement exigible... Ma secrétaire a déjà appelé votre épouse pour la mettre au courant... au courant de tout, bien entendu...


Alexandre reste de marbre.


LE CHEF DU PERSONNEL

Foutez-nous le camp, on ne veut plus vous revoir ici !


Alexandre tourne les talons et passe la porte du bureau.


107 Intérieur. Les locaux de la SGC. JOUR


Alexandre traverse l'étage avec sa boîte sous le bras.


Alexandre passe devant la machine à café, où se trouvent Paul et André.


Paul remarque Alexandre, et donne un coup de coude dans les côtes d'André. André se retourne.


ANDRE (se mettant à chanter et à danser)

Hé ! Alexandrie - Alexandra ! La la la la...


Alexandre ne lui accorde pas un regard et continue sa marche sans se troubler.


Au milieu d'un autre groupe de personnes qui parlent entre elles en regardant Alexandre, Jean suit Alexandre des yeux. Il tente en vain d'attirer son attention.


Alexandre entre dans l'ascenseur. Les portes se referment sur lui.


108 Intérieur. L'appartement de Liane. JOUR


La sonnerie de la porte d'entrée retentit.


Liane, en tenue de scène, se dirige vers la porte et l'ouvre. C'est Jean.


JEAN

Alors... ?


LIANE (à voix basse)

Il a passé toute la journée ici... Il faudrait quand même prévenir sa femme... Mais il s'y refuse !


JEAN (à voix basse)

Ce n'est pourtant pas si grave...


LIANE (à voix basse)

Il a quand même perdu son travail !


JEAN (à voix basse)

Oui, mais je peux lui en trouver, moi: cet après-midi j'étais en rendez-vous avec Jacqueline, tu sais, celle qui a créé sa boîte voici trois mois... Ca débute très bien paraît-il: Elle me propose de tenir l'informatique... Bien entendu, j'y perdrai un peu en salaire... Mais... comme elle n'emploie que des filles comme nous, (les yeux étincelants) je pourrai bosser en fille toute la journée ! Tu te rends compte !


LIANE (émerveillée, d'une voix normale)

SUPER !


Liane met la main devant sa bouche et se retourne.


LIANE (confuse et reprenant la voix basse) Super ! Et pour Kelly ?


JEAN (à voix basse)

Justement, elle cherche aussi une comptable... Je lui ai parlé de Kelly: elle peut être engagée dès qu'elle le voudra ! Tu vois que tout peut s'arranger !


LIANE

C'est à voir, tu ne connais pas sa femme...


Alexandre, hagard, est affalé sur le canapé, un verre à la main. Il est en chemise, son col est défait. Sur une table basse, devant le canapé, une bouteille est à moitié vide.


LIANE

Alexandre... Tu peux rester passer la nuit ici, bien sûr... Mais moi je vais aller aux "Trois-Etoiles"... Il faudrait dire à ta femme où tu es... Tu ne crois pas ?


ALEXANDRE (d'une voix embrumée par l'alcool)

Ma femme... Sûrement plus là ma femme... Elle qui voulait vivre avec le futur Directeur de la SGC... Tenez, je vous parie ce que vous voulez qu'elle a déjà fichu le camp... Voulez parier ?


Jean et Liane se regardent. Liane fait une moue d'évidence.


JEAN

Mais non voyons... Elle doit s'inquiéter, se demander où tu es... Sois raisonnable...


ALEXANDRE

Connaissez pas... Tenez, allons voir, vous serez fixées sur cette garce qui m'empoisonne l'existence depuis... depuis... je me souviens plus... trop bu... oublié...


Alexandre veut se lever. Liane et Jean le soutiennent.


LIANE (à voix basse)

Qu'est-ce qu'on fait ? On y va ?


JEAN (à voix basse)

Evidemment... Avant qu'il change d'avis... Au moins, il dormira dans son lit ! Et puis je vais en profiter pour lui parler de Chrysalide !


LIANE (à voix basse)

Chrysalide?


JEAN (à voix basse)

La boîte de Jacqueline !


LIANE (à voix basse)

Ah, d'accord... On prend ma voiture... Je te redéposerai devant la tienne après !


Liane et Jean soutenant Alexandre se dirigent tant bien que mal vers la porte d'entrée.


109 Extérieur. Devant le pavillon d'Alexandre. CREPUSCULE


La R5 blanche de Liane se gare, feux allumés en face du pavillon d'Alexandre, mais de l'autre côté de la rue. Juste devant le portail du pavillon stationne une fourgonnette dont les portes arrière sont à demi ouvertes.


Derrière le pare-brise, Liane pose ses mains sur le dessus du volant en regardant en direction de la maison. A côté, Alexandre semble dormir. Jean parle à Alexandre.


JEAN (enthousiaste)

...Alors tu comprends, Alexandre, tu n'auras qu'à te présenter dans un ou deux jours, comme tu voudras...


LIANE

Alexandre... Tu as de la visite ?


Alexandre ouvre les yeux et regarde sa maison.


ALEXANDRE

Qu'est-ce que je vous disais...


JEAN

Que veux-tu dire ?


Germaine sort du jardin en manteau avec une grande valise dans chaque main. Elle se dirige vers la fourgonnette. Les enfants la suivent, habillés pour sortir, la mine basse. Le petit garçon a une peluche dans les mains, et la petite fille une poupée.


Germaine s'arrête à l'arrière de la fourgonnette et en ouvre les portes en grand. A l'intérieur, des meubles. Elle met les valises à l'intérieur et referme les portes dessus.


Alexandre s'extirpe le plus rapidement possible de la voiture.


ALEXANDRE

GERMAINE !!!


Germaine se tourne en direction de la R5.


GERMAINE

Tiens ! mais regardez qui voilà ! Le pervers ! Le dégénéré !


Alexandre traverse la rue pour rejoindre Germaine.


ALEXANDRE

Germaine... Chérie...


GERMAINE

Ah non ! Il n'y a plus de Germaine ! Il n'y a plus de chérie ! Il n'y a plus de mariage ! Il n'y a plus rien !


ALEXANDRE

Mais...


GERMAINE

Il n'y a pas de "Mais" non plus ! Tu as bien fait de disparaître et si tu avais un minimum de fierté, de pudeur et de conscience, tu n'aurais jamais remis les pieds ici avant que nous en soyons partis !


Alexandre ouvre la bouche pour répliquer mais Germaine ne lui en laisse pas le temps.


GERMAINE

Me faire ça à moi ! Espèce de taré ! Jamais je n'aurais dû t'accorder une deuxième chance... ni même une première d'ailleurs ! Je pars avec les enfants pour les préserver de ton influence, et n'essaye même pas de savoir où ! Tu auras des nouvelles de mon avocat !Et quant à toi tâche de faire soigner, pauvre malade !!!


Un type costaud en short et maillot de corps, avec des tatouages aux bras, vient sans rien dire se mettre à côté de Germaine.


GERMAINE

Viens mon Roger, allons-y !


Le type costaud passe sa main autour de la taille de Germaine et ils s'en vont ainsi jusqu'à l'avant de la fourgonnette: le type costaud ouvre galamment la porte à Germaine et l'aide à y monter en la soulevant comme une plume.


GERMAINE

Venez, les enfants ! Ne traînez pas ici, c'est pas sain !


Germaine disparaît dans la fourgonnette. Le type costaud ferme la porte sur elle.


Alexandre s'avance pour embrasser ses enfants. Il s'accroupit et les serre tous les deux contre lui. Les enfants ont les larmes aux yeux.


Germaine passe la tête à l'extérieur de la fourgonnette, par sa vitre ouverte, et s'adresse aux enfants.


GERMAINE

ALORS, les enfants ? Laissez cet individu, vous avez un vrai père, maintenant !


Le type costaud prend ostensiblement un air avantageux.


Alexandre, sans se relever, libère les enfants, qui s'avancent vers le type costaud à contre-coeur. Celui-ci ouvre la porte de côté de la fourgonnette, et les y fait grimper. Il referme la porte sur eux et s'en va gagner son siège de conducteur, sans dire un mot ni regarder personne.


La fourgonnette démarre et s'en va sous les yeux d'Alexandre.


Liane et Jean suivent des yeux le départ de la fourgonnette.


LIANE (dégoûtée)

Roger... ?


JEAN (de même)

Germaine... ?


LIANE (avec conviction)

Quelle brute !


JEAN (de même)

Quelle salope !



Liane et Jean sortent de la R5 et s'avancent vers Alexandre. Liane pose la main sur l'épaule d'Alexandre.


Ils sont tous les trois au milieu de la rue.


Alexandre, l'air désespéré et toujours accroupi, regarde le lointain où a disparu sa famille. Liane regarde Alexandre. Jean est entre eux et les tient de ses mains chacun par une épaule.


110 Intérieur. Le pavillon d'Alexandre: la salle à manger, le couloir et la salle de bains. JOUR


Alexandre est en pyjama, roulé en boule dans son fauteuil, parfaitement immobile. Il a une barbe de plusieurs jours et les yeux ouverts.


Soudain, Alexandre se lève en renversant un guéridon qu'il ne relève même pas.


Alexandre, les yeux hagards, sort de la pièce, traverse le couloir et rentre dans la salle de bains.


Alexandre se regarde fixement dans le miroir, appuyé sur le lavabo.


Alexandre ouvre une petite armoire de toilette qui se trouve sur le côté, et fouille à l'intérieur. Il en retire un étui rectangulaire de forme très allongée.


Les mains d'Alexandre ouvrent l'étui: il contient un rasoir-sabre à l'ancienne.


Alexandre laisse tomber l'étui par terre. Il contemple le rasoir qu 'il a dans les mains et le déplie très lentement.


La sonnerie de la porte d'entrée retentit. Alexandre n'y prête pas attention. Il a le rasoir bien en mains et l'élève à hauteur de son visage.


La sonnerie retentit encore. Alexandre pose la lame du rasoir sur son nez et ses lèvres, avec lesquelles il fait une croix.


La sonnerie retentit encore et se fait plus insistante. Agacé, Alexandre jette le rasoir dans le lavabo et sort de la salle de bains.


Alexandre ouvre la porte d'entrée du pavillon.


111 Extérieur. Le jardin du pavillon d'Alexandre. JOUR


Alexandre est à la porte de son pavillon. Il regarde au loin en direction de la rue.


Il voit une silhouette de femme devant le portail, qui lui fait des signes.


C'est Françoise.


FRANCOISE (criant)

Alexandre ! Tu peux m'ouvrir, s'il te plaît ? C'est fermé et j'ai des choses à te dire !


Alexandre met les mains sur ses hanches et semble réfléchir. Puis il descend les marches du perron et marche sur les graviers du jardin en direction de Françoise.


Sur son passage, un voisin en train de tailler sa haie s'écrie:


LE VOISIN (jovial)

Chérie, planque les enfants ! Vlà l' pédophile qui sort !


Alexandre est au portail: il le déverrouille et fait entrer Françoise, qui a un gros sac à la main.


ALEXANDRE

Excuse-moi... J'ai dû tout boucler... Ma femme a dû mettre tout le monde au courant... Ca n'arrêtait pas de défiler pour voir la bête curieuse...


FRANCOISE

Je comprends... Je peux rentrer ?


ALEXANDRE

Bien sûr...

Alexandre reverrouille le portail puis remonte l'allée, suivi de Françoise.


Arrivée devant le voisin, Françoise lui fait sans s'arrêter son plus gracieux sourire.


Le voisin coupe sa haie de travers.


Alexandre et Françoise montent les marches du perron et pénètrent dans la maison. La porte se referme.


112 Intérieur. Le pavillon d'Alexandre: l'Entrée. JOUR


Alexandre est appuyé le dos contre la porte d'entrée, la tête levée vers le plafond, exprimant une grande lassitude. Françoise se tient à côté et le regarde.


FRANCOISE

Alors... On ne t'a pas vu depuis quinze jours... Tu tiens le coup ? ... Ca va ?


Alexandre baisse la tête


ALEXANDRE

Oui... Super... Tu sais ce que j'ai fait ? Je suis allé voir un psychiatre... Je lui ai demandé si j'étais dingue... Il m'a dit "C'est possible... Qu'est-ce que vous en pensez ?"... Alors je lui ai dit "C'est vous le psychiatre, non ?" Il m'a répondu "Comme cest vous qui payez les séances, ce doit être vrai..."


Alexandre et Françoise pouffent de rire.


ALEXANDRE

En fait il n'a pas vraiment dit ça... Ce qu'il a dit...


Françoise le coupe.


FRANCOISE

Oh ce qu'il a dit je le devine, va, j'ai dû fréquenter ces gens là aussi pas mal de temps, tu sais...


ALEXANDRE

C'est vrai, excuse moi...


FRANCOISE

Non non, c'est moi...


Un moment de flottement se fait sentir.


FRANCOISE

Qu'est-ce que tu faisais quand j'ai sonné ?


Alexandre se détache de la porte et avance dans l'entrée.


ALEXANDRE

Je... J'allais me raser...


FRANCOISE (le regardant)

Super bonne idée ça... Montre-moi, j'ai oublié comment on fait !


Alexandre sourit et passe dans la salle de bains. Françoise le suit.


113 Intérieur. Le pavillon d'Alexandre: la salle de bains. JOUR


Alexandre se place devant le lavabo.


Françoise pose son sac dans la pièce et avance. Elle avise le rasoir-sabre dans le lavabo et s'en empare. Elle le replie d'un geste sec.


FRANCOISE

Fais attention de ne pas te raser de trop près quand même... Confisqué !


Françoise met le rasoir-sabre dans sa poche et prend un rasoir de sûreté sur la tablette du lavabo, qu'elle tend à Alexandre.


FRANCOISE

Prends plutôt celui-ci, je préfère...


Alexandre prend le rasoir de sûreté avec un sourire. Françoise lui passe une bombe de mousse. Alexandre fait couler de l'eau chaude.


Françoise s'écarte et va se tenir dans un coin de la salle de bains d'où elle surveille les gestes d'Alexandre.


FRANCOISE

Dis-donc... Emma m'a dit que tu n'étais pas allé te présenter ?


ALEXANDRE (avec les intonations d'un homme qui se rase)

Où ha ?


FRANCOISE

Où ça ? Mais à Chrysalide, voyons !


ALEXANDRE

Ihalide ?


FRANCOISE

Mais oui, l'entreprise de Jacqueline, qui n'emploie que des filles comme nous... Tu sais bien, Emma t'en a parlé le soir où... Enfin, elle t'en a parlé parce que Jacqueline cherche toujours un comptable... Ou plutôt UNE comptable... Enfin quoi, elle t'a trouvé une place en or et toi tu laisses filer ça comme ça, sans réagir ? Jacqueline a promis d'attendre un peu que tu te décides, mais tu devrais faire vite !


Alexandre se retourne vers Françoise, le visage glabre avec des traces de mousse.


ALEXANDRE

Chrysalide, Bon Dieu... J'avais complètement oublié... Si tu savais... Je suis tellement dégoûté... de tout... Quand je te vois, si dynamique... Moi... Tiens, je ne sais même plus pourquoi je me suis rasé...


FRANCOISE

C'est simple: pour pouvoir te présenter chez Chrysalide cet après-midi... J'ai juré à Emma que tu y passerais... Emma aurait bien voulu venir te secouer les puces, mais elle est déjà là-bas et en train de monter tout leur système machin-chouette, elle n'a pas une minute à elle.

Bon, en attendant, tu as aussi oublié la réunion chez Marie ce matin, tu n'y serais pas venu non plus ?


ALEXANDRE (souriant tristement)

Ben...


FRANCOISE

Ben rien ! Habille-toi et allons-y !


Alexandre avise une chemise et un pantalon dans un coin et veut s'en emparer. Françoise l'arrête dans son geste.


FRANCOISE

Alexandre ! Tu ne vas quand même pas y aller comme ça ?


ALEXANDRE

Tu veux dire...


FRANCOISE

Naturellement ! Viens en fille ! Qu'est-ce que tu as as perdre, maintenant, non ?


ALEXANDRE

Evidemment, mais... Je n'ai plus rien...


Françoise se rend au seuil de la pièce et s'y arrête. Elle désigne le sac qu'elle a posé en entrant.


FRANCOISE

Tout ce dont tu as besoin est là-dedans ! Tu as une demi-heure, pas plus !


Elle lui fait un clin d'oeil, se recule dans l'entrée et ferme la porte.


Alexandre avance jusqu'au sac et s'immobilise en le regardant. Il pousse un soupir et s'accroupit à son niveau. Il plonge la main à l'intérieur et en ressort à demi une robe au tissu fluide. Il la caresse longuement du plat de la main.


114 Intérieur. Le pavillon d'Alexandre: l'Entrée. JOUR


La porte de la salle de bains s'ouvre. Kelly en sort fin prête.


KELLY

Est-ce que ça va ?


Françoise arrive et tourne autour d'elle.


FRANCOISE

Si ça va ? C'est parfait !


KELLY (fonçeuse)

Alors on y va ?


FRANCOISE

On va affronter le voisin ? Il ne va pas rester grand chose de sa haie !


KELLY

Le voisin je m'en fiche... Tu as raison, faut vivre !


FRANCOISE

Dis-donc, tu ne parlais pas comme ça quand je suis arrivée !


KELLY

C'est curieux... quand je suis... (elle se désigne) comme ça je me sens plus forte... Il me semble que je peux faire face à tout...


FRANCOISE

C'est normal ça, chérie... Parce que c'est ce que tu es... Quand tu es obligée de paraître ce que tu n'es pas, tu gaspilles de l'énergie et ça te rend vulnérable, tu comprends ?


KELLY

Ben... Je crois, oui... maintenant...


FRANCOISE

Alors on y va !


Françoise et Kelly avancent en direction de la porte d'entrée. Kelly ouvre la porte et passe fièrement la première. Françoise a pour elle-même une moue admirative. Elle referme la porte derrière elle.


115 Intérieur. La salle à manger de Marie. JOUR


La porte s'ouvre dans l'autre sens. Françoise entre. Kelly la suit.


Face à elles, toutes les filles déjà vues dans les scènes 62-63-64 sont assises autour de la table sous la présidence de Marie, qui se retourne.


MARIE

Et bien je crois que nous pouvons commencer... Asseyez-vous les retardataires... Où en sommes nous ?


Françoise et Kelly s'asseyent à des places libres.


NATACHA

Ben à franchement parler c'est pas la joie... La préfecture ne veut pas entendre parler de nous... Le type que j'ai rencontré m'a dit texto: "les homos, passe encore, mais les trans et les travelos, pourquoi pas les nécrophiles ?" Alors voyez...


Kelly tourne la tête en direction de Béatrice.


BEATRICE

Sans compter que pour ce qui est de réunir du monde c'est pas gagné non plus: j'ai fait tous les 36-15 que je pouvais, mais la seule chose qui les ferait tilter ce serait l'annonce d'une partouze géante... De toutes façons à mon avis là-dessus c'est rien que des mecs mariés qui fantasment un peu en jouant au trav pendant que Bobonne fait la vaisselle...


Kelly suit les propos de Béatrice.


CHRISTINE

C'est ce que j'ai toujours dit: nous les trans on est des personnes sérieuses et responsables, et je vois donc pas pourquoi on défilerait avec des obsédés comme ça, ça ne peut que nuire à notre image; pareil avec les filles du Bois !


Kelly regarde Françoise avec consternation. Françoise fait un signe d'impuissance.

LAURA

Dis donc, les filles du Bois, elles sont un peu moins collet-monté que toi, figure-toi !


PASCALE

De toutes façons, la Ligue Pour Les Droits des Transsexuelles a déjà fait savoir qu'elle ne participerait à rien si elle devait défiler avec le Comité de Reconnaissance des Travestis !


Kelly baisse la tête.


VICTORIA

C'est quoi le Comité de Reconnaissance des Travestis ?


Kelly se mord le poing d'énervement.


PASCALE

C'est la fraction dissidente de l'Association Générique des Transgenres, le reste a fondé l'Union Universelle de la Féminité Masculine lors de la scission du Congrès de ...


KELLY (off, hurlant)

ASSEZ !!!


Toute l'assemblée se tourne en direction de Kelly et se fige dans un grand silence.


Kelly est debout à sa place. Elle reprend ses esprits et fait des signes pour dire qu'elle va parler.


KELLY

Vous n'en avez pas assez ? Vous n'en avez pas assez de vous chamailler, de vous disputer comme des gamines ? De jouer à la plus belle, la plus vertueuse, la plus intéressante ? Mais quand comprendrez-vous ? Quand comprendrez-vous enfin ce qu'il nous en coûte de reproduire entre nous les divisions qui nous sont imposées par cette société mesquine ? Quand comprendrez-vous que ce qui compte c'est cette impossibilité commune de rentrer dans les petites cases que les technocrates et les moralistes ont préparé pour nous bannir du monde dont ils se sont emparés ? Que leur intention est précisément de nous laisser nous battre ensemble plutôt que de nous laisser reconquérir le monde, notre monde, celui qui pourrait être si beau ?


Peut-être certaines d'entre-vous ont elle l'intention de composer avec ces gens-là et de se frayer égoïstement une place au soleil grâce au brevet de respectabilité qu'elles se seront fait accorder ? (Christine regarde ailleurs) Mais celles là ne pensent-elles pas que le combat contre cet ordre moral insupportable est l'affaire de toutes et que cet ordre, s'il était décidé à nous éliminer un jour, ne ferait pas le détail entre nous et ce qu'il considère comme des perversions, si différentes soient-elles ?


Peut-être d'autres croient-elles que le salut réside dans le parti-pris délibéré de provocation qu'elles se sentent obligées d'adopter envers et contre tout ? (Laura fait une légère moue) Mais celles-ci peuvent-elles soutenir sincèrement que c'est là le meilleur moyen de nous attirer la sympathie d'une population qui reste malgré tout prisonnière des dogmes religieux et culturels qui ont si désastreusement façonné les consciences pendant presque deux mille ans ?


Et les autres, enfin, celles qui montent, démontent et remontent les associations les plus diverses avec une telle rapidité qu'on peut se demander si elles n'aiment pas plus les associations que les personnes que ces dernières sont censées secourir... A moins qu'une association soit le cadre idéal pour donner à certains esprits fragiles et avides de puissance tant un semblant de pouvoir que l'illusion d'être utiles ?


Regardez-moi: je n'ai plus rien: plus de famille, plus de travail, plus d'enfants, plus de ressources... Combien sont comme moi ? A brève échéance, c'est la rue qui m'attend; combien y sont déjà ? Combien y sont réduites alors que les associations chipotent sur des mots et ne sont même pas capables de défiler ou de travailler ensemble et de montrer que nous existons et que nous voulons être défendues? Je me fiche de la LDT, du CRT, de l'AGT, de l'UUFM, de la RDT, de la TJX, de la ZWQ et de toutes ces associations qui n'ont réussi à montrer qu'un seule chose: leur incapacité à nous représenter efficacement et à nous être utiles !

Alors s'il vous plaît... S'il vous plaît... entendez vous... faites que ça marche... Pour une fois... que je sois réellement fière de défiler avec vous et de montrer que j'appartiens à une famille qui sait se serrer les coudes quand il le faut... Donnez moi de l'espoir !


Kelly éclate en sanglots et part dans la pièce voisine, suivie par Françoise.


MARIE ( à voix basse)

Bon... Elle a raison, je crois... Voyons ce qu'on peut faire, d'accord ?


116 Intérieur. Le Hall de chez Marie. JOUR


Françoise console Kelly, qui sèche ses larmes dans un mouchoir.


FRANCOISE

Ben dis-donc toi... Tu prends pas la parole souvent, mais c'est pas pour rien... Tu as eu raison, tu sais, elle viennent de prendre une sacrée bonne leçon... Allez, viens, on va se changer les idées chez Chrysalis, d'accord ?


Kelly acquiesce en séchant encore quelques larmes sur un coin de son mouchoir. Elle se lève.


Françoise et Kelly s'avancent vers la porte d'entrée.


117 Intérieur. Les locaux de "Chrysalide"; un hangar. JOUR


Françoise et Kelly avancent dans le hangar, à la recherche d'un visage connu. Autour d'elles, des filles-T* s'affairent à réceptionner et déballer de grandes caisses en bois, signer des bordereaux.


Kelly met la main dans une caisse ouverte et en tire des vêtements aux couleurs chatoyantes.


Emma avise Françoise et Kelly du haut d'une passerelle.


EMMA

Françoise ! Kelly !


Françoise et Kelly se retournent et regardent en l'air.


Emma descend un escalier métallique en vis en faisant attention à ses talons. Elle arrive au niveau du sol et s'avance vers les deux amies.


EMMA (A Kelly)

Kelly ! On t'attendait, voyons ! Viens tout de suite chez Jacqueline, elle a besoin de toi en vitesse !


Emma presse Françoise et Kelly vers l'escalier et les pousse à monter le plus vite possible. Les trois filles sont essouflées en arrivant en haut de la passerelle.


Emma leur indique le bureau de Jacqueline. Elle frappe, y pénètre seule un instant et leur ouvre grand la porte. Jacqueline est assise à son bureau, elle enlève ses lunettes. C'est une transsexuelle d'un certain âge, très "femme d'affaires", d'abord sévère mais sympathique.


JACQUELINE

Entrez, Mesdames...


Elle se lève elle-même et va au devant des trois amies.


JACQUELINE (serrant la main de Kelly)

Kelly ? Bienvenue chez nous ! Comme Emma vous l'a dit, nous cherchons une comptable d'urgence... Non, en fait, plus qu'une comptable: outre la comptabilité proprement dite, tout ce qui est gestion des commandes, relations avec les fournisseurs... est à organiser et mettre en place... Les filles qui s'occupent de tout cela n'ont pas d'expérience en la matière et nous frôlons la catastrophe à chaque instant... Nous ne pouvons pas continuer comme ça, alors que précisément les perspectives après quelques mois d'existence paraissent pleines de promesses... (regardant Kelly avec franchise) Bien entendu, nous ne sommes encore qu'une très petite entreprise, assez fragile, et nous ne pouvons certainement pas vous offrir le salaire que vous touchiez chez votre précédent employeur... alors même que vous aurez des responsabilités plus importantes et plus accaparantes... J'en suis désolée... Mais vous connaissez les... caractéristiques de notre entreprise, n'est-ce pas ?


Kelly acquiesce.


JACQUELINE

C'est une tentative unique, et, je crois, quelque chose qui vaut la peine d'être fait: nous nous spécialisons dans la fournitures de produits, et prochainement de services, pour les transsexuelles et travesties. Et nous n'employons que des transsexuelles et travesties qui, sans cela, seraient au chômage pour des raisons diverses... Si on nous pose la question, c'est parce que ça s'est trouvé comme ça, bien entendu, étant donné que personne ne s'inquiète de la discrimination qui fait que nous avons dix fois plus de chances d'être virées que n'importe qui, mais qu'on serait les premières à être sanctionnées pour discrimination à l'embauche... Il faut survivre, que diable, le monde est dur !


Jacqueline s'avance vers la fenêtre, d'où l'on voit l'activité qui règne dans le hangar. Elle fait signe à Kelly de s'approcher pour contempler le spectacle.


JACQUELINE

Bien entendu, tout le monde travaille "en fille", ici... ou en homme d'ailleurs, car nous avons aussi quelques transsexuels femme vers homme... Nous ne sommes pas regardants sur les tenues vestimentaires... pas tracassiers sur les numéros de sécurité sociale... Qu'en dites-vous, Kelly ? Ca vous tente de monter dans notre bateau ?


KELLY

Oh, eh bien.... Oui, bien sûr ! C'est inespéré ! Je crois que je serai fière de faire partie de votre équipage...


JACQUELINE (souriante)

Parfait alors... Emma va vous faire visiter les locaux... Est-ce que cela vous gênerait de commencer le plus tôt possible ?


KELLY

Dès maintenant, si vous voulez bien !


JACQUELINE (se rasseyant à son bureau)

Dès maintenant, c'est entendu, vous ferez noter cela au service du personnel... (Avec un sourire malicieux) Je crains que vous ne deviez aussi faire office de chef du personnel, au moins pour l'instant... je ne vous l'avais pas dit ?


Kelly pouffe de rire. Emma entraîne Françoise et Kelly hors du bureau de Jacqueline.


118 Intérieur. Les locaux de "Chrysalide"; un hangar. JOUR


Françoise, Emma et Kelly sont sur la passerelle et avancent vers l'escalier.


KELLY

On repasse par ce truc là ?


EMMA

Ce truc-là, Kelly, tu vas sans doute le monter et le descendre cent fois par jour, alors tu peux t'y mettre tout de suite ! A propos: pour ça, les talons, c'est pas terrible...


Françoise, Kelly et Emma descendent par l'escalier.


FRANCOISE

Alors Emma, tu travailles ici, maintenant ?


EMMA

En fait, pas encore: j'ai demandé un congé pour quelques jours. D'ailleurs, j'y retourne demain...Mais ensuite je donne mon préavis et hop ! Adieu la SGC ! Attendez, je vais profiter de ce que nous avons une vue d'ensemble pour décrire les locaux à Kelly: Dans ce coin, le quai de déchargement et de réception des marchandises...


KELLY

Quoi comme marchandises ?


EMMA

Des vêtements: robes, jupes, chemisiers... le tout en des tailles et... des coupes spécialement étudiées pour nos morphologies non standard, ma chère... Ca vient des Etats-Unis. Mais aussi des accessoires: cosmétiques, perruques, bijoux. Tenez, les caisses, là: Elles contiennent trois tonnes de rouge à lèvres... Ca en fait des tubes!


KELLY

Qui est-ce qui décharge tout ça ?


EMMA

Des travesties en mec, quand elles n'ont pas d'ongles à préserver... Bon alors plus loin par là il y a un petit hall d'expo pour les représentants et les grossistes... Heu, ne soyez pas choquées quand on ira à l'intérieur, on travaille aussi pas mal avec les sex-shop... Encore plus loin ce sera ton domaine, Kelly, avec la facturation et la comptabilité... Moi je serai en haut avec la "salle informatique", on a déjà un serveur-vitrine sur Internet et les accès ne font que monter tous les jours...


KELLY

Qui est-ce qui travaille ici ?


EMMA

Pour le moment, il ya une vingtaine de personnes... Environ moitié-Travesties moitié Transexuelles en phase de transformation. Les travesties se sont généralement fait piquer à leur boulot, comme toi... Les transsexuelles ont la plupart du temps été virées après avoir contacté leur Direction des Ressources Humaines, ou quand leur transformation est devenue trop gênante, ou encore ont démissionné quand on les a mises au placard... Elles peuvent accomplir toute leur phase de transition tranquillement ici. Après leur chirurgie elles disparaissent, par contre, et vont travailler ailleurs.


KELLY

Vous ne les reprenez pas ?


EMMA

Bien sûr que si ! Mais ce sont elles qui veulent partir.. . Elles veulent oublier tout ça, repartir à zéro.... C'est leur choix comme on dit. Bon, continuons à descendre, je vais vous en présenter quelques-unes...


Françoise, Kelly et Emma reprennent leur descente. Arrivées au bas de l'escalier on les voit qui nouent conversation avec une employée qu'elles rencontrent sur leur chemin.


119 Intérieur. Les locaux de la SGC. JOUR


Jean passe machinalement devant la machine à café, devant laquelle Paul est en train de se choisir une boisson.


PAUL

Jean ! Hé, Jean ! Dis-donc, j'en ai une bien bonne à te raconter !


JEAN

Oui, Paul ?


PAUL

C'est à propos de ton pote Alexandre, tu sais, qu'il a été viré ? Tu prends rien ?


JEAN

Oui, je sais... Non, merci


PAUL

Et tu sais pourquoi: parce qu'il a été chopé par la Sécurité habillé en gonzesse... D'ailleurs tout le monde l'a su dès le lendemain. La honte !


JEAN

Oui, je sais ça aussi...


PAUL (prenant son gobelet)

Mais ce que tu ne sais pas, c'est qu'il a été filmé !


JEAN

Non ? Comment ça ?


PAUL

Par les caméras de surveillance, bien entendu ! Je suis copain avec le chef de la sécurité: il m'a montré un montage qu'ils ont fait, c'est génial; ton pote, on dirait une vraie gonzesse !


JEAN

Un montage, Mais pourquoi faire ?


PAUL (buvant entre ses phrases)

Ah, le but est double: d'abord bétonner la position de la boîte pour qu'il soit débouté si jamais il venait à contester son licenciement; et puis il vont aussi filer une copie à sa femme, pour qu' elle puisse prouver que son mari est un pervers. Je te dis pas: avec ça le divorce est automatique, pension alimentaire plein pot jusqu'à la mort et les enfants il fera mieux de les oublier... Remarque, il l'a cherché !


JEAN

Non, je n'y crois pas, c'est pas possible... tu crois que je pourrais la voir cette bande ?


PAUL

Mais je l'ai vue de mes yeux, moi, cette bande ! Je te jure ! Ca m'étonnerait que tu puisses la voir parce que moi le chef de la sécurité c'est un copain, alors tu comprends... Même que je ne devrais même pas t'en avoir parlé, elle est conservée dans le coffre, c'est dire si c'est sérieux...


JEAN

Bon, tant pis... Ok, tu ne m'as rien dit...


PAUL (jetant le gobelet à la poubelle)

Merci ! Bon, ben j'y vais, hein, à plus !


Paul s'éloigne.


Jean reste pensif. Soudain, il quitte la place à grands pas.



120 Intérieur. Le bureau de Jean à la SGC. JOUR


Jean est assis à son bureau. Il téléphone.


JEAN

Liane ? Emma... Ecoute, il arrive une catastrophe pour Kelly: elle a été filmée par les caméras de surveillance de la sécurité, à la boîte... Oui, en fille, évidemment... Ils vont se servir de la bande contre elle pour son licenciement, mais aussi... Ils l'ont un peu arrangée, en plus... Oui, ils vont la passer à sa femme... pour le divorce je pense... Non, je ne l'ai pas vue... Non, je n'ai pas encore appelé Kelly... pas tant que je ne saurai pas quoi faire... Si je sais où est la cassette ? Oui, dans les sous-sols, dans les locaux de la sécurité... Tu sais quoi faire ? Génial ! Tu m'expliques ?... Tu veux pas ? Que je sois en fille chez toi dans une heure ? Oui, c'est possible, de toutes façons je n'en ai plus pour longtemps ici... Tu te charges d'appeler Kelly ? Bon, entendu, à tout de suite !


121 Intérieur. L'appartement de Liane. JOUR


Liane est assise sur le canapé avec Véronique; Elle lui parle.


Liane prend son téléphone.


Liane parle au téléphone.


INSERT


Christiane, dans son établissement, au téléphone, plissant les yeux et hochant la tête


FIN D'INSERT


Liane raccroche.


Liane parle avec animation au téléphone.


INSERT


Françoise chez elle, à son téléphone, en grande discussion.


FIN D'INSERT


Liane raccroche.


Liane parle avec compassion au téléphone.


INSERT


Kelly, à Chrysalide, à son téléphone portable, abasourdie et catastrophée


FIN D'INSERT


Liane parle avec détermination au téléphone.


INSERT


Marie chez elle, au téléphone, approuvant de la tête et sans rien dire.


FIN D'INSERT


Liane parle avec persuasion au téléphone.


INSERT


Laura, au Bois, à son téléphone portable, acquiesçant avec joie.


FIN D'INSERT

Liane raccroche, épuisée.


Emma dans le salon de Liane, embrassant Liane, puis Véronique.


Emma, Liane et Véronique riant aux éclats.


122 Extérieur. Devant l'entrée du parking de la SGC. JOUR


Une voiture stoppe en douceur devant la barrière qui interdit l'accès au parking. Les portières s'ouvrent, laissant le passage à quatre filles en grande tenue d'apparat.


Deux filles se dirigent vers la base de la barrière, et deux autres vers l'extrêmité libre, qu'elles se mettent à soutenir. Les deux premières ont des clefs à molettes en mains et commencent à dévisser la barrière.


La barrière est dévissée en quelques secondes. Les filles la mettent sur le côté du passage.


Les filles remontent dans la voiture. La voiture s'engouffre dans le parking, suivie de plusieurs autres.


123 Intérieur. Dans le parking de la SGC. JOUR


Les voitures se répartissent les allées dans un ballet ponctué de crissements de pneus. Elles se rangent au milieu des allées au plus près des portes d'accès au sous-sol du bâtiment.


Toutes les portières s'ouvrent en même temps. Les filles en sortent en parfaite synchronisation. Elles sont toutes en grande tenue, de la robe de vamp moulante à souhait jusqu'à la robe du soir. En tête, Liane, Emma, Kelly, suivie de Véronique... Elles se dirigent avec rapidité et des mouvements précis, en plusieurs files, vers les portes d'accès au sous-sol du bâtiment. Véronique seule semble un peu perdue.


124 Intérieur. Dans les sous-sols de la SGC. JOUR


Les filles progressent dans les couloirs: une éclaireuse attend que la caméra se tourne du côté opposé, va jusqu'à celle-ci et la bloque. Elle fait un signe à la colonne, qui profite de la neutralisation de la caméra pour passer.


Avant un carrefour, l'éclaireuse s'arrête: un gardien est en faction. Elle fait un signe à une autre fille ,qui vient la rejoindre dans la pénombre.


L'éclaireuse débouche devant le gardien et lui fait un grand sourire.


Le gardien ouvre de grands yeux. Il reçoit un coup sur la tête qui lui fait perdre connaissance.


La deuxième fille regarde le sac à mains avec lequel elle a assommé le gardien. Elle l'ouvre et vérifie que la mini-matraque en plomb qui s'y trouve n'est pas abîmée.


Emma guide les filles jusqu'à un local vitré. A l'intérieur, le chef des vigiles est en train de regarder un écran video. A côté de l'écran, un étui de cassette X ouvert et vide: "Les SheMales lubriques"


Emma fait signe à Laura de désigner dix filles pour la suivre dans le local.


Laura fait signe qu'elle a compris et désigne les dix volontaires du doigt.


Emma compte à rebours sur ses doigts. Au signal, elle et les dix autres filles se dirigent droit sur le local, qu'elles investissent. Quatre filles passent au chef des vigiles ses mains dans son dos et les lui attachent avec ses propres menottes.


125 Intérieur. Le local de la Sécurité, dans les sous-sols de la SGC. JOUR


LE CHEF DES VIGILES (affolé)

Mais... ??? Qui êtes-vous ??? Qu'est-ce que vous voulez ??? Lâchez-moi !!!


EMMA (prenant l'arme du chef des vigiles, avec un regard inquiètant)

Ce que nous sommes ? Mais des anges voyons... Des anges exterminateurs !


LE CHEF DES VIGILES (paniquant)

Ne me faites pas de mal !!!


LAURA

Détends-toi mon chou... (prenant l'étui de la cassette X) Tu aimes bien les She-Males ? Ca tombe bien: On est une bonne quarantaine, ca devrait te plaire, non ?


LE CHEF DES VIGILES (balbutiant)

Je vous en prie... Je vous en prie... Qu'est-ce que vous me voulez ?


EMMA

On sait que vous appréciez les cassettes, ici... On peut les voir ? Ou sont-elles ?


LE CHEF DES VIGILES

Les cassettes ? A côté... dans la chambre-forte... Les clefs sont à mon trousseau, à ma ceinture.


LAURA

Tu vois Emma... Je savais qu'on obtiendrait tout par la douceur...


Laura fait semblant de se coller comme une vamp au Chef des vigiles et lui prend son trousseau. Son autre main s'égare et...


LE CHEF DES VIGILES (hurlant)

AAAAAHHHHHHH ! Empêchez-là ! Elle est dingue !


EMMA (avec un air de reproche)

Laura...


LAURA

C'est pas ma faute... J'ai jamais pu piffer les uniformes... (faisant tintinabuller les clefs) Bon, on va voir ?


Emma et Laura se dirigent vers une grande porte blindée. Linda ouvre la porte avec la clef du gardien. Elles entrent, suivies de plusieurs autres filles, dont Véronique.


126 Intérieur. La chambre forte de la Sécurité, dans les sous-sols de la SGC. JOUR


Les filles restent bouche bée de stupéfaction. Tout un mur est couvert de moniteurs allumés, avec des magnétoscopes dessous.


Les filles se retournent: l'autre mur est caché par des étagères métalliques sur lesquelles se trouvent des miliers de cassettes video.


Emma s'approche et déchiffre quelques étiquettes.


EMMA

C'est fou... On dirait que chaque employé a sa cassette, ici... Tiens, par exemple, celle de ce brave Paul...


Emma prend une cassette et la glisse dans un magétoscope libre.


Une image apparaît sur l'écran associé: Paul est debout dans le local des toilettes, il déplie le poster central d'un magazine pour mieux l'admirer. D'un geste délicat, avec gourmandise, il déplie un volet supplémentaire, au niveau du sexe du modèle...


LAURA

Oh, le vilain garçon... tu me le présentes ?


Emma éjecte la cassette et la donne à Laura.


EMMA

Si tu veux... Son numéro de bureau est sur l'étiquette...


Laura regarde l'étiquette.


LAURA

Pas que son numéro de bureau: il y a aussi un résumé, regarde: "Temps de repos utilisé abusivement".


EMMA (réfléchissant)

Ah, oui, je comprends... Ils nous fliquaient pour mieux trouver des motifs de nous virer... Les salopards...


Kelly rejoint Emma et Laura.


KELLY

Alors ? Et ma cassette, vous l'avez ?


EMMA

Tout est classé par numéro de bureau. La tienne doit être... (cherchant) par là... Voilà ! On y est ! Voici la tienne !


Emma prend la cassette et la donne à Kelly, qui la serre contre son coeur.


KELLY

Ah les filles ! Merci, merci ! C'est extraordinaire ce que vous avez fait ! Comment pourrai-je jamais vous remercier ?


LAURA

Ben c'est rien... A mon avis, y a pas que toi qui va nous remercier dans quelques instants... Qu'est-ce que tu en dis, Emma ?


EMMA

Tu as raison... Ca serait bête de s'en tenir là... Tu sais ce qu'on va faire ? On...


Des exclamations se font entendre.


DES FILLES

Oh ! Ca alors regardez-ca ! C'est lui ! Ma main au feu !


Emma se dirige vers le mur opposé, où des filles du bois sont en train de regarder un écran.


EMMA

Que se passe-t'il ? Mais c'est le conseil d'Administration de la boîte ? Qu'est-ce que vous avez ?


UNE FILLE (désignant l'écran)

Le type, là ! C'est un client à moi : Il vient tous les vendredi soirs ! Je le reconnais bien ! Il vient avec ses couches, il veut que je le traite en bébé et il m'appelle maman !


Les filles éclatent de rire.


UNE AUTRE FILLE (désignant l'écran à son tour)

Et l'autre là ! Celui là c'est le mien ! C'est lapin gâteux, voilà le nom que je lui donne, vous devinez bien pourquoi !


Nouvel éclat de rire général.


PLUSIEURS FILLES

Et moi aussi j'en reconnais un ! Celui-là ! Celui-là !


EMMA

Vous voulez dire que vous connaissez plusieurs des membres du Conseil d'Administration ?


LAURA (regardant l'écran attentivement)

Si on les connaît... tu parles ! Ces types-là sont des habitués... Je les connais tous: Mariés, pères de famille, décorés et respectables, mais amateurs de galipettes et de spécialités ! Ah, comme tous ceux qui sont si à cheval sur la moralité, ils ne se privent pas de batifoler avec nous !


EMMA

Alors... Il y a quelque chose à faire ! Tu sais à quoi je pense ?


LAURA

Je crois que oui... Quelque chose qui me démange depuis longtemps !


EMMA

Alors allons-y... Les filles, écoutez moi: nous allons participer à ce Conseil d'Administration....


LES FILLES

OUIIIIIIIIIIIII !!!!


EMMA

Et que chacune prenne sa part des cassettes qui sont là ! Nous allons faire une grande distribution !


LES FILLES

OUIIIIIIIIIIIII !!!!


Les filles se ruent sur l'étagère aux cassettes. Chacune en prend autant qu'elle peut.


127 Intérieur. Les locaux de la SGC. JOUR


Les filles arpentent les couloirs, les bras chargés de cassettes, sous l'oeil ahuri des employés de la SGC.


Une fille avise un numéro de Bureau, regarde l'étiquette de la cassette du dessus de son gros lot de cassettes, et entre dans le bureau d'un air décidé.


Une autre fille est dans un bureau: elle n'a que les trois quarts du lot précédent. Avec un grand sourire, elle tend sa cassette à un employé qui la regarde avec incrédulité.


Une autre fille ressort d'un bureau, avec un tas moitié moindre de cassettes.


Une autre fille entre dans un bureau avec quelques cassettes.


Elle se trouve face à une vieille employée d'allure très stricte, fumant comme un sapeur. La fille cache mal sa surprise, pose délicatement la cassette sur le bureau et s'en retourne sur la pointe des pieds en faisant la moue.


Laura entre dans le bureau de Paul avec une seule cassette, qu'elle met dans son dos. Elle s'avance langoureusement vers lui, qui reste médusé, et lui tend brusquement sa cassette.


LAURA (Avec un clin d'oeil)

Vilain garçon !


Paul prend la cassette. Laura s'en retourne en ondulant des hanches. Au moment de refermer la porte sur elle, elle se retourne vers Paul et lui lance un baiser langoureux.


Paul desserre sa cravate.


128 Intérieur. Les locaux de la SGC: Le salon avec la machine à café. JOUR


De nombreuses filles arrivent au salon, les bras vides pour retrouver la grande masse de celles qui s'y trouvent déjà.


Kelly est là en meneuse, avec Véronique à ses côtés, ainsi que Emma et Laura.


KELLY

Et maintenant, les filles, à l'étage de la Direction !


LES FILLES

OUIIIIIIIIIIIII !!!!


Elles se ruent dans les ascenseurs.


129 Intérieur. Les locaux de la SGC: Le palier d' ascenseur de l'étage. JOUR


Les portes d'un ascenseur s'ouvrent avec un signal sonore.


Il ne se trouve à l'intérieur qu'un petit homme à l'air très sérieux, en costume sombre et porteur d'un attaché-case.


Les filles rentrent une à une dans l'ascenseur avec des attitudes provocantes à son intention. Au fur et à mesure qu'elles rentrent, l'homme, offusqué, se pousse pour être le plus loin possible.


Les filles sont trop nombreuses pour qu'il puisse se maintenir à distance: il est noyé dans la masse.


Les portes de l'ascenseur se referment avec un signal sonore.


130 Intérieur. Les locaux de la SGC: Le palier de l'étage de la Direction. JOUR


Le palier est celui d'un étage cossu et feutré.


Les portes de l'ascenseur s'ouvrent avec un signal sonore. Les filles en sortent comme une volée de moineaux. L'une d'elles brandit joyeusement la cravate de l'homme comme un trophée.


L'homme reste tout seul dans l'ascenseur, les cheveux ébouriffés, la veste déchirée, la chemise bouffante, sans cravate, l'attaché case ouvert, maintenant son pantalon d'une main, une chaussure manquante.


Sur le palier, Kelly dirige les opérations:


KELLY

Mettez-moi tout ça à sac ! Trouvez-moi tout ce que ces salopards cachent de compromettant !


LES FILLES

OUIIIIIIIIIIIII !!!!


Les filles s'éparpillent dans les étages en empruntant tous les couloirs et entrant dans les bureaux.


131 Intérieur. Les locaux de la SGC: L'étage de la Direction. JOUR


Kelly est restée sur place; Elle cherche Véronique, qui n'est plus à côté d'elle.


Véronique est un peu plus loin: elle cherche un numéro sur les portes de l'étage.


KELLY (intriguée)

Que fais-tu, Véronique ?


Véronique se tourne vers Kelly et met un doigt sur sa bouche tout en ouvrant la porte du bureau qui se trouve face à elle. Elle entre timidement, sans regarder, puis se fige sur place, l'air médusé, la main sur la bouche, en voyant le spectacle qui lui est offert.


Kelly se précipite pour voir à son tour et reste elle aussi bouche bée.


En face d'elles, dans le bureau, le mari de Véronique est par terre, à quatre pattes, les fesses nues et le pantalon sur les mollets. Il regarde Kelly et Véronique, anéanti. A côté de lui, le "chef de chantier" du groupe "Village People", avec un fouet à la main, triture sa moustache.


KELLY (murmurant)

Je savais bien que cette tête me disait quelque chose...


Véronique se retourne vers Kelly et l'embrasse fougueusement et ostensiblement. Elles se regardent une seconde, puis partent ensemble, disparaissant de l'encadrement de la porte.


Le "chef de chantier" lâche sa moustache et abat son fouet, arrachant un cri sauvage au mari de Kelly.


132 Intérieur. Les locaux de la SGC: l'étage de la Direction. JOUR


En revenant sur le palier, Véronique et Kelly croisent des filles qui reviennent de leur expédition dans les bureaux. Elles ont les bras chargés de revues pornographiques, de CD "de charme", voire de cassettes X.


Laura s'avance vers Kelly:


LAURA (sacarstique)

(Désignant les "prises de guerre") Tiens, regarde un peu ce qu'ils cachaient, les mignons: dans les tiroirs, derrière les armoires, dans leurs dossiers, un peu partout ! (montrant une feuille de papier qu'elle tient à la main) On a fait l'inventaire: ce qu'on a trouvé et chez qui on l'a trouvé... Si avec ça ils te réintègrent pas en tant que présidente, c'est que je ne connais rien au monde des affaires !


KELLY

Oh, je n'en demande pas tant, tu sais... (regardant Véronique avec tendresse) Surtout maintenant...


LAURA

Maintenant ? Que veux-tu...


Emma arrive et les interrompt.


EMMA

Les filles ! Il faut se dépêcher si vous voulez arriver avant la fin du Conseil !


LAURA

Tu as raison ! HEY LES FILLES ! PAR ICI !


Les filles se regroupent à toute allure sur le palier. Elles se tournent vers la cabine de l'ascenseur


Dans celle-ci, restée ouverte, il y a toujours l'homme en piteux état qu'elles y ont laissé et qui les regarde en tremblant, avec terreur.


Un grand instant de silence.


LES FILLES

OUIIIIIIIIIIIII !!!!



Les filles se ruent dans la cabine, où l'homme se recroqueville sur lui-même, les mains sur la tête, pour se protéger.


133 Intérieur. Les locaux de la SGC: la Salle du Conseil. JOUR


Une salle de vastes dimensions, avec une immense table ovale autour de laquelle siègent des hommes richement vêtus. Certains ont le visage long, émacié et sévère des technocrates. D'autres l'embonpoint opulent et les manières des parvenus. Tout respire un luxe insolent.


Le président, du type technocrate à lunettes d'écaille, a quelques feuilles de papier devant lui, posées sur un sous-main en cuir. Il parle si bas qu'il en est inaudible. Ses gestes posés expriment l'évidence et le calcul. De temps en temps, il jette un coup d'oeil par dessus ses lunettes et les autres opinent alors gravement à ses propos.


Loin derrière lui, la porte de la salle s'ouvre et Laura apparaît.


Un, deux, puis trois des dignitaires qui assistent au Conseil écarquillent les yeux.


Le président remarque leurs mines, fronce un sourcil, s'interrompt très légèrement, puis continue sa lecture en les surveillant du regard.


Un autre dignitaire laisse tomber son cigare. Un autre s'arrête de feuilleter un dossier et reste figé.


Le président s'arrête de lire, les regarde, reprend ses feuillets et semble vérifier ce qu'il vient de lire. Puis il réalise qu'ils regardent tous derrière lui et se trouve nez à nez, presque bouche contre bouche avec Laura. Il recule vivement, totalement désarçonné.


LAURA (vamp)

Bonjour mon lapin ! Suuuuuur-priiiiiiiiiiise !


LE PRESIDENT

Mais... ! Qu'est-ce que tu... Qu'est-ce vous.. Enfin, je veux dire, quelle est cette intrusion ?


LAURA

Ben enfin mon lapin ? Je te vois plus depuis quelques temps... Alors je suis venue aux nouvelles !


LE PRESIDENT

C'est que je suis très occupé ! Ou plutôt, je ne vous connais pas !


LAURA (taquine)

Oh le farceur... Dire ça après tout ce qu'on a fait ensemble... Alors, tu me présentes tes amis ? C'est avec eux la prochaine petite partouze du Samedi soir ?


LE PRESIDENT

Mais non ! Enfin je veux dire... Sortez ! (appelant)Sécurité ! Sécurité !


LAURA

Ta sécurité, c'est moi qui l'assure, désormais, mon lapin... Alors comme ça tu ne veux pas me présenter tes amis ? C'est dommage, parce que moi, j'avais fait venir des copines... Regarde...


Laura fait un signe de la main, sans cesser de regarder le Président.


Les filles du Bois entrent dans la salle, comme les Miss France défilent, avec un zeste d'ondulations en plus. Elles sont suivies d'Emma, Kelly, et de Véronique.


Chacune des filles va s'asseoir sur les genoux d'un des dignitaires assis au Conseil, qui ne sait plus alors quelle contenance adopter


UNE FILLE (à son élu)

Lui, c'est mon habitué du Lundi soir... Pas vrai Nounours ?


UNE DEUXIEME FILLE (à son élu)

Et lui, je le vois dans sa voiture, une grosssse limousine noire... Il fait un grannnnnd détour pour passer par le Bois !


UNE TROISIEME FILLE (à son élu)

Lui, il m'appelle, quand il a un moment de libre... Il est trèèèèèès généreux !


Emma s'approche à son tour et se place de l'autre côté du Président.


EMMA

Peut-être bien que tout ceci est de nature à créer un gros scandale, Monsieur le Président... Des troubles dans vos vie privées... des difficultés financières pour votre société... On peut tout imaginer !


LE PRESIDENT (accablé)

Très bien, vous avez gagné... Mais qu'est-ce que vous voulez ?


EMMA

Parfait... Je vous propose de changer l'ordre du jour, Monsieur le Président... L'ordre du jour sera désormais... "Justice et Réparation"... Oui, je sais, ce n'est pas si fréquent...


Le président fait un geste de capitulation.


EMMA

Donc... Pour ce qui est des réparations... Vous allez réintégrer sans conditions tous les employés qui ont été licenciés sous divers prétextes, et, en fait, au vu de vos bandes de surveillance video utilisées illégalement...


Le président pousse un soupir et commence à noter sur une feuille de papier.


EMMA

Figurez-vous qu'une de nos amies est sur le point de subir un gros préjudice personnel du fait de son licenciement... (Jetant un oeil vers Kelly, qui tient Véronique par la main) Oui, elle risque de perdre ses enfants dans un divorce que lui intente son épouse... et que vous alliez appuyer... (Geste de protestation du Président) Si si si... Vous allez faire en sorte que ses enfants lui soient confiés !


Kelly a un regarde de reconnaissance. Le Président regimbe:


LE PRESIDENT

Mais je ne peux pas influer sur une décision de justice !


EMMA

Oh, Monsieur le Président, vous êtes trop modeste... Avec votre argent et vos relations... Je suis certaine que cela pourrait s'arranger... Comme dans l'affaire du rachat de la Société Auxiliaire de Gestion, par exemple... Souvenez-vous: la justice s'y est beaucoup intéressée, avant que vous ne l'apaisiez par... mettons, de solides et convaincantes explications... Oui, je suis au courant... de ça et d'autres choses...


Le président soupire encore une fois et se remet à écrire.


EMMA

Passons à la Justice, maintenant... Nous voulons que, au lieu de les flanquer à la porte ou dans un placard, vous vous engagiez à soutenir les personnes transsexuelles au cours de leur toute leur phase "de transition", que vous leur accordiez des facilités d'horaires pour leurs rendez-vous médicaux, ce genre de chose...


Le président note toujours, en secouant la tête.


LE PRESIDENT

Mon Dieu ! Mon Dieu ! .... Est-ce tout ?


EMMA

Je crains que non, Monsieur le Président... Voyez-vous, nous comptons organiser un défilé du plus pur style "Pride" dans quelques temps... Et malheureusement, la préfecture nous fait quelques difficultés... Je pense qu'un homme comme vous, avec ses relations....


LE PRESIDENT

J'ai compris, je m'en charge.... Evidemment... Quoi d'autre ?


EMMA

Eh bien... Ce défilé... vous allez le sponsoriser !


Le président écarte violemment ses feuillets et pose brutalement son stylo.


LE PRESIDENT

Ah non ! Ca, jamais !!!


EMMA

Voyons, Monsieur le Président... réfléchissez ! N'êtes vous pas un chantre du Libéralisme et du Marché ? (Elle se penche vers le Président comme pour lui faire miroiter quelque chose) Mais qu'est-ce que le marché aujourd'hui ? Ne voyez vous pas que de nouveaux "segments", comme vous dites, apparaissent tous les jours ? (Le président retire ses lunettes et en mordille les branches, réfléchissant) Les jeunes hier, les homosexuels aujourd'hui, les Transgenres demain ! Ne voulez-vous pas donner à votre société l'image d'une entreprise ancrée dans le monde d'aujourd'hui ? (Le Président commence à s'exhalter) Pour ce qui est des homosexuels, c'est trop tard, toutes les entreprises sont sur la place... Mais pour les Transgenres ? N'hésitez pas, sautez une étape, pariez sur le futur ! (Le président est visiblement séduit) Et demain toutes les entreprises transgenres vous confieront leur comptabilité... Qu'en pense Monsieur le Directeur du Marketing ?


LE DIRECTEUR DU MARKETING

Eh bien... Elle... heu... Il, heu... Cette personne n'a pas tort, il ne faut rien négliger... Il y a déjà un syndicat des entreprises "gaies"... et un certain nombre d'entreprises affichent sur leur site Internet le logo de l'Arc en ciel...


Le Président se lève, conquis.


LE PRESIDENT

Un nouveau défi à relever ! Oui ! J'aime ça ! (Se tournant vers Emma) J'accepte ! Nous le ferons !


Tous les dignitaires se lèvent, enthousiastes. Emma va rejoindre Kelly et Véronique.


LES DIGNITAIRES

Nous le ferons !


Le président et les dignitaires se rassoient et commencent à discuter les uns les autres avec véhémence et passion.


KELLY

Fantastique, Emma... Ca alors, je n'arrive pas à y croire...


EMMA

Ce ne sont que des hommes: bêtes et hypocrites mais pas méchants... Il faut savoir leur tenir leur langage, c'est tout... Il reste juste un détail que j'aimerais bien régler...


KELLY

Ah oui ? Quel détail ?


134 Extérieur. Les boulevards d'une grande ville. JOUR


La tête un peu crispée du Président, qui salue à droite et à gauche, puis celles des dignitaires, qui font de même. Ils ont toujours leurs costumes de cadres, mais arborent dessus un macaron qui représente une chaussure à talon et un tube de rouge à lèvres. Ils sont sur un char de défilé, qui porte en gros l'inscription "SGC: L'Entreprise de demain. Merci à notre sponsor". Sur le même char, des filles T* jettent des pétales de roses au public qui les acclame.


Sur le char suivant, présidé par Laura, des filles dansent sur des rythmes latins. Laura câline le crâne de Paul, qui est aux anges.


Sur le char suivant, Liane, dans un grand numéro d'imitation de Greta Garbo jouant la Reine Christine, près du gouvernail du navire. D'autres filles sont les sosies de célèbres actrices de cinéma: Marilyn Monroe, Audrey Hepburn, Marlène Dietrich...


Sur le char suivant, Emma en Joconde regarde la foule et sourit de manière énigmatique. Michel est en Léonard de Vinci et feint de la peindre en jetant de temps en temps une touche de couleur sur une toile posée sur un chevalet. Autour d'eux, des filles miment des scènes célèbres de tableaux: La Création d'Adam, Gabrielle d'Estrées et la Duchesse deVillars, la Liberté guidant le Peuple, le Déjeuner sur l'herbe...


Un autre char où les filles portent les costumes féminins à travers les âges, depuis l'antiquité jusqu'aux délires futuristes des créateurs de mode.


Sur le char suivant, Kelly et Véronique, tendrement enlacées, avec à leurs pieds les enfants de Kelly.


Un journaliste avec un micro, suivi d'un caméraman, se jette sur le char pour interviewer les enfants.


LE JOURNALISTE

Alors les enfants ? Contents d'être à la fête ?


Les enfants approuvent gravement en hochant la tête.


LE JOURNALISTE

Dites moi les enfants, qui fait la vaisselle à la maison ?


Les enfants ont l'air étonné et ne répondent pas.


LE JOURNALISTE

Qui donne les fessées ?


Les enfants se regardent comme pour se dire "Quel idiot celui-là..." et ne répondent toujours pas


LE JOURNALISTE

Qui est votre papa, qui est votre maman ? Ben répondez, quoi !


LA PETITE FILLE

Ben ça dépend des jours...


LE PETIT GARCON

Et puis ça n'a pas d'importance, du moment que nos parents ils nous aiment !


Le journaliste fait un signe au caméraman pour dire qu'ils laissent tomber. Il désigne sur le char suivant une fille T* avec une poitrine opulente qui danse de façon provocante, et fait un geste pour lui dire de bien filmer ça. Le cameraman fait signe qu'il a compris, met sa caméra en position et filme la fille sous tous les angles possibles.


Le défilé continue à passer...


FIN


Michèle Anne Roncières, auteur et propriétaire de ce texte, s'en réserve, sauf accord express de sa part, tous les droits pour tous les pays et notamment en ce qui concerne les modifications ou la réécriture, totale ou partielle, ainsi que pour toutes les formes de diffusion et d'exploitation

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