L'habit ne fait pas la nonne.

Version du

15 Juin 2014.

(Réécriture de la version de Novembre 2005)


1Extérieur. Une rue de Paris. NUIT(début de la nuit).


Une bouche de métro. Son escalier est désert. Des hommes et des femmes l'envahissent soudain par le bas, montent les marches et s'éparpillent dans toutes les directions une fois au niveau de la rue.


L'une des femmes est habillée d'un imperméable beige sous lequel on voit un pull-over blanc et un jean. Elle a des cheveux mi-longs coiffés sans recherche. Elle a un sac très ordinaire à l'épaule et les mains dans les poches. Ses chaussures sont de vieilles tennis.


Elle chemine sur le trottoir parmi des passants qui la dépassent ou la croisent sans lui jeter un regard, parfois en la bousculant, sans qu'elle réagisse. Elle s'engage dans l'allée d'un immeuble moderne, s'arrête à une porte de verre, compose un code sur un interphone, ouvre la porte et rentre dans un hall. Elle pénètre dans la cabine de l'ascenseur.


A côté de la porte de verre, l'escalier de secours de l'immeuble, qu'on suit des yeux jusqu'au dixième étage. Sur la terrasse de cet étage donne une baie vitrée, suffisamment ouverte pour qu'on entre à l'intérieur.


2 Intérieur. Appartement de la victime n°1 : le séjour. NUIT/JOUR


Tout est éteint. On passe au-dessus d'un canapé moderne avec deux coussins assortis. Devant lui se trouve un poste de télévision éteint. Un panoramique montre un intérieur terne avec une porte à gauche du canapé, un petit hall avec la porte d'entrée devant, une autre porte à droite du canapé.


Le claquement de la porte d'entrée se fait entendre. On se retourne en direction du canapé, de manière à le voir en entier, devant la baie vitrée ouverte, bordée par des rideaux amples, à travers laquelle on aperçoit le ciel nocturne, avec les lumières des immeubles alentour.


La femme passe rapidement devant le canapé, en imperméable, mais dépouillée de son sac. La lumière bleutée du poste de télévision envahit la pièce, ainsi que le générique pompeux du journal télévisé. La lumière électrique s'allume et la femme repasse devant le canapé.


LE PRESENTATEUR (OFF)

(hurlant et scandant les mots comme un bateleur de foire).


- »50 Millions d'Euros, tel est le bénéfice prévisionnel que vient d'annoncer le porte-parole du groupe Charogne pour l'année en cours. Cet excellent résultat pour l'économie française est notamment dû aux mesures dérogatoires assouplissant le Droit du Travail, que le Président de la République s'était engagé, par loyauté républicaine, à faire prendre envers le groupe, qui a financé l'intégralité de sa dernière campagne ». (Roulement de tambours).


La femme repasse devant le canapé, dans l'autre sens, un verre à la main.


LE PRESENTATEUR (OFF)

(même jeu).


- »250 000 réajustements techniques des postes de travail, tel est le nombre de licenciements que vient d'annoncer le même porte-parole du même groupe Charogne pour la même année en cours. Ces mesures, que les intéressés découvriront demain 26 Décembre dans leurs boîtes aux lettres (Rire profond), sont motivées par le souci bien légitime du groupe de préserver sa compétitivité internationale ». (Roulement de tambours).


La femme revient devant le canapé avec un paquet de cigarettes, un briquet et un cendrier plat. Elle regarde l'écran et s'assied sur la gauche du canapé (laissant l'espace libre sur sa droite à elle) sans cesser de le fixer des yeux.


LE PRESENTATEUR (OFF)

(même jeu).


- »Cent femmes assassinées, tel est le nombre de victimes du tueur qui sévit en toute impunité à Paris depuis dix ans. (Roulement de tambours). Tels sont les grands titres de cette édition de Noël ! (Trompettes tonitruantes).


La femme dépose le cendrier sur un bras du canapé.


LE PRESENTATEUR (OFF)

(d'une voix normale, mais avec l'intonation typique d'un présentateur de Journal Télévisé).

- »Mesdames et Messieurs, bonsoir. La centième victime de celui que l'on surnomme « le tueur au maquillage » a donc été découverte hier matin dans son appartement parisien. Il s'agit donc d'une sorte de record que nous allons saluer comme il se doit par un »Dossier Spécial  de la Rédaction ». J'invite donc les personnes avides de sensationnel à se rapprocher de leur téléviseur, car, dans le souci d'une information exhaustive, nous allons diffuser des images extrêmement choquantes, voire traumatisantes... »


La femme prend une cigarette dans le paquet et l'allume sans cesser de regarder l'écran.


LE PRESENTATEUR (OFF)

- »Alors, Jean-Michel, vous êtes à la rédaction le spécialiste des affaires criminelles, et c'est donc vous qui avez réalisé pour nous ce dossier exceptionnel sur celui qui semble d'ores et déjà le plus grand tueur en série en activité. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce personnage ? »


La femme se cale dans le canapé avec un coussin et fixe l'écran avec un intérêt soutenu.


LE JOURNALISTE CRIMINOLOGUE (OFF)

- »Tout à fait, Jean-Pierre ; eh bien, la toute première chose qu'on peut dire sur le fameux « tueur au maquillage », appelé ainsi, rappelons-le, parce qu'il maquille et habille ses victimes à son goût, c'est évidemment qu'on ne sait rien, oui, pratiquement rien à son sujet. Nous allons donc comme il se doit récapituler tout ce que nous ignorons : tout d'abord, nous ignorons, bien sûr, qui il est et quelle est son apparence... »


Le rideau sur la droite du canapé (à droite de la femme, et derrière elle) s'écarte et livre passage au tueur. C'est un homme d'une quarantaine d'années, de type athlétique, légèrement grisonnant et entièrement habillé en noir. La femme prend le cendrier et y dépose la cendre de sa cigarette.


LE JOURNALISTE CRIMINOLOGUE (OFF)

- »Nous ignorons tout autant où, à quel moment et de quelle manière il va frapper puisque, nous le verrons tout à l'heure avec nos photos les plus spectaculaires qui reproduisent, je le dis tout de suite à l'intention des personnes sensibles, des asphyxies par noyade, (il halète presque d'excitation) des gorges tranchées et des éventrations, la gamme de ses talents paraît sans limites... (Il reprend son souffle) C'est un homme qui renouvelle sans cesse ses techniques. »


Le tueur lève ses mains gantées de cuir noir, qui tiennent un bas de femme de couleur chair. La femme continue de regarder l'écran, comme hypnotisée.


LE JOURNALISTE CRIMINOLOGUE (OFF)

- »La seule chose que la police ait réussi jusqu'à présent, à part compter les victimes, c'est de mettre en évidence que ses victimes sont le plus souvent d'âge moyen et célibataires. Et, bien entendu, ce sont exclusivement des femmes. »


La femme se recroqueville sur son canapé. Le tueur se rapproche lentement d'elle par derrière, prêt à lui passer le bas autour du cou.


LE JOURNALISTE CRIMINOLOGUE (OFF)

- »Je vous propose à présent de passer aux images, qui sont certainement des documents les plus éloquents en la matière... et qui nous dispenseront de tout commentaire, comme je vais avoir l'occasion de vous le dire... »


La femme fait une grimace. Le tueur bondit, passe le bas autour du cou de la femme et le serre violemment à deux mains dans la nuque de celle-ci. La femme porte vivement les mains à son cou en écarquillant les yeux, semblant toujours regarder le poste de télévision. Sa cigarette tombe dans son giron. La lutte commence.


VOIX DU REPORTAGE (OFF)

(Ton d'un documentaire animalier)

- »Ce cadavre inerte dont on retire sous vos yeux les viscères pour l'autopsie était, il y a encore quelques heures, une jeune femme souriante et pleine de vie. Mais voilà ; au mauvais endroit au mauvais moment, elle a croisé le chemin du « tueur au maquillage »... Qui saura jamais la vérité sur ce qui s'est passé, la peur qu'elle a connue, les souffrances horribles qu'elle a endurées... ? Car n'en doutons pas, cette charmante jeune femme, avec laquelle son assassin a joué avec sadisme durant de longues minutes, comme un chat avec la souris, a eu tout le temps de se rendre compte qu'elle allait mourir ! »


La femme, qui se cabre sur le canapé, tente désespérément d'atteindre son agresseur par derrière tandis que ses yeux deviennent de plus en plus exhorbités.


VOIX DU REPORTAGE (OFF)

(Même ton)

- »Afin que vous puissiez mieux apprécier la sauvagerie de cet être indigne d'une société civilisée, nous allons procéder sous vos yeux à une reconstitution détaillée, et au ralenti, du dernier meurtre... »


Les bras de la femme retombent lentement sur le canapé, la paume en haut, en même temps que son visage se fige en s'apaisant : seul un bout de langue affleure les lèvres. Les bras sont encore agités de mouvement convulsifs, puis s'immobilisent définitivement.


Les yeux de la femme sont grand ouverts, fixes et sans vie.


Le tueur relâche sa prise et s'essuie le front du revers de la main.


Un cri de femme aigü jaillit du poste de télévision. Surpris, le tueur se précipite sur les extrêmités du bas qui entoure le cou de la femme et recommence fébrilement à tirer dessus. Devant le manque de réaction de la femme, alors que le cri continue, le tueur s'arrête, regarde dans la direction du poste de télévision et sourit de son erreur. Il relâche définitivement son étreinte et le cou retombe alors en penchant légèrement sur le côté, le bas toujours autour du cou.


Le tueur retire ses gants et les pose sur le haut du canapé. Il prend un peigne dans sa poche et se repeigne soigneusement.


VOIX DU REPORTAGE (OFF)

(Ton comme précédemment)

- »Le tueur, les yeux injectés de sang, se jette alors sur sa victime innocente et la viole dans un féroce élan de bestialité pure... »


Etonné, le tueur regarde à nouveau l'écran. Son visage passe de l'incrédulité au dégoût. Il fait le tour du canapé puis se dirige vers le poste de télévision avec un regarde de mépris agacé.


VOIX DU REPORTAGE (OFF)

(Même ton)

- »Pour mieux signer son crime et renouveler son défi à la police, il n'hésite pas, ensuite, une fois son forfait perpétré, à souiller sa proie de son...


La lumière bleutée disparaît en même temps que la voix s'interrompt.


3 Intérieur. Appartement de la victime N° 1 : Le séjour. JOUR


Le tueur est devant le poste de télévision éteint.


L'ADMIRATEUR (OFF)

- »Bravo ! Alors là, bravo ! »


Le tueur se retourne vivement.


L'admirateur finit de sortir du rideau opposé à celui qui avait abrité le tueur. C'est un jeune homme blond entre vingt-cinq et trente ans, souriant, amical et enthousiaste.


L'ADMIRATEUR

- »Deux minutes montre en main ! Un rôle ultra-classique, mais interprété avec sobriété, sans aucune bavure, en vieux routier que vous êtes ! Moi je dis bravo ! Coupez ! Comme on dit au cinéma ! (Se dirigeant vers la femme étranglée et s'adressant à elle) Vous aussi, vous avez été très bien, remarquable de naturel... Vous pouvez ressusciter ! (il lui met la main sur l'épaule et le corps s'effondre tout à fait sur le canapé) Ah, vous ne voulez pas ? Boudeuse, va ! Dommage, tant pis pour vous ! »


LE TUEUR

(résigné)

- »Bon, ok, vous m'avez eu... Epargnez-moi votre mise en scène et vos sacarsmes... (tendant les poignets avec lassitude) je me rends... Je commençais à en avoir assez de toute façon...


L'ADMIRATEUR

(surpris)

- »Mais... Pour qui me prenez-vous ? Je ne suis pas de la police ! »


LE TUEUR

(interloqué)

- »Pas de la police ? (reprenant ses poignets avec vigueur) Mais alors qui êtes-vous ? Que faites-vous ici ? Que voulez-vous ?


Le Tueur reprend ses gants et les enfile prestement.


L'ADMIRATEUR

- »Qui je suis ? Mais... votre admirateur le plus sincère, le plus fidèle, et cela depuis des années ! »


LE TUEUR

- »Un admirateur ? »


Le Tueur regarde autour de lui et prend un verre propre ainsi qu'une bouteille de liqueur sur la table voisine, puis se sert à boire.


L'ADMIRATEUR

- »Ce que je voulais ? Vous voir sur le théâtre même de vos exploits ! Ah, je n'ai pas été déçu !»


Après une hésitation, le Tueur donne le verre plein à l'Admirateur, qui l'accepte avec reconnaissance, et lui fait signe de s'asseoir sur le canapé où gît la femme étranglée. L'Admirateur tente d'abord de se faire une place en poussant gentiment le cadavre, puis s'assied « sur une fesse » à la place libre la plus extérieure.


LE TUEUR

(encore méfiant)

- »Vraiment ? Ca vous a plu ? »


Le Tueur retourne à la table, prend un nouveau verre, reprend la bouteille et se sert un nouveau verre.


L'ADMIRATEUR

- »E – nor – mé -ment ! »


Le Tueur va s'asseoir sur le canapé, de l'autre côté du cadavre de la femme étranglée. Du giron de celui-ci s'élève verticalement une légère fumée.


L'ADMIRATEUR

- »Ah, comment dire ? Cette précision, cette méticulosité! Et ce petit côté théâtral ! »


L'Admirateur tend son verre ; le Tueur, flatté, trinque avec lui. L'Admirateur remarque les gants de cuir noir.


L'ADMIRATEUR

- »Tiens, vous avez même des gants, bien entendu... »


Le Tueur retire son verre. L'Admirateur regarde sa propre main, nue, et recroise le regard du Tueur. Il fouille dans sa poche et en retire un mouchoir, puis s'empresse d'effacer ses empreintes sur le verre. Il reprend ensuite le verre dans sa main, mais pour le tenir à travers le mouchoir.


LE TUEUR

(souriant avec indulgence)

- »L'enfance de l'art, l'ABC du métier... »


L'ADMIRATEUR

(gêné de sa maladresse)

- »Une erreur de débutant... J'ai honte... Qu'allez-vous penser de moi ? »


LE TUEUR

- »Oh, je ne vous sous-estime pas, rassurez-vous ! Par exemple, je me demande comment vous avez su... »


L'ADMIRATEUR

- »ATTENTION !»


Des flammes s'élèvent du pull du cadavre. L'Admirateur pose son verre, bondit sur le cadavre, et étouffe les flammes avec un coussin.


L'ADMIRATEUR

- »Ca va, elle n'a rien !»


Le Tueur pose son verre à son tour. Il se penche sur le cadavre et l'examine attentivement.


LE TUEUR

- »Elle n'a rien, elle n 'a rien... Elle a quand même quelques mèches de brûlées... Il va peut-être falloir que je lui fasse une coupe, ça va me retarder. ! Déjà vous, sans vous faire reproche, vous n'étiez pas prévu au programme... (du fond du c?ur) Oh, ces femmes qui fument, quelle plaie ! »


L'ADMIRATEUR

(acquiesçant)

- »Avec ces tissus synthétiques, c'est dangereux ! »


LE TUEUR

- »Et puis c'est laid... d'un vulgaire... C'est bien simple, ça leur donne mauvais genre ! Sans compter que ça ne sait pas s'habiller...»


L'ADMIRATEUR

- »Ah ça...»


Le Tueur regarde sa montre.


LE TUEUR

- »Bon ! Assez ri : puisque vous êtes là, aidez-moi à la transporter dans sa chambre : sa colocataire doit revenir dans un peu plus de deux heures, on a tout juste le temps de la préparer. »


L'ADMIRATEUR

(fébrile)

- » « On » ? Nous ? C'est vrai ? Je vais vous aider ? Vous voulez bien que je vous aide ?»


LE TUEUR

- »Puisque je vous le dis !»


Le Tueur renverse le cadavre sur le canapé la tête vers lui et l'empoigne par les épaules. Il désigne les pieds du cadavre à l'Admirateur. Celui-ci se précipite et prend le cadavre aux chevilles. Ensemble, partant dans la direction de la droite du canapé vu de face, ils enlèvent le cadavre du canapé, qui reste vide.


4 Intérieur. Appartement de la victime N° 1 : La chambre. JOUR (Eclairage artificiel)


Le cadavre est sur un lit non défait, dans une chambre parfaitement en ordre. Le Tueur et l'Admirateur sont de chaque côté du lit, presque en recueillement


LE TUEUR

- »Si ce n'est pas malheureux...»


L'ADMIRATEUR

(même ton)

- » Oui... Une belle fille comme ça...»


LE TUEUR

- »Vous plaisantez ? Vous l'avez regardée ? Je voulais dire : sans aucun soin de sa personne, habillée comme l'as de pique... Heureusement que je suis là ! Fidèle à ma vocation, je vais faire de cette chose une ?uvre d'art.»


Le Tueur prend la tête du cadavre et la tourne de droite à gauche pour en juger sous tous les angles.


LE TUEUR

- » Dites ?»


L'ADMIRATEUR

- »Oui ?»


LE TUEUR

- »Si vous voulez m'être utile, allez donc me chercher ma petite mallette, celle que j'ai laissée sous le rideau derrière lequel je m'étais dissimulé, vous voulez bien ?»


L'ADMIRATEUR

- « Avec joie, Maître !»


L'Admirateur se rue en direction de la porte de la chambre.


LE TUEUR

(pour lui-même)

- »Pendant ce temps, je vais voir si cette malheureuse ne dispose pas d'une plus jolie toilette... Qu'on le veuille ou non, il y a des circonstances dans la vie où il faut savoir s'habiller ! »


Le Tueur ouvre la penderie à deux battants. Dans la partie supérieure, des perruques blondes, brunes et une autre grisonnante, sur des têtes artificielles. Dans le bas, des dizaines de paires de chaussures. Il parcourt rapidement la garde-robe, qui se trouve au milieu, bourrée à craquer. La plupart des robes sont tartes. Il s'arrête sur deux ou trois, puis reprend son examen.


L'Admirateur revient, porteur d'une petite malette noire.


L'ADMIRATEUR

- «Voici !»


LE TUEUR

- »Merci... (Il désigne un endroit sur le sol, près de la tête du lit) Posez ça là, voulez-vous ? Nous devons habiller la défunte. »


Le Tueur décoche une robe à fleurs particulièrement moche.


L'ADMIRATEUR

- «Vous n'allez pas lui mettre ça ?»


LE TUEUR

- »Si, pourquoi ? »


L'ADMIRATEUR

- «C'est affreusement tarte, voyons ! On ne va quand même pas transformer une souillon des années 2000 en mémère des années 50 !»


LE TUEUR

- »Ah, moi je fais avec ce que j'ai ! Vous avez vu sa penderie ? Un festival de rideaux ! »


L'ADMIRATEUR

- «C'est impossible, je ne peux pas y croire ! Où est passé le bon goût de ces dames ? Même de nos jours, les femmes gardent au moins une robe pour les grandes occasions... Oui, il y a sûrement quelque chose de plus... enfin, de plus... »


L'Admirateur va à la penderie et commence à fouiller, de manière plus systématique que le Tueur.


LE TUEUR

- »Très bien ! Puisque vous croyez pouvoir jouer les arbitres des élégances, je vous en prie, allez-y ! »


L'Admirateur continue à fouiller et décroche une robe de soirée noire, qu'il contemple de face et de dos. Elle est très décolletée et à dos nu. Il pose la robe sur le cadavre pour juger de son effet, laissant la penderie entrouverte.


L'ADMIRATEUR

- «Là, vous voyez ? Qu'en dites-vous ? »


LE TUEUR

(de mauvaise foi)

- »Mouais... pas mal... »


Le Tueur prend la robe à son tour, l'examine et la présente au cadavre.


LE TUEUR

(imitant un vendeur)

- « Que dit Mademoiselle de ceci? C'est la dernière création de Borgnol … Oui,ils ont abandonné les costumes en sapin... Ca vous ira à ravir... Pour un enterrement ? Peu couverte, certes, mais avec une bonne voilette... Très bien, c'est entendu, on la déduira de votre héritage ! »


Le Tueur pose la robe à côté du cadavre. Puis il se rend aux pieds de celui-ci et dénoue les lacets de la tennis droite.


LE TUEUR

(tout à sa tâche)

- « Dites-moi... Vous ne m'avez pas dit comment vous avez su que je viendrais ici ? »


L'Admirateur le rejoint et d'attelle à défaire les lacets de la tennis gauche.


L'ADMIRATEUR

- «Oh, ça ? C'était facile,vous savez... »


LE TUEUR

(interloqué)

- «Facile ??? »


L'ADMIRATEUR

(continuant de défaire les lacets)

- «Oui, facile ! Oh, entendons-nous : facile pour moi seulement, pas pour la police, rassurez-vous!Moi, les tueurs de femmes m'ont toujours passionné. Faut dire que j'ai passé toute mon enfance à Gambais, alors vous pensez, j'ai pratiquement ça dans le sang... Voilà dix ans que je vous étudie à fond. J'ai compris assez vite le point commun entre toutes vos victimes : ni âge, ni race, ni couleur des cheveux, ni des yeux, rien de la physionomie d'ailleurs... mais toutes divorcées et bénéficiant d'une pension alimentaire. Ca c'est génial : étant donné que dans la population, neuf femmes sur dix remplissent ces critères, la police n'a pas compris que c'étaient justement là les vôtres... »


L'Admirateur fait signe qu'il va enlever la tennis du cadavre dont il a défait les lacets. Le Tueur, figé dans son attitude d'écoute, revient à la sienne. Ensemble, ils enlèvent les tennis des pieds du cadavre. Les pieds apparaissent, gainés de noir.


LE TUEUR

- «Mais pour ce soir ? Vous pensez bien que cela m'intéresse au plus haut point, car si vous en avez été capable, d'autres pourraient l'être aussi, que je ne tiens pas à rencontrer... » 


Le Tueur attend une réponse. L'Admirateur, savourant sa position, lui fait signe de continuer à s'occuper du cadavre.


L'ADMIRATEUR

- «Je vous en prie, faites comme si je n'étais pas là … Après tout, vous l'avez dit, le temps nous presse... »


Le Tueur défait alors la ceinture du jean et ils tirent ensemble sur les jambes du jean, par coups secs, pour l'enlever à la victime.


L'ADMIRATEUR

- «Oui, comment je vous ai trouvé... Eh bien,j'ai appliqué les dernières méthodes américaines, vous savez, le profilage du FBI (il prononce à la française).


Le jean est enlevé. Le cadavre apparaît porteur d'un collant noir. Le Tueur jette le jean avec dégoût à côté du lit.


LE TUEUR

- «Le profilage ? Jamais entendu parler... Faudra que vous m'expliquiez ça... »


le Tueur enlève son pull-over au cadavre, en le retroussant par la tête. Le cadavre se retrouve en soutien-gorge grisâtre, on ne peut plus ordinaire.


L'ADMIRATEUR

- «Oh, j'ai eu un peu de chance, évidemment...Ca serait long à raconter, mais je suis parti de la liste des jugements de divorces... Je me trouvais à côté de l'affichage public au Palais, quand vous êtes venu la consulter... »


Le Tueur sort de sa poche un couteau à lame repliée, qu'il déplie d'un coup sec. Il semble la diriger vers l'Admirateur, qui paraît très inquiet, puis l'approche en fait de la poitrine du cadavre.


L'ADMIRATEUR

(soulagé et très excité)

- «Oh ! Vous allez l'éventrer et disposer les viscères au chevet du lit, comme le grand Jack? Oui lui arracher le c?ur, comme dans Blood Feast ? Ou lui couper les seins, comme dans le film avec Klaus Kinski ? Ou la décapiter pour emporter la tête chez vous, comme Kemper ? Ou... »


LE TUEUR

(très surpris)

- «Quelle idée ! Je ne suis pas un cinglé, moi... Qu'est-ce qui vous prend ? Calmez-vous ! »


L'ADMIRATEUR

(déçu)

- »Remarquez, ce n'était pas dans les articles de presse.. (Exalté) Mais vous auriez pu décider de changer de manière... ou la police aurait demandé aux journalistes de taire ces détails... (Suppliant) Vous ne voulez pas changer de manière ? »


LE TUEUR

- «Pour mettre des tripes et du sang partout,merci bien ! Je veux tout simplement me débarrasser de ce truc... (Il tranche le soutien-gorge en plein milieu) J'ai jamais su les ouvrir... »


Le Tueur enlève complétement le soutien-gorge en le coupant en son milieu ainsi qu'au niveau des deux bretelles et en le tirant de dessous le dos du cadavre avec la pointe de son couteau.


L'ADMIRATEUR

- »Ah... Bon, de toutes façons vous avez raison, elle ne peut pas porter ça avec la robe... Quoi que de nos jours on voit de telles fautes de goût... Mais ça ne choque plus personne !»


Le Tueur ramasse le soutien-gorge en fichant la pointe de son couteau dans les débris.


LE TUEUR

(indigné)

- «Comme vous dites! (Il le prend à témoin) Vous avez vu ça? Comment ose-t'on vendre des horreurs pareilles ? De la toile à parachute sans la moindre élégance,dénué de la moindre dentelle, sans rien!3 balles au supermarché du coin ! Je parie que ça vient de Chine ! »


L'ADMIRATEUR

- »... »


LE TUEUR

- «Allez, ce n'est rien,je me suis emporté...Venez plutôt m'aider à lui mettre sa robe... »


L'Admirateur s'approche avec bonne volonté, soucieux de se faire pardonner. Le Tueur prend délicatement la robe sur le lit et la plie de manière à la faire enfiler au cadavre par la tête.


LE TUEUR

- «Soulevez-moi ça, s'il vous plaît, que je puisse la lui passer... »


L'Admirateur, embarrassé, ne sait comment prendre le cadavre. Il va pour le saisir aux épaules quand le Tueur l'arrête en criant :


LE TUEUR

- «STOP ! ARRETEZ, MALHEUREUX !  »


L'Admirateur se fige dans sa position.


LE TUEUR

- «J'avais oublié que vous ne portez pas de gants ! »


L'Admirateur regarde ses mains et les retire vivement.


L'ADMIRATEUR

- «Ah oui... (inquiet) Mais vous croyez qu'ils peuvent relever des empreintes sur la peau ?»


LE TUEUR

- «Il est bien question d'empreintes ! (Doctoral) Il ne s'agit pas de cela, mais de la peau de la femme ! (Confidentiel) Elle sécrète un poison mortel !»


L'Admirateur recule, horrifié.


LE TUEUR

(avec emphase)

- «Des microparticules d'une drogue terrible, des phéromones, qui créent chez le mâle l'accoutumance et la dépendance dont l'espèce a besoin pour se perpétuer.. Le piège que l'espèce tend à l'individu, comme disait Schopenhauer...(brusque) Vous avez déjà touché à une femme ?»


L'ADMIRATEUR

(bredouillant)

- «Heu... Non... Je... Je n'ai pas eu l'occasion de... »


Avec un air entendu,le Tueur pose la robe à côté du cadavre et se penche soudain sur celui-ci, entre les seins et le nombril ; il fait signe à l'Admirateur d'approcher la tête.


LE TUEUR

- «Il n'y a pas que le toucher : l'odorat aussi est utilisé par elles à des fins redoutables... redoutables ! Venez, sentez moi ça ! »


L'ADMIRATEUR

- «C'est que... j'hésite ! Après ce que vous venez de me dire...»


LE TUEUR

- «Venez, je vous dis ! Je vous surveille : si vous vous tenez à plus de dix centimètres et que vous ne touchez pas à la peau, il n'y a aucun danger ! »


Le Tueur fait signe à l'Admirateur d'approcher. L'Admirateur hésite, avance à petits pas, encouragé par le Tueur, et descend lentement la tête sur la poitrine du cadavre. Arrivé à dix centimètres au-dessus, il s'arrête.


LE TUEUR

- «Respirez doucement ! Allez ! Doucement ! Si vous faites scrupuleusement ce que je dis, vous ne risquez rien ! »


Le Tueur inhale une légère bouffée, écarquille les yeux, et se rejette aussitôt violemment en arrière, la main sur le nez.


L'ADMIRATEUR

(Affolé)

- «Ah Nom de Dieu ! Nom de Dieu de Nom de Dieu ! »


Le Tueur se redresse, triomphant.


LE TUEUR

- «Alors, qu'est-ce que je vous disais ? Une bouffée, même d'une souillon comme celle-ci, ça suffit à certains pour être accros... Et attention : je ne parle même pas du parfum, ni des odeurs des produits de maquillage... Alors, vous comprenez, maintenant, pourquoi elles sont si dangereuses ?»


L'ADMIRATEUR

(Se tenant le nez)

- «Bon sang, c'est pire que ce que j'imaginais... La vue, le toucher, l'odorat... Il faut se méfier de tous nos sens... »


LE TUEUR

(Pédagogue et bon enfant)

- «Tous, non... L'ouïe, par exemple : il arrive, par exemple, trop rarement, il est vrai, qu'en ouvrant la bouche elles rompent d'elles-mêmes le charme maléfique qui nous asservit à elles ! Mais attention à celles qui, d'un moderne chant de sirènes, pervers et mensonger, vous hypnotisent : elles vous disent qu'elles vous aiment, et puis... mais attention aussi et surtout à celles qui se taisent, et qui, étant ainsi les plus agréables, sont les plus redoutables...»


Le Tueur reprend contact avec la réalité. Il se penche sur la petite mallette noire, l'ouvre, et en retire deux gants de chirurgien, qu'il lance à l'Admirateur. Celui-ci les rattrape.


LE TUEUR

- «Mettez-moi ça vite, et prenez garde qu'ils ne se déchirent ! »


L'Admirateur met les gants. Le Tueur ôte lui-même ses gants de cuir, prend deux autres gants de chirurgien dans la mallette et les passe. Le Tueur reprend la robe en mains et se remet en position pour la passer sur la tête du cadavre.


L'Admirateur regarde plusieurs fois le Tueur, hésitant à lui poser une question. Le Tueur le remarque.


LE TUEUR

- «Eh bien ? »


L'ADMIRATEUR

- «Mais... Pour la violer, ce n'aurait pas été plus facile avant ?»


LE TUEUR

(Au comble de la stupéfaction)

- «La violer ??? Pourquoi faire??? Vous aussi ??? (réalisant soudain) Ah, je comprends...Après la télévision, les journaux à sensation... C'est donc cela qu'ils propagent pour salir mon image : que je viole mes victimes ! (Joignant les mains) Oh, que je fais bien de m'abstenir de la lecture de ces scandaleux follicules, pleins d'horreurs et de mensonges! Violer mes victimes... Et puis quoi encore ? Les crucifier pour en faire des martyres ? Mais jamais de la vie, voyons !»


Le Tueur pose à nouveau la robe à côté du cadavre, avec un rien de tristesse dans l'attitude.


LE TUEUR

(Désignant le cadavre)

- «Regardez-moi ça...Elle vous plaît, à vous, cette dépouille navrante, bâtarde d'un siècle de féminisme obtus et de quarante années de consommation de masse ? En confidence) (L'un ne va pas sans l'autre) (touchant d'un air dégoûté les parties du corps qu'il désigne) Le cheveu terne... Le regard vide... Le sein tombant... Le ventre distendu... La cuisse couperosée... Tout cela vous tente, vraiment ?


L'ADMIRATEUR

(légèrement dégoûté)

- «Sans façons, il est vrai... »


LE TUEUR

(Insistant à plaisir)

- «Mais si, allez-y, ne vous gênez pas pour moi...Je vous cède bien volontiers mon tour ! »


L'ADMIRATEUR

- «Oh, vous savez, à la réflexion, moi, les femmes... Je disais ça comme ça, excusez-moi !»


Le Tueur lui jette un regard entendu. L'Admirateur reprend le cadavre aux épaules. Le Tueur passe alors la robe au cadavre en commençant par la tête, l'Admirateur lui soulevant ensuite le reste du tronc.


Le Tueur défait soigneusement les plis.


LE TUEUR

- «Et voilà... Il ne reste plus qu'à lui faire la beauté qu'elle n'a jamais eue ! »»


Le Tueur éclate d'un rire guilleret. Il prend sa mallette et la dispose sur le lit en l'ouvrant en plein. Elle contient un nécessaire de maquillage incroyablement complet.


Le Tueur s'assied sur le lit pour être plus à l'aise, et promène un nuancier sur le visage du cadavre.


LE TUEUR

(Chantonnant)

- «Voyons, voyons... ! »


Le Tueur farfouille dans sa mallette et en ressort une serviette en papier blanche qu'il passe au cou du cadavre. Toujours en chantonnant, il sort de sa mallette un tube de fond de teint et il en extrait une noix qu'il commence à appliquer sur le visage du cadavre.


L'Admirateur se promène dans la chambre. Il regarde le plafond, puis les murs, puis les meubles. Il se tourne vers la penderie entrouverte et passe rapidement les robes en revue, s'arrêtant sur certaines, faisant sur d'autres des grimaces désapprobatrices.


On sonne à la porte d'entrée. Le Tueur et l'Admirateur se figent net. Après quelques instants, on sonne de nouveau. Nouvelle attente. On sonne encore, plus énergiquement et plus longuement.


LE TUEUR

- «Allez voir, Bon Dieu ! C'est sans doute la co-locataire qui revient plus tôt que prévu : il n'y a qu'une femme pour sonner comme ça. Elle risque d'ameuter tout le quartier ! »


L'ADMIRATEUR

(pris de panique)

- «Mais... Mais...»


LE TUEUR

- «Vous voulez m'aider, ou pas ? Alors, allez-y ! Et si vous ne parvenez pas à vous en débarrasser, conduisez-la ici ! »


Le Tueur retourne en hâte à son maquillage tandis que l'Admirateur quitte la pièce.


5 Intérieur. Appartement de la victime N° 1 : Le couloir. JOUR (Eclairage artificiel)


Des bruits de voix confus qui se rapprochent.


Dans le couloir, l'Admirateur tente désespérément de faire barrage, tout en essayant de placer un mot, à une visiteuse blonde qu'on voit de dos et qui poursuit résolument sa marche vers la chambre de la victime n° 1.


LA VICTIME N°2

(voix de grande dame, qui n'en laisse pas placer une)

- «Mais enfin, qui êtes-vous ? Je ne vous connais pas ? Et où est Caro ? Nous avions rendez-vous, elle doit être là ! Que faites-vous dans son appartement ? Vous êtes le successeur de son ex ? Je ne vous félicite pas : après ce qu'elle m'a raconté sur vous... D'ailleurs,vous allez avoir une sacrée surprise ! A-t'elle laissé un mot pour moi ? Pourquoi n'a-t'elle pas appelé ? Non, taisez-vous, je suis furieuse ! »


LA VICTIME N°2

- «Ah, je vois que la chambre est allumée... Elle se prépare, sûrement... Caro ? You-hou ? Tu es là ? Mais que fais-tu? C'est moi, Francine, tu m'as oubliée? Et qui est ce type ? Tu ne te rappelles pas que je devais venir un peu avant les autres ?»


6 Intérieur. Appartement de la victime N° 1 : La chambre. JOUR (Eclairage artificiel)


La victime n°2 franchit le seuil de la chambre et se fige instantanément, les yeux écarquillés et la bouche grande ouverte. C'est une femme blonde d'une quarantaine d'années, maquillée, soignée, distinguée, très «femme du monde ».


Le cadavre de la victime n°1 est allongé sur le lit, en robe du soir, les mains sur la poitrine, dans une pose de gisant, parfaitement maquillé.


Le Tueur est debout, à côté du lit, les mains jointes sur le ventre, dans la pieuse attitude d'un ami de la famille.


L'Admirateur entre à son tour dans la chambre, hébété.


L'ADMIRATEUR

- «Désolé, Mademoiselle, je voulais prévenir, mais...»


La victime n°2 foudroie l'Admirateur du regard.


LA VICTIME N° 2

(rectifiant avec hauteur)

- «Madame ! Vous ne savez donc pas que vous pourriez faire de la prison, pour ça ?»


La victime n°2 retourne la tête vers le cadavre et s'évanouit, tombant lourdement sur le sol avant que l'Admirateur ait pu la retenir. Le Tueur n'a pas fait un geste. L'Admirateur regarde la victime n°2à ses pieds.


L'ADMIRATEUR

- «Qu'est-ce qu'on fait ? (excité) Vous croyez qu'elle est morte ? Un arrêt du c?ur, peut-être ?»


Le Tueur rejoint l'Admirateur et fait mine de lui parler à l'oreille.


LE TUEUR

(en confidence)

- «Méfiez-vous, jeune étourdi : les syncopes, chez les femmes, c'est toujours du pipeau !»


L'ADMIRATEUR

(chuchotant)

- «Ah bon ?»


LE TUEUR

(de même)

- «Oui...D'ailleurs, vous allez voir...»


LE TUEUR

(d'une voix »officielle » et théâtrale)

- «Aidez-moi, « Inspecteur » : il faut la ranimer»


Le Tueur et l'Admirateur prennent la victime n°2, l'un par les pieds et l'autre par les aisselles ; ils la transportent sur le lit, à côté de la victime n°1. La victime N°2 reste sans réaction.


La victime n°1 et la victime n°2 sont allongées sur le lit, côte à côte.


LE TUEUR

«(songeur et à voix basse) Belle composition, bien équilibrée... (voix normale). Allez, « Inspecteur », à vous l'honneur de ranimer cette dame. Le c?ur bat-il encore?Mieux vaudrait vérifier.»


L'Admirateur fait signe qu'il a compris.


L'ADMIRATEUR

- «A vos ordres !»


L'Admirateur défait avec maladresse le premier bouton du corsage de la victime n°2. Celle-ci sursaute aussitôt, se « réveille » et pousse un cri.




LA VICTIME N° 2

- «Oh ! Qu'alliez-vous oser ? Je ne suis pas n'importe qui, vous savez ! J'ai le bras long ! Mais où est Caro ?»


Elle tourne la tête et se trouve face au cadavre de la victime n° 1. Elle pousse encore un cri et saute prestement du lit, puis refait son bouton défait par l'Admirateur.


Le Tueur se présente.


LE TUEUR

- «Police Judiciaire : Commissaire Divisionnaire (hésitant) Landru... Oui, je sais : un parent éloigné... Et voici mon adjoint, l'Inspecteur... heu... Vacher. Vous êtes ?»


La victime n° 2 tend sa main, qui reste dans le vide.


LA VICTIME N° 2

(éplorée)

- «Francine de Cassebay, Monsieur le commissaire ! Mais comment est-ce arrivé ? Une amie si chère ! Je venais la réconforter... par rapport à son ex, un gros industriel qui refuse de payer la pension alimentaire de la pauvre chérie... Savez-vous ce qu'il a eu le culot de lui dire, ce monstre?Il lui a dit textuellement « Je voulais bien t'entretenir quand nous étions mariés, mais je ne vois pas pourquoi je continuerais, maintenant que tu as obtenu en justice le droit de parasiter d'autres pigeons ! » N'est-ce pas abominable ? Comme si nous n'avions pas le droit, nous les femmes, au partage des richesses ! C'est de la ségrégation ! De la discrimination ! De l'élitisme ! Enfin, c'est abominable ! Mais, heureusement, je fais partie d'un groupe de femmes féministe et démocratique qui lutte vigoureusement contre l'oppression masculine millénaire : nous allons faire rendre gorge aux récalcitrants! Vous n'êtes pas contre les droits des femmes, au moins ? »


LE TUEUR

(horrifié)

- «Oh non, voyons ! Je milite moi-même pour l'égalité des sexes devant la mort ! »


LA VICTIME N° 2

(conquise)

- «Ah ! Très bien ! Magnifique ! (Curieuse) Mais, ça consiste en quoi ? Je croyais que nous, les femmes, nous vivions plus longtemps ?»


LE TUEUR

- «Justement ! J'oeuvre pour mettre fin à cette inégalité : n'est-ce pas là le summum de l'idéal démocratique ?»


LA VICTIME N° 2

(faisant la moue)

- «Si, mais heu... L'égalité, c'est bien beau, mais nous entendons quand même garder nos privilèges en compensation de tout ce que nous avons subi !»


LE TUEUR

- «Hélas ! Toute médaille a son revers, n'est-ce pas ? Vous êtes divorcée, vous aussi ?»


LA VICTIME N° 2

(faisant la coquette)

- «Non ! Enfin, pas encore : j'y travaille... je me suis faite épouser par un Conseiller d'Etat, s'il vous plaît ! Ca me fera un bon petit pactole : Quand j'aurai enfin mes enfants, je divorcerai en m'en faisant attribuer la garde, ainsi que celle de la fortune de mon époux, comme la loi m'y autorise ; si je peux plumer mon mari, avouez que ce serait bête de ma part de ne pas en profiter : il faut savoir saigner la bête quand il est temps, n'est-ce pas ?»


LE TUEUR

(de bonne grâce)

- «Mais certainement...»


LA VICTIME N° 2

- «D'ailleurs, puisque vous êtes dans la police, vous pourriez certainement me donner quelques trucs, non ? Demander à vos collègues des m?urs de fausses preuves de pédophilie, par exemple, puisqu'il n'y a plus que cela qui marche, maintenant que l'adultère et l'homosexualité sont portées au pinacle... (mutine) S'il vous plaît, Monsieur le Commissaire...»


LE TUEUR

- «Je vais y réfléchir...mais permettez moi de bien vouloir accepter d'abord un réconfortant : le triste spectacle que l'on voit ici a dû mettre vos nerfs à rude épreuve...»


La victime n°2 s'étonne, puis comprend, regarde le lit et manque de « s'évanouir » à nouveau, se rétablissant de justesse quand elle réalise que le Tueur ne va pas la retenir.


LA VICTIME N°2

- «Ah mon Dieu, c'est vrai ! Ma pauvre amie ! Je n'y pensais plus ! Nous sommes si peu de choses, n'est-ce pas ?»


LE TUEUR

- «Vous n'êtes pas grand chose, c'est vrai... (lui montrant la porte) C'est par ici, je vous en prie... (parlant à l'Admirateur) ne bougez pas, « Inspecteur », je m'occupe de Madame...»


7 Intérieur. Appartement de la victime N° 1 : La cuisine. JOUR (Eclairage artificiel)


La victime n°2, qui a perdu de sa prestance, est assise de travers face à une table de cuisine, sur laquelle sont alignés cinq petits verres à liqueur vides. Elle en tient un, à moitié plein, d'une main mal assurée. Le Tueur a la bouteille à la main.


LA VICTIME N° 2

(d'une voix pâteuse)

- «Tout de même, Caro, victime du « tueur au maquillage »... Quelle ironie ! Elle qui aurait confondu rouge à lèvres et mascara... (rêveuse) Ah, il l'a bien arrangée !»


LE TUEUR

- «Plait-il ?»


LA VICTIME N° 2

(même voix)

- «Je voulais dire : le « tueur au maquillage », il l'a bien mise en valeur... On peut bien le dire, maintenant qu'elle est morte : elle était plutôt tarte, cette pauvre Caro ! »


La victime n°2 vide le reste de son verre en une seule fois et le repose avec brusquerie sur la table.



LE TUEUR

- «Vous êtes plutôt dure, pour une amie !»


LA VICTIME N° 2

- «Non non non... Je suis juste ob-jec-ti-ve ! Caro, elle savait pas s'habiller, elle était moche, et en plus c'était la reine des connes !»


LE TUEUR

- «Pourquoi la fréquentiez-vous, alors ?»


LA VICTIME N° 2

- «Ben... Maint'nant qu'on s'connaît mieux, v's avez sûr'ment d'viné qu'on a pas été ensemble au Couvent des Oiseaux, non ? Caro, c't'une copine du temps qu'on était toutes les deux chez M'ame Mado... Z'avez connu ? Non ? Enfin bref, Caro et moi on s'entendait bien. Y'a dix ans, quand j'ai épousé Hervé, un habitué que j'avais réussi à m'attacher, il a été chouette, il a payé sa caution en même temps que la mienne... Il l'a même présentée à Hector, un de ses amis, un riche industriel qu'avait jamais le temps pour batifoler... Ils se sont mariés tout de suite après...J'ai jamais su comment qu'elle avait fait pour le décider. Bon, faut dire que l'Hector, c'tait pas une lumière non plus...»


LE TUEUR

- «Et pourtant, ça n'a pas collé entre eux ?»


LA VICTIME N° 2

- «J'crois qu'elle lui avait pas tout dit sur son passé... Un jour il a été invité dans la boîte à Mado par des potes à lui et c'est là qu'il l'a découvert son passé, en visionnant un porno amateur tourné sur place... Vous connaissez ces industriels : pour fabriquer ou revendre de la camelote c'est champion, mais ça ne tolère pas de s'en faire refiler... Bah, c'est la vie...Changeons de sujet ; vous avez dû en voir beaucoup, des crimes, spa ?»


LE TUEUR

- «Oh oui ! Plus que vous ne pensez !»


LA VICTIME N° 2

- «Moi ça m'étonne toujours, toutes ces dindes qui se font tuer aussi facilement... Personne ne voit rien, n'entend rien... Comment qu'il fait, ce cinglé ?»


LE TUEUR

- «Ca dépend d'un tas de paramètres, vous savez !»


LA VICTIME N° 2

- «Lesquels ?»


LE TUEUR

- «L'état de la victime, par exemple, ça compte ! Supposez qu'elle ne soit pas en possession de toutes ses facultés... Elle aura plus de mal à voir venir l'attaque.»



LA VICTIME N° 2

- «J'vois pas trop c'q'vous voulez dire ?»

LE TUEUR

- «C'est normal ! Tant mieux ! Et puis pour ce qui est de l'arme, également, tout dépend de ce qu'on peut trouver sur place. Voyons un peu ce qui nous inspire ici...»


Le Tueur cherche des yeux et tombe sur un présentoir à couteaux. Il pose la bouteille et prend le plus long.


LE TUEUR

- «Voilà ! L'idéal : un couteau comme celui-ci...»


LA VICTIME N° 2

- «Voui... Et alors ?»


LE TUEUR

- «Le tueur sait que s'il le brandit de manière trop agressive, sa victime va s'affoler, crier, appeler au secours, tenter de s'échapper...»


LA VICTIME N° 2

- «En effet ! C'est bien ce que je ferais! Quoi qu'il va-t'il faire, alors?»


LE TUEUR

- «Il doit user de psychologie, se servir de sa connaissance approfondie de l'âme féminine...»


LA VICTIME N° 2

- «Faire en sorte que sa victime ne s'aperçoive de rien, en faisant appel à sa curiosité, par exemple ?»


LE TUEUR

- «Exactement ! Je vais vous montrer : voulez-vous jouer les victimes un instant ? Comme vous êtes une femme, ça vous sera facile... Levez-vous, s'il vous plaît...»


LA VICTIME N° 2

- «C'est que... je veux bien, mais je ne sais pas si je vais tenir debout... Avec tout ce qui est arrivé... toutes ces émotions...»


LE TUEUR

- «Ce ne sera que l'affaire d'un instant... S'il vous plaît...»


LA VICTIME N° 2

- «Bon, entendu... Mais faites que ce soit rapide...»


La victime n°2 se lève avec son verre et s'adosse aux éléments de cuisine.


LE TUEUR

- «Je vous le promets... Alors voyez ; mettons qu'à la suite d'une histoire plus ou moins vraisemblable de son invention, et inspirée par les circonstances, notre tueur soit parvenu à présenter à sa victime le couteau comme ceci...»


Le Tueur lui met la lame droit sur le ventre.


LA VICTIME N° 2

- «C'est complètement bidon votre histoire : même Caro ne s'y serait pas laissée prendre !»


LE TUEUR

- «Et pourtant ! Il lui suffirait de pousser un peu fort...Comme ceci, tenez... Et hop !»


Le Tueur enfonce brusquement, à deux mains, le poignard dans le ventre de la victime n°2


La victime n° 2 ouvre grand la bouche, comme suffoquée, lâche son verre qui se brise sur le sol. Elle prend le manche du couteau dans ses mains, regarde le couteau, puis le Tueur, puis encore le couteau. Elle s'écroule lentement et se retrouve assise par terre, les jambes repliées, le dos contre les éléments bas de la cuisine, toujours serrant le couteau de ses mains. Elle relève difficilement la tête vers le Tueur.


LA VICTIME N° 2

(laborieusement)

- «Mais dis donc... T'es pas d'la police, toi ? 'spèce de menteur...»


La victime n° 2 a un dernier soubresaut, et sa tête retombe en même temps que ses mains relâchent le manche du couteau.


8 Intérieur. Appartement de la victime N° 1 : La cuisine. JOUR (Eclairage artificiel)


L'Admirateur surgit dans la cuisine et reste figé sur place, l'air furieux.


L'ADMIRATEUR

- «Je m'en doutais ! Je m'en doutais ! Ah non ! C'est pas du jeu ... vous auriez pu m'appeler !»


LE TUEUR

(Embêté)

- «Je suis désolé... L'habitude de travailler en solo... Je n'ai pas réfléchi... Et puis, il fallait bien improviser...»


L'ADMIRATEUR

- «Surtout au couteau de cuisine grand modèle : je n'ai jamais vu ça que dans les films d'horreur... pour une fois que j'avais l'occasion... Non, vrai, vous n'avez pas été chic...»


LE TUEUR

(Accablé)

- «Je suis navré... navré, sincèrement navré...»


L'ADMIRATEUR

- «N'en parlons plus... Mais je vous avoue que là, je suis un peu déçu... Je vous croyais... comment dire... plus fair-play...»


LE TUEUR

(Au supplice)

- «Oh, s'il vous plaît ! Ne remuez pas le couteau dans la plaie ! Pardonnez-moi ! (Réfléchissant) Ecoutez... je vous propose une chose : au lieu de nous en aller avant que la colocataire revienne, nous allons l'attendre ensemble !»


L'ADMIRATEUR

(Intéressé)

- «Non ? Vous parlez sérieusement ?»


LE TUEUR

(Enthousiaste)

- «Mais oui, bien sûr ! Tenez : je vous le jure... sur la tête de ma mère... que j'ai décapitée il y aura bientôt douze ans... et que je conserve pieusement chez moi»


L'ADMIRATEUR

(De même)

- «Et... Je pourrai vous regarder... opérer, vous me le jurez aussi?»


LE TUEUR

(Grandiose)

- «Mieux que ça ! (Un temps, ménageant son effet) Vous opérerez vous même ! (Paternel) Sur mes indications, naturellement !»


L'ADMIRATEUR

(Incrédule)

- «Non, ce n'est pas possible, je rêve...»


LE TUEUR

(Joyeux)

- «Mais si ! Puisque je vous le dis ! Je vous guiderai pas à pas,vous verrez... c'est facile quand on vous montre... Ah, si j'avais eu quelqu'un pour me donner l'exemple, moi ! Vous voulez bien ?»


L'ADMIRATEUR

(Incrédule)

- «Oh, je... je ne sais que dire...C'est trop, maître, c'est trop !»


LE TUEUR

- «Alors, c'est dit ? Vous acceptez ?»


L'ADMIRATEUR

- «Eh bien... c'est si gentiment proposé...Oui, là! C'est d'accord ! Oh merci, mon dieu, merci !»


LE TUEUR

(Soulagé)

- «Ah ! Je suis bien content ! Bien content ! Tenez ! Trinquons ensemble pour fêter ça !»


L'ADMIRATEUR

- «Ma foi, je veux bien ! Ah, je suis au paradis !»


Les deux hommes s'esclaffent. Le Tueur prend deux nouveaux petits verres à liqueur et les pose sur la table. Il prend la bouteille et remplit les deux verres. Les deux hommes prennent leurs verres, les lèvent et trinquent solennellement en se tournant vers le corps de la victime n°2


LE TUEUR et L'ADMIRATEUR

- «Santé!»


9 Intérieur. Appartement de la victime N° 1 : La cuisine. JOUR (Eclairage artificiel)


Les deux hommes sont assis à la table, détendus, voire relâchés dans la tenue, visiblement assez émêchés.


LE TUEUR

(La voix pâteuse)

- «Tiens, tout ça me donne faim, moi ! Avec tous ces apéritifs... Je grignoterais bien un peu...voyons ce qu'il y a à bord !»


L'Admirateur reste plongé dans ses nuages de rêveries. Le Tueur se lève et ouvre un placard, le referme avec une grimace ; il en ouvre un autre, le referme avec l'air outré. Il ouvre successivement tous les autres sans les refermer ensuite, se retourne pour considérer le reste de la cuisine avec incrédulité. Il avise enfin le grand réfrigérateur et ouvre le compartiment des surgelés.


LE TUEUR

(Indigné)

- «Ah ! C'est bien ça : rien que du surgelé ! Tu as vu?Non, mais tu as vu ?»


Le compartiment est plein à craquer de boîtes de surgelés soigneusement empilées. Le Tueur vide rageusement le compartiment lisant les étiquettes et en projetant ensuite les boîtes au sol les unes après les autres.


L'Admirateur sort de sa torpeur.


L'ADMIRATEUR

- «Ah ben au moins c'est pas un cordon-bleu que tu as … refroidi... (Rire) Pas une grande perte pour la cuisine française...»


Le Tueur s'arrête.


LE TUEUR

- «Un cordon-bleu ? Mais y'a aucun risque ! Des cordons-bleu,mais y'en a plus, mon pauvre ! De nos jours, en fait de cuisine, les femmes savent tout juste brancher le four à micro-ondes ! Ah, vider un poulet,ça les débecte! Par contre, filer leur fric aux assassins empoisonneurs qui fabriquent la bouffe industrielle, ça, ça leur pose aucun cas de conscience, ça c'est de l'émancipation ! Mais dans quel monde vivons-nous, Albert, je te le demande !»


L'ADMIRATEUR

(Secouant tristement la tête)

- «M'en parle pas Arthur, m'en parle pas !»


Le Tueur ouvre le compartiment ordinaire du réfrigérateur et fouille à l'intérieur.


LE TUEUR

- «Ah ! Attends ! Y'a quand même des ?ufs, un restant d'asperges, de la crème... Albert, je vais te faire une omelette dont tu me diras des nouvelles !»


Le Tueur sort les ingrédients cités du réfrigérateur.


L'ADMIRATEUR

- «Oh tu sais... pas très faim...Et puis la cuisine, moi...»


Le Tueur se met à battre les ?ufs dans un grand bol.


LE TUEUR

- «Si si si, tu verras, c'est une recette que je tiens de mon grand-père. Il suivait toutes les émissions culinaires à la télévision...Fait dire que ça l'aidait à oublier ma grand-mère... (songeur) et Dieu sait s'il en avait besoin !»


Le Tueur verse le contenu du bol dans une poêle.


L'ADMIRATEUR

(D'une voix bizzarre)

- «Ma mère, à moi, elle cuisinait très bien ; très très très bien... Elle faisait des choses compliquées, comme au restaurant...C'était toujours délicieux...»


Le Tueur reste à l'écoute de son ami. Il aligne les asperges sur une planche à découper. Il semble chercher quelque chose du regard, qui s'arrête sur le couteau fiché dans la victime n° 2. Il va pour le prendre mais fige son geste et prend finalement un autre couteau dans le présentoir voisin.


L'ADMIRATEUR

(Très ému)

- «Je me souviens... juste le soir où mon père s'est suicidé... Ele avait fait des crêpes et m'a envoyée les manger dans ma chambre... pour être seule avec mon père...c'est là qu'elle lui a dit qu'elle partait avec le monsieur du gaz... Forcément, à force de relever les compteurs...»


Le Tueur se fige. Sa main se crispe sur le couteau. Puis il tranche violemment la tête des asperges.


L'ADMIRATEUR

(Pleurant à chaudes larmes)

- «Mon père... Il n'est même pas venu me dire bonsoir... Je ne l'ai jamais revu... Il est allé tout droit se pendre dans le garage ! SALOPE !»


L'Admirateur s'écroule sur la table.


Le Tueur reste immobile en regardant l'Admirateur, le couteau en l'air. Après un temps, il pose le couteau et se précipite vers lui.


LE TUEUR

- «Ah mon dieu... ah mon pauvre vieux... si j'avais su... excuse-moi !»


L'Admirateur se tourne vers le Tueur et lui pleure sur l'épaule. Le Tueur pose une main compatissant dans son dos, tenant toujours son couteau dans l'autre et prenant grand soin de ne pas blesser son ami. Ne sachant pas quoi en faire,il finit par le planter dans la poitrine de la victime n°2.


L'ADMIRATEUR

(Hoquetant de sanglots)

- «Depuis, je n'ai plus jamais pu manger de crêpes... Ni rien d'autre de bon, d'ailleurs. J'ai horreur de toute cuisine élaborée,ça me rappelle ma mère ; quand je passe devant un restaurant, ça me fait vomir ! Je ne mange plus que des bâtonnets de poisson pané, de la purée Mousseline ou du hâchis Parmentier, comme on faisait à la cantine de l'école !»


Le Tueur lui tape doucement dans le dos.


LE TUEUR

(Compatissant)

- «T'en fais pas Albert... Je suis là, maintenant ! Tiens, tu vas voir...»


Le Tueur retourne aux fourneaux, fait cuire l'omelette;après quoi il déposé les pointes d'asperge dessus avec un peu de crème et replie l'omelette. Il prend deux assiettes et des couverts dans l'égouttoir, partage l'omelette dans les assiettes et les apporte sur la table. L'Admirateur est toujours prostré sur celle-ci.


LE TUEUR

(D'une voix douce)

- «Tiens Albert... goûte-moi ça !»


L'ADMIRATEUR

(Larmoyant)

- «D'accord Arthur... Mais c'est bien pour te faire plaisir !»


Le Tueur coupe l'omelette en en prend un morceau avec une fourchette, dont il présente l'extrêmité à l'Admirateur, comme on le fait à un enfant.


LE TUEUR

- «Allez, une bouchée pour... heu... pour Arthur!»


L'Admirateur prend la bouchée, mastique un peu et son visage s'illumine.


L'ADMIRATEUR

- «Hé, mais... c'est rudement bon, dis !»


Le Tueur sourit et lui donne une autre becquée. L'Admirateur sèche ses larmes.


LE TUEUR

(Attendri)

- «La gastronomie, c'est le seul plaisir de l'existence, Albert ! Tu ne vas pas laisser une femme te le gâcher, non ?»


L'Admirateur prend la fourchette des mains du Tueur et se met à manger tout seul avec des airs de ravissement.


L'ADMIRATEUR

- «Oh oui...tuas raison, Arthur !»


Le Tueur se met à manger, lui aussi. Tous deux mangent de bon appétit.


LE TUEUR

- «Ce qui est dommage,c'est qu'il manque à tout ça... il jette un regard circulaire) Ah, mais voilà qui fera l'affaire !»


Le Tueur se lève. Il revient et se rassied porteur de deux verres à pied vides et d'une bouteille de vin blanc. Il verse le vin dans les deux verres et en donne un à l'Admirateur.


Le cadavre de la victime n° 2 semble les regarder avec ébahissement.


Les deux hommes trinquent joyeusement et boivent une gorgée de vin. Ils tournent la tête du côté du cadavre et éclatent de rire en se moquant de lui.


10 Intérieur. Appartement de la victime N° 1 : Le séjour. JOUR (Eclairage artificiel)


Les deux hommes sont sur le canapé. Le Tueur est extrêmement détendu, les bras en croix, les mains sur le dossier. L'une de ses mains tient un verre à cognac. L'Admirateur est dans un coin, le visage radieux, les mains sur le globe d'un autre verre à cognac. Ils ont le visage réjoui, visiblement encore plus émêchés que dans la cuisine.


L'ADMIRATEUR

- «Alors c'est vrai ? Tu vas m'apprendre le métier, Arthur ? C'est vrai, dis ?»


LE TUEUR

- «C'est juré, Albert ! Oh « le métier »... c'est un bien grand mot ! Je n'en vis pas, tu sais...C'est plus un hobby qu'autre chose !»


L'ADMIRATEUR

- «Mais comment as-tu trouvé ta voie, dis-moi? Tu as été marié, certainement ?»


LE TUEUR

(Hilare)

- «Marié ? Ah ah ah, Grands Dieux non ! (redevenant sérieux) Mais j'ai connu des hommes qui l'ont été... J'ai assisté avec horreur à leur descente aux enfers et à leur anéantissement : la chère et tendre épouse qui décide soudain d'accomplir sa « vie de femme » en partant batifoler avec le premier venu, parasite qui fait condamner le pauvre mari à une lourde pension alimentaire et se fait attribuer confiscatoirement la garde des enfants par des juges femmes complices, en dénonçant l'ancien conjoint comme pédophile... Ah ça me révolte, tiens, rien que d'en parler ! Un jour, j'ai senti que je ne pouvais plus laisser faire ça... Que veux-tu, je suis comme ça, moi, je ne supporte pas l'injustice !»


L'ADMIRATEUR

- «Qu'as-tu fait alors ?»


LE TUEUR

(Avec évidence)

- «J'ai tué la voisine ! Elle venait juste de faire expulser son mari pour y installer son amant et partouzer avec lui devant ses trois mômes. C'était l'occasion ou jamais! Le sujet idéal ! Un mois après mon intervention,le mari reprenait possession de l'appartement et retrouvait ses enfants avec joie..toute une famille à nouveau réunie... C'était si beau, si émouvant... si pur, que j'ai décidé de continuer. J'ai commencé à scruter les publications de divorce dans les journaux judiciaires, à suivre la marche du Palais... Et voilà...»


L'ADMIRATEUR

- «Magnifique ! Tu veux que je te dise, Arthur ? C'est magnifique ! Tu as donné un sens à ta vie...C'est pas tout le monde qui peut faire ça !»


Le Tueur proteste mollement pour ménager sa modestie.


LE TUEUR

(Passant à autre chose)

- «Que dirais-tu d'un peu de musique ? »


L'ADMIRATEUR

- «Bonne idée ! Mais attention, hein ! Tu sais ce qu'on dit?La musique adoucit les m?urs ! Alors ne va pas faiblir, Arthur, sinon on va se faire avoir et t'auras plus qu'à tout r'prendre à zéro !»


Le Tueur se lève un peu difficilement du canapé. Il pose son verre sur une table voisine et part en titubant vers la chaîne HiFi. Il ajuste le bouton des fréquences de la radio, faisant défiler les stations jusqu'à obtenir de la musique classique (Un orchestre jouant l'ouverture de Carmen). Il revient ensuite s'asseoir dans le canapé.


LE TUEUR

- «J'adore la musique... Même l'opéra avec les grosses femmes qui chantent... Ah, Othello... Madame Butterfly... Woyzcek...Carmen... Ah Carmen... Quand c'est bien joué, c'est sublime ! Quelle histoire édifiante ! »


Le Tueur fredonne quelques mesures de l'air « L'amour est enfant de bohême » avec extase, puis reprend contact avec la réalité :


LE TUEUR

- «En parlant de ça, tu sais ce qui nous manque, Albert ? C'est un peu de présence féminine... Si si si ! Je vais arranger ça... »


L'ADMIRATEUR

- «Arranger ça ? Tu vas quand même pas faire venir des filles ici ?»


LE TUEUR

- «Bien sûr que si ! Où est le mal ? C'est juste pour le décor Tu vas voir, c'est l'affaire de deux minutes !»


Le Tueur se lève et part.


L'Admirateur le suit d'un regard vague en s'appuyant sur le bras du canapé. Il pose son verre sur une table basse, en secouant la tête. Il regarde du côté de la baie vitrée, où le rideau flotte sous le vent, et se lève. Il se rend à la baie et la fait coulisser pour la fermer, puis revient s'asseoir dans le canapé. Il reprend son verre et regarde à nouveau dans la direction où est parti le Tueur, tout en lampant un brin, et manque de s'étrangler. Reposant vivement son verre, il fait une mimique d'ahurissement.


Le Tueur porte les deux victimes une sous chaque bras et s'arrête devant l'Admirateur.


LE TUEUR

- «Alors Albert ? Tu préfères les brunes ou les blondes ?»


L'ADMIRATEUR

(Pas emballé)

- «Je te l'ai déjà dit : moi, les femmes... je leur cause plus !»


LE TUEUR

- «Ca tombe pile ! De toutes façons, elles n'ont aucune conversation ! Bon, alors prend la brune ! Moi, je suis trop allé au cinéma : je préfère les blondes !»


Le Tueur se débarrasse de ses fardeaux, en lâchant lourdement la blonde sur son côté. Il dépose la brune à côté de l'Admirateur et l'ajuste un peu, pour qu'elle ait l'air d'une femme endormie.


LE TUEUR

- «Là...Soyez sages tous les deux !»


L'Admirateur jette des regards de côté à la victime n°1, sans la regarder vraiment ; il se tourne même de côté, comme s'il la boudait.


Le Tueur rejoint son côté de canapé et ajuste la victime n° 2 comme il l'a fait pour la victime n° 1.


LE TUEUR

- «Voilà...C'est-y pas mieux comme ça ? Francine -tu permets que je t'appelle Francine ? Moi c'est Arthur...- je te présente Albert... Mais ne nous serions-nous pas déjà rencontrés ? Peut-être dans une vie antérieure, enfin la vôtre, bien entendu ?»


L'ADMIRATEUR

- «Arthur ? Tu ne lui enlèves pas son... ses... (Il mime le geste de poignarder) 


LE TUEUR

- «Oh non ! Tu sais comme les femmes sont sentimentales... ça lui fait des souvenirs sur lesquels se lamenter... Si cela te gêne, tu n'as qu'à les voir comme des accessoires de mode ! (prenant la voix d'un journaliste de mode) Le poignard, qui se portait dans le dos jusqu'à l'été dernier, s'arbore désormais fièrement sur le ventre et pose asymétrique dans la poitrine, permettant toutes les audaces (désignant la victime n°1) Sur cet autre mannequin, notons la folie du bas détourné, c'est à dire noué autour du cou, qui va certainement faire des ravages cette saison...»


Le Tueur regarde les deux cadavres avec une certaine tendresse. Il se tourne vers l'Admirateur.


LE TUEUR

(A mi-voix et avec tendresse)

- «Elles sont belles, quand même, non ? »


L'ADMIRATEUR

(Visiblement de mauvaise foi)

- «Mmmmmmoui, si on veut...»


Le Tueur contemple les cadavres comme une ?uvre d'art. Il fait prendre aux mains et aux têtes différentes positions, comme le ferait un peintre à un modèle.


LE TUEUR

(Toujours de la même voix)

- «Si si si, elles sont belles... D'autant que,comme disaient les Anciens, « mulierem ornat silentium : il n'est d'autre parure à une femme que le silence ! »



Le Tueur reste un instant sans rien dire, jouissant du spectacle, puis reprend :


LE TUEUR

(D'une voix normale)

- «Car il faut bien admettre que, même esthétiquement, dans son état naturel, la femme est loin d'être ce chef d'oeuvre qui fait se pâmer les snobs !»


L'ADMIRATEUR

- «Ah ça, tu l'as dit ! Bien envoyé ! Bravo Arthur !»


LE TUEUR

- «Prend une femme nue, par exemple... Tu as déjà vu une femme nue, Albert ?»


L'ADMIRATEUR

- «Nue ? Ben, tout à l'heure... Enfin, ça dépend... Nue comment ?»


LE TUEUR

- «Nue complétement ! Complétement nue !»


L'ADMIRATEUR

- «Ah ben, complètement, non : je t'ai dit que, à part en photos, j'avais jamais eu l'occasion de ...»


LE TUEUR

- «Ah, heureux homme, qui n'a pas connu la terrible désillusion ! Moi,j'en ai vu une, une fois... Tu sais que j'ai été amoureux, Albert ?»


L'ADMIRATEUR

(Choqué)

- «Amoureux ? Toi ? Arthur ? Non ?!?! Je peux pas croire ça,Arthur ?»


LE TUEUR

(Honteux et confus)

- «Ah, ne m'accable pas ! Eh bien si, c'est vrai... Oh,je ne m'en vante pas... J'étais tout jeune...Conditionné par la société...le romantisme ambiant... Ah, l'amour... tu ne peux pas savoir, Albert, comme c'est horrible : tu as bien conscience que c'est indigne, tu sens que tu te perds, que tu t'avilis, que tu te corromps... Tu voudrais résister,mais rien à faire, tu es pieds et poings liés par des sentiments poisseux qui te répugnent... Déjà qu'elles sont collantes... (Il repousse les bras de la victime n° 2, qui lui retombent dessus à chaque fois) Ah mon dieu que c'est atroce ! (Il frissonne)»


L'ADMIRATEUR

- «Mais si, je comprends, je t'assure... C'est rien, c'était pas ta faute...Tout le monde est pareil: il faut des circonstances exceptionnelles, tragiques, pour qu'on y voie plus clair, tu sais, je parle d'expérience.»


LE TUEUR

- «Merci Albert, tu es gentil ! Enfin bref... un jour, je ne sais par quelle aberration, je me suis retrouvé, je ne sais plus où ni dans quelles circonstances, avec une fille entièrement nue. Bon, des seins, des fesses, j'en avais déjà vu partout ; jusque sur les emballages de sacs poubelle... Ca fait vendre... Pour y échapper aujourd'hui, faudrait vivre en plein désert... Même si ne n'est pas tout à fait pareil, à cause du relief, tu comprends, j'étais mentalement préparé... Et puis, visuellement, ces déformations sont encore supportables... Mais le reste... Quel choc !»


L'ADMIRATEUR

- «Le reste ?»


LE TUEUR

- «Mais oui Albert, le reste ! (Voyant qu'il ne comprend pas) Le reste, enfin ! L'aberration ultime !»


L'ADMIRATEUR

- «Ah oui, ce reste-là ! Et ça ressemblait à quoi ?»


LE TUEUR

- «Ah quoi ? Mais à rien ! Et dire que les poètes n'ont pas assez de mots pour célébrer cela ! Et Monet qui osa en faire un tableau ! Ah, cochons de peintres ! Et cochons de poètes ! Cochons d'artistes ! Enfin bref... C'est là que j'ai réalisé que les femmes... c'était pas des gens comme nous... Tout s'expliquait ! Et tout mon amour en est tombé d'un coup : j'avais désormais l'impression d'être envoûté par un extra-terrestre, une pieuvre géante, que sais-je ; Comment avais-je pu être amoureux de ça, voilà la première pensée qui me revint avec la raison.»


L'ADMIRATEUR

- «Qu'as-tu fait ensuite ?»


LE TUEUR

- «J'ai reculé... Je voulais partir, mais le martien, enfin la fille, m'a sauté au cou pour m'achever: elle s'est collée à moi comme une ventouse et m'a embrassé !»


L'ADMIRATEUR

(Avec répugnance)

- «Embrassé ?»


LE TUEUR

(Revivant honteusement la scène)

- «Embrassé, oui... Comme anesthésié par le contact de sa peau de basilic et l'humeur de son souffle, je n'ai pas pu repousser l'attaque à temps. J'ai juste commencé à sentir un bout de viande me glisser dans la bouche, tu sais, comme un appendice que le martien allait m'enfoncer dans la gorge, descendre dans l'estomac, les intestins et m'arracher les tripes ou me remplir d'un poison mortel... J'étais comme la mouche prise dans la toile et que l'araignée vide de sa substance... Horrifié, dans l'énergie désespérée d'un dernier effort, j'ai pu repousser la fille sur le lit en recrachant tout ce que je pouvais, m'essuyant la bouche comme un perdu ; j'ai couru au-dehors, à l'air libre, en sécurité. J'ai couru, couru... au moins une demi-heure sans m'arrêter. Je me suis retrouvé dans un parc, étendu sous un arbre protecteur. Libre, sain et sauf, vivant, mais de justesse.


L'ADMIRATEUR

(Hochant la tête)

- «Tu l'as échappé belle... Tu as revu la fille, après ?»


LE TUEUR

- «Oui, hélas, plusieurs fois, dans la rue ou chez des amis... Eh bien, tiens-toi bien : c'était tout juste si elle n'essayait pas de me tourner en ridicule en public ! Tu te rends compte de l'impudence ! Quand on n'est pas fait comme tout le monde, on ne la ramène pas, non ?»


L'ADMIRATEUR

(Secouant la tête)

- «Ah le monstre ! Ca ne m'étonne pas ! Tu as donc bien souffert aussi, mon pauvre vieux ?!»


LE TUEUR

(Au bord des larmes)

- «Tu l'as dit, Albert... (Se levant d'un bond) Allons, ne nous laissons pas attendrir ! Nous avons encore du travail à finir, et juste le temps nécessaire ! »


L'Admirateur finit son verre cul-sec.


11 Intérieur. Appartement de la victime N° 1 : Le séjour. JOUR (Eclairage artificiel)


Le Tueur regarde machinalement vers la baie vitrée.


LE TUEUR

- «Nom de Dieu !!! »


Le Tueur se précipite sur la baie, et tente de l'ouvrir, en vain.


LE TUEUR

- «C'est toi qu as fermé la baie, Albert ? »


L'ADMIRATEUR

- «Ben oui, quelle question... Ca risque pas d'être nos deux copines...»


LE TUEUR

(Affolé)

- «Ah, mais pourquoi as-tu fait ça ?»


L'ADMIRATEUR

(Ivre)

- «J'voulais éviter qu'elles se jettent par la f'nêtre, hé hé hé ! »


LE TUEUR

- «Dans ce cas, tu n'avais pas besoin de la fermer à clef, il te suffisait d'avoir l'oeil dessus ! Donne-moi la clef, Arthur, nous devons absolument nous ménager une porte de sortie !»


L'Admirateur fouille dans ses poches et les retourne, en vain...


L'ADMIRATEUR

- «J'suis désolé... les trouve pas... Bas, c'est pas grave... il reste la porte d'entrée !»


LE TUEUR

- «Certes...Mais c'est terriblement amateur ! Nous courons beaucoup plus de risques de nous faire remarquer en passant par là !»


Le Tueur s'avance jusqu'à la porte d'entrée. Il pose la main sur la poignée, comme pour l'ouvrir et, à cet instant, une sonnerie retentit.


Les deux hommes se figent net. La sonnerie se fait à nouveau entendre.


Le Tueur met un doigt sur ses lèvres à l'intention de l'Admirateur. Celui-ci acquiesce de la tête.


On toque à la porte.


VOIX DE FEMME (OFF)

- «Francine, tu es rentrée ?»


Les deux hommes se regardent, mais ne bougent pas. Un nouveau coup de sonnette,puis des coups sur la porte.


VOIX DE FEMME (OFF)

- «Francine, c'est nous ! Carole et Roberte ! Ouvre-nous, le comité va être là d'un instant à l'autre ! Tu n'as pas oublié ?»


Les deux hommes se regardent une nouvelle fois, avec un air de surprise affolée.


VOIX DE FEMME (OFF)

- «Bon, Francine, tant pis, j'ouvre avec ma clef !»


Le Tueur fait à l'Admirateur un geste d'apaisement, et court au canapé. Il allonge le cadavre de la victime n°1 dans un sens et celui de la victime n°2 dans l'autre. Il prend les verres à cognac sur la table basse et en met un dans les mains de chaque victime. Il leur donne l'air d'ivrognesses.


L'Admirateur fait signe au Tueur qu'il oublie le détail des couteaux dans la deuxième victime. Le Tueur le remercie et fait mine de les retirer,mais n'y parvient pas. Finalement, il hausse les épaules.


VOIX DE FEMME (OFF)

- «Francine, cette fois, on entre !»


Le Tueur prend vivement des coussins et les mets sur la deuxième victime pour dissimuler les couteaux. On entend le bruit de la serrure qui joue.


Les deux hommes se retournent brusquement et se figent sur place.


12 Intérieur. Appartement de la victime N° 1 : Le séjour. JOUR (Eclairage artificiel)


Une femme brune d'une quarantaine d'années se tient devant la porte ouverte. Habillée sans goût ni recherche, d'un survêtement de sport, elle a les cheveux courts, avec un bandeau de sport au front, la taille massive, l'air légèrement vulgaire. Derrière elle on discerne une autre jeune femme, d'une trentaine d'années, blonde, beaucoup plus féminine, qui se cache derrière les épaules de la première, l'air apeuré.


LA VICTIME N° 3

(Agressive)

- «Ben ! Qu'est-ce vous foutez là, vous ?»


Le Tueur s'avance avec autorité.


LE TUEUR

- «Mesdames, je me présente : Docteur... (Improvisant) Jaikill... et mon assistant... M Aide... Nous sommes les envoyés de SOS PSY... Je vous prierai d'abord de faire un peu moins de bruit : les patientes viennent de sombrer dans un sommeil éthylique dont il convient de ne pas les tirer pour l'instant...»


La deuxième jeune femme, rassurée, sort de derrière sa compagne et vient serrer la main du Tueur avec une évidente admiration.


LA VICTIME N° 4

(Subjuguée)

- «Vous êtes Psy ? Oh, bonjour Docteur,vous faites un métier fooooormidable... Un bienfaiteur de l'Humanité, voilà ce que vous êtes ! Vous savez, je lis toujours la rubrique psychologique dans les magazines... J'essaye de résoudre les cas moi-même avant de lire la réponse... Et bien je tombe juste presque à chaque fois, je vous jure ! Vous me direz : c'est l'habitude, à force de lire ces trucs, surtout que je les lis tous, pour comparer les horoscopes... Et pourtant c'est des problèmes toujours difficiles, du genre « J'aime ceci, mais suis-je faite pour ça ? Est-ce que ça ne serait pas mieux pour moi de faire autre chose qui me plaise autant, mais qui me plairait peut-être moins si je le faisais vraiment, bien que ça puisse développer ma personnalité de façon plus harmonieuse... mais quelles seront alors les conséquences sur mon couple... » Ou bien tout ce qui est communication avec les autres, les gens qui sont comme nous, ceux qui le sont pas, ceux qui voudraient l'être, ceux qui le sont plus, ceux qui le pourraient, ceux qui le peuvent pas... Quelle richesse que l'humanité !

Ah, j'aurais du faire Psycho, j'étais douée pour ça, je le sens... dommage que je n'aie pas eu mon bac... »


Pendant ce discours, la victime n°3 essaye de regarder les deux « patientes » allongées sur le canapé. Elle tente de s'avancer, mais le Tueur bloque son geste en poursuivant son explication :


LE TUEUR

- «Nous avons été appelés d'urgence dans cet appartement, mon assistant et moi, pour faire face à une crise d'angoisse aigüe... Mais nous sommes visiblement arrivés un peu tard : les patientes avaient déjà trouvé de quoi la soulager Il montre avec tristesse et désapprobation la bouteille de Cognac vide, sur la table basse)...Je vous rassure : il n'y a désormais plus rien à craindre...»


LA VICTIME N° 3

- «Ah,Bon Dieu ! Je me doutais que ça allait pas tourner rond... A cause de c' fumier d'Hector qui a coupé les vivres à not' Francine...C'est pour ça qu'on venait mon amie et moi et tout not' group' de femmes, pour la soutenir ».


LE TUEUR

(Intéressé)

- «Votre groupe? De combien de personnes se compose-t'il ? »


LA VICTIME N° 3

(Fièrement)

- «Not' groupe, les Brûle-Bitume, qu'il s'appelle : on est douze gonzesses formées aux arts martiaux et on 'a peur de rien !  On fait rendre gorge à tous ces salauds qu'exploitent not' faiblesse de femmes ! ».


LE TUEUR

(Intéressé)

- «Intéressant ! Et toutes ces dames vont se rendre ici ?»


LA VICTIME N° 3

- «Ben oui, vu qu'on a rameuté la banlieue:no't idée, c'est d'aller faire de la casse dans les établissements du dénommé Hector...Y'en a un immeuble entier sur trois étages, alors y faut du monde... Même qu'elles devraient déjà êt' là ! ».


LE TUEUR

(Songeur)

- «Bien bien bien...»


Le Tueur se retourne machinalement et découvre que la victime n° 4 est en train de tamponner délicatement le front de la victime N° 1 avec son mouchoir. Il se précipite et lui saisit le bras.


LE TUEUR

- «Ahem... C'est inutile, je vous assure...»


LA VICTIME N° 4

- «Ah bon... Remarquez, c'est vrai qu'elles ont l'air un peu pompettes... Mais je peux les éventer, non ? Ca leur fera du bien... ».


LE TUEUR

- «En tout cas, ça ne leur fera certainement aucun mal... Oui, ça, vous pouvez... Et même, je vous invite à ne pas cesser avant qu'elles n'aient bougé un cil...»


La victime n° 4 se met à éventer consciencieusement les deux cadavres tour à tour.


LA VICTIME N° 3

- «Dites donc Doc... Vous avez p'têt' votre trousse avec vous ? Je me sens un peu patraque ces temps-ci ; ça doit être les hormones que je prends pour mon cours d'haltérophilie, ça me détraque tout... Vous n'auriez pas un petit remontant ? »


Le visage du Tueur s'illumine.


LE TUEUR

- «Mais oui, bien sûr, avec joie ! Si je puis contribuer à l'émancipation de la Femme et à sa consécration dans les disciplines sportives les plus misogynes par l'effet de mes modestes moyens, j'en serai ravi ! Albert, allez me chercher ma trousse, s'il vous plaît !»


L'Admirateur fait un geste d'étonnement, mais le Tueur lui confirme du regard qu'il a la situation en mains.


Albert disparaît quelques secondes dans la pièce voisine et réapparaît, la malette du Tueur à la main, qu'il tend au Tueur.


Le Tueur ouvre la malette, fouille à l'intérieur et en ressort un nécessaire à injection, avec une seringue.


LE TUEUR

- «Voilà ! Toujours prêt, en toutes circonstances, comme les scouts !»


Il prend une fiole, pique l'aiguille de la seringue dedans et aspire le liquide, puis chasse quelques gouttes de celle-ci en appuyant sur le piston. Il s'approche de la victime n° 3.


LE TUEUR

- «Si vous voulez bien me tendre votre bras...»


LA VICTIME N° 3

- «Je veux ! Je suis pas une mauviette ! Mais qu'est-ce que c'est, au juste ?»


LE TUEUR

- «Une préparation qui va vous faire approcher vos limites, je vous le garantis ! Il se pourrait même que vous les dépassiez ! »


LA VICTIME N° 3

(Inquiète)

- «Ca passe les contrôles anti-dopage ?»


LE TUEUR

(Rassurant)

- «Je vous garantis que ce produit ne pourrait être décelé que lors d'une autopsie ! Vous voyez ! Vous pouvez être tranquille ! »


LA VICTIME N° 3

(Remontant sa manche droite)

- «Alors, allons-y gaiement !»


Le Tueur pique le bras de la victime n° 3 et lui injecte tout le produit. Il retire laseringue.


LE TUEUR

- «Alors ?»


LA VICTIME N° 3

- «Ca me fait drôle...C'est pas pour les femmelettes ce truc-là... Je...»


La victime n° 3 est soudain prise de convulsions de plus en plus violentes. Les yeux exorbités, elle tombe sur le sol et commence à baver une mousse blanchâtre, comme un chien enragé. Pendant cela, la victime n° 4 n'arrête pas d'éventer en sanglotant, et en poussant des cris d'affolement de ce qui arrive.


La victime n° 3 se relâche enfin, complètement morte.


LA VICTIME N° 4

(Eventant la victime n° 1)

- «Ah, mon Dieu !».


LE TUEUR

- «Soyez courageuse, mon petit... Elle nous a quitté, je le crains...»


LA VICTIME N° 4

(Eventant la victime n° 2)

- «Mais qu'est-ce qui s'est passé ?».


LE TUEUR

- «C'est la fatalité... qui a voulu que je confonde les flacons dans ma trousse... En fait, je lui ai injecté ma solution à aider les suicidaires... Je suis navré, croyez-le bien !»


LA VICTIME N° 4

(Eventant la victime n° 3)

- «Je le savais ! Je le savais ! Roberte, elle était Cancer, et ce matin l'horoscope des Cancers, c'était « Renoncez à mettre du piquant dans votre vie avant qu'il ne soit trop tard ! » Ah, mon Dieu, si j'avais su ! Si j'avais su ! Mais Roberte, c'était une forte tête, elle ne voulait pas croire à ces trucs-là, ces trucs de gonzesse, comme elle disait si bien... Ah, je le savais ! Je le savais !».


LE TUEUR

(Doux et contrit)

- «Ce sont les meilleures qui partent les premières...»


LA VICTIME N° 4

(Eventant la victime n° 2)

- «Ah vous avez bien raison ! Cest que Roberte, elle soulevait ses 150 Kgs, vous savez ! Médaille d'or à l'épaulé-jeté, championne de body building, invincible au Pancrace... J'aime mieux vous dire que si vous ne lui aviez pas été sympathiques d'emblée, vous auriez passé un sale quart d'heure...».


LE TUEUR

- «Admirable instinct que celui qui dicte à la femme à qui accorder sa confiance et désigne souvent le parfait inconnu plutôt que ses proches : je m'en suis souvent bien trouvé. Oui, que vous êtes fortunées, Mesdames...»


LA VICTIME N° 4

(Eventant la victime n° 3)

- «Oh oui ! Mais qu'est-ce qu'on va faire ? »


LE TUEUR

- «Eh bien, pour commencer, vous pouvez cesser d'éventer...»


La victime n° 4 s'arrête, puis, ne sachant que faire de son mouchoir, s'évente elle-même.


LA VICTIME N° 4

- «Mais qu'est-ce que je vais devenir ?»


LE TUEUR

- «Ne vous en faites pas : (complice) Nous allons monter... une cellule psychologique !»


LA VICTIME N° 4

(Battant des mains)

- «Une cellule psychologique ? Oh oui Oh oui Oh oui ! J'ai toujours rêvé de demander de l'aide à une cellule psychologique ! C'est tellement important de demander de l'aide quand on en a besoin... Et justement, je me sens affreusement angoissée... intuition féminine, sans doute ?»


LE TUEUR

- «Voyons voyons... Vous connaissiez bien la victime, n'est-ce pas ? »


LA VICTIME N° 4

(Rougissante)

- «Ben oui... Oh, comme c'est merveilleux, vous aviez deviné ?»


LE TUEUR

(Modeste)

- «Le métier, mademoiselle, le métier, c'est tout...»


LA VICTIME N° 4

- «Continuez, Docteur, Continuez !»


LE TUEUR

- «Vous savez que rien n'est éternel en ce monde, n'est-ce pas ? »


LA VICTIME N° 4

(Se mouchant dans le mouchoir)

- «Hélas,Docteur, Hélas !»


LE TUEUR

- «Ce qui fait que l'heure de votre amie était venue, vous comprenez ?»



LA VICTIME N° 4

- «Ah oui, oui oui je comprends...»


LE TUEUR

- «Mais vous vous sentez quand même coupable de lui avoir survécu, n'est-ce pas ?»


LA VICTIME N° 4

- «Ben oui, Docteur, je crois bien...oui, c'est exactement ça ; d'ailleurs je l'ai lu souvent dans mes magazines : les survivants sont assaillis par la cupa... culpi... le remords...»


LE TUEUR

- «Eh bien, réjouissez-vous : il y a moyen de tout arranger !»


LA VICTIME N° 4

- «C'est vrai, Docteur ? Ah, comme je voudrais ne plus vivre avec ce poids perpétuel sur la conscience... Vous ne pouvez pas savoir ce que c'est !»


LE TUEUR

- «Je tâche d'imaginer, chère Mademoiselle, je tâche...»


LA VICTIME N° 4

- «Mais enfin, Docteur, cessez de penser à vous ! Pouvez-vous me délivrer de ce fardeau, oui ou non ?»


LE TUEUR

- «Bien sûr ! Voilà le mystère : Vous n'avez qu'à rejoindre votre amie dans la mort : vous ne sentirez plus rien et elle vous en sera éternellement reconnaissante !»


LA VICTIME N° 4

(Ravie)

- «Mais oui ! Oh, comment n'y ai-je pas pensé toute seule ? Ah, mais comment faire ? Vous allez me tuer aussi ? Il vous reste de votre potion pour suicidaires ?»


LE TUEUR

- «Ah non non non ! Le geste doit venir de vous, il n'en aura que plus de valeur !»


LA VICTIME N° 4

- «C'est vrai... Merci Docteur ! Comment vais-je faire, alors, pour me suicider ? (Avisant la baie vitrée) Ah, je sais, je vais me jeter par la fenêtre !»


La victime n°4 se dirige dans la direction de la baie, mais le Tueur l'arrête d'un geste.


LE TUEUR

- «Hélas, c'est impossible... La baie est bloquée... Mais je vais vous donner quelques comprimés... Attendez un peu...»


Le Tueur farfouille dans sa mallette et en retire un petit flacon, qu'il ouvre. Il en retire une pilule,de couleur rose.


LE TUEUR

- «Voilà... Tenez, prenez-ça avec un verre d'eau.»


LA VICTIME N° 4

(Etonnée)

- «Une seule ?»


LE TUEUR

- «Oui... Je les dose moi-même... Vous ne trouverez pas ça dans le commerce...»


LA VICTIME N° 4

- «Ah bon ? D'accord...»


La victime n°4 prend la pilule et va pour la mettre dans sa bouche. Mais elle interrompt son geste et le laisse en suspens en regardant la pilule.


LA VICTIME N° 4

- «Oh, elle est rose ! Ca va me faire voir la mort en rose !»


Elle tente de reprendre son geste mais s'interrompt à nouveau.


LE TUEUR

(Alarmé)

- «Que se passe-t'il ?»


LA VICTIME N° 4

- «Impossible de me tuer maintenant ! J'allais oublier: je n'ai même pas fait mon deuil ! C'est important, vous savez, de faire son deuil ! Les magazines insistent beaucoup là-dessus ! (Candide) Mais comment fait-on, au juste ?»


LE TUEUR

- «Oh c'est très simple, vraiment... Tenez, vous regardez votre amie, là,par terre,et vous lui dites Adieu.»


LA VICTIME N° 4

(Incrédule)

- «C'est tout ?»


LE TUEUR

- «Oui, c'est tout !»


LA VICTIME N° 4

(Enthousiaste)

- «C'est facile ! Dites, j'ai de la chance que son corps soit encore là ! Bon, allons-y !»


La victime n° 4 prend une pose théâtrale.


LA VICTIME N° 4

(Théâtrale)

- «Alors...Adieu !»


La victime n° 4 achève enfin son geste et met le comprimé dans sa bouche. Elle fait aussitôt un air suffoqué.


LE TUEUR

- «Ne faites pas cet air-là, ce n'est pas du cyanure... Ce n'est pas si rapide, il faut au moins trente secondes... Je vous avais dit de prendre un verre d'eau !»


LA VICTIME N° 4

(Balbutiant)

- «Justement... Je l'ai avalée... de travers...»


LE TUEUR

- «Hélas ! C'est ainsi qu'arrivent les accidents !»


La victime n°4 porte les mains à sa gorge en écarquillant les yeux et commence à tousser et à inspirer très bruyamment.


Le Tueur suit avec intérêt les gesticulations de la victime n°4, qui tourne sur elle-même et s'agite de plus en plus violemment.


LE TUEUR

- «Ah mon Dieu ! Une fausse route ! La première de ma carrière ! Comme c'est émouvant !»


La victime n°4 écarquille très grand les yeux. Le Tueur prend l'Admirateur à témoin.


LE TUEUR

(Doctoral)

- «Voyez-vous,mon cher,l'obstruction mécanique des voies respiratoires est, techniquement parlant, quasiment impossible à provoquer à des fins homicides...»


La victime n°4 râle affreusement et tombe à genoux. L'Admirateur se précipite sur elle un couteau à la main.


L'ADMIRATEUR

(Assoiffé de sang)

- «Il faut pratiquer une trachéotomie !»


LE TUEUR

(Revenant sur terre)

- «Quoi ???»


L'ADMIRATEUR

(Penaud)

- «Enfin, je veux dire... On pourrait en profiter pour...»


LE TUEUR

- «Pas question ! Vous voulez me gâcher ma fausse route ? (Bon prince) La prochaine, si vous voulez...»


La victime n°4 s'immobilise soudain et tombe d'un seul coup en arrière. Les membres tressautent, puis s'arrêtent. Elle ne bouge plus.


L'Admirateur se rend à côté du cadavre et se penche sur lui. Il se retourne vers le Tueur mais regarde au-delà de celui-ci, vers la porte d'entrée, et s'écrie :


L'ADMIRATEUR

- «La prochaine ? La voilà !»


13 Intérieur. Appartement de la victime N° 1 : Le séjour. JOUR (Eclairage artificiel)


Une silhouette féminine se tient dans l'encadrement de la porte ouverte, à contre-jour. Elle s'avance à la lumière et l'on découvre une créature aux traits androgynes, mais dotée de longs cheveux bruns, discrètement maquillée et habillée de vêtement féminins élégants.


Alors que le Tueur et l'Admirateur restent interdits, elle avance lentement dans la pièce jusqu'à l'emplacement des deux derniers cadavres, qu'elle touche délicatement du pied. Elle contemple ceux qui sont sur le divan et déclare avec une voix d'alto :


LE TRAVESTI

- «Eh bien eh bien... Quel désordre ici... Vous êtes sûrs que vous n'auriez pas besoin d'une femme de ménage ? De la soubrette à la femme du monde, tout est dans mes cordes... en mieux que nature, bien entendu !»


L'Admirateur avance vers le Travesti avec un grand sourire hypocrite.


L'ADMIRATEUR

- «C'est que... nous avions plutôt pensé à vous pour un rôle... (Il se jette sur le Travesti avec son couteau)... de victime !»


Le Travesti déjoue habilement et sans efforts l'attaque de l'Admirateur avec une prise qui aboutit à maintenir solidement celui-ci dans le dos, au moyen d'une seule main. L'Admirateur grimace de douleur.


LE TRAVESTI

- «Vous disiez ? De victime ? Ah, mais pardon, il y a méprise... (Il récupère le couteau et joue avec de sa main libre, comme s'il allait l'envoyer se planter quelque part)»


LE TUEUR

(Empressé)

- «Excusez mon assistant, je vous prie... Il est un peu novice...»


LE TRAVESTI

- «Je vois ça...Novice et emprunté, comme tous les débutants... (Il relâche l'Admirateur d'une façon telle que celui-ci roule par terre).Moi aussi, figurez-vous, j'ai été comme ça !»


LE TUEUR

(Fayotant)

- «Oh, c'est vraiment difficile à croire !»


LE TRAVESTI

(Flatté)

- «Et pourtant si... Que voulez-vous: la chrysalide n'avait pas encore livré sa créature ! A mes débuts, je ressemblais à une mémère des années 50 dans une robe à fleurs découpée dans les rideaux du salon ! Tandis que maintenant.... Douze ans d'un labeur acharné à me former le goût et à forger mon apparence... (Il tourne sur lui-même) Qu'en pensez-vous ?»


LE TUEUR

(Enthousiaste)

- «Extraordinaire !»


L'Admirateur ne dit rien, occupé à se masser le dos. Le Tueur lui fait signe de se prononcer.


L'ADMIRATEUR

(Meurtri)

- «Renversant!»


LE TRAVESTI

- «N'est-ce pas ? Si je vous disais qu'on fait appel à moi pour des films ? Surtout de la figuration, jusqu'ici, mais je ne désespère pas d'être la vedette un jour ! (Ton de la confidence) D'ailleurs, c'est là mon projet: le cinéma ne sera qu'un début et progressivement, moi et les autres (Yeux qui brillent) nous éliminerons de cette planète toute présence (Une moue) féminine...(Détaché) que nous serons là pour remplacer avantageusement !»


Le Tueur et l'Admirateur sont médusés. Ils se regardent d'un air entendu pendant que le Travesti semble perdu dans sa contemplation d'un avenir radieux.


LE TUEUR

(Toussotant)

- «Ahem...Et en attendant... que pouvons-nous faire pour vous ?»



Le Travesti se tourne lentement vers eux.


LE TRAVESTI

(Riant aux éclats d'un rire cristallin)

- «Ce que vous pouvez faire pour moi ? Dites plutôt ce que je peux faire pour vous ! Comment ? Voilà deux messieurs surpris dans un appartement où se trouvent déjà quatre cadavres...»


Le Tueur et l'Admirateur semblent vouloir protester mais le Travesti ne les laisse pas parler.


LE TRAVESTI

- «Si si si ! Des cadavres, j'ai l'oeil ! Un appartement où se trouvent déjà quatre cadavres, donc, (moue) féminins... et dans lequel ils vont rapidement se trouver face à une meute de femmes déchaînées qui s'y sont donné rendez-vous...(ton confidentiel) Elles vont débarquer d'une minute à l'autre, vous savez... (Ton normal) Et ils me demandent ce qu'ils peuvent faire pour moi... Excusez-moi, mais vous êtes d'un drôle...»


LE TUEUR

- «Le fait est...»


LE TRAVESTI

(Négligeamment)

- «Or, je connais ces femmes... Je les connais bien, et de longue date...»


L'ADMIRATEUR

- «Pardon ?»


LE TRAVESTI

- «Je fais partie du groupe : je l'ai infiltré voici dix ans... C'est même Roberte, ici présente, enfin... physiquement présente... qui m'a appris à désarmer un adversaire hostile, comme vous avez pu le voir...»


LE TUEUR

- «Ah oui ! Belle démonstration, en vérité !»


LE TRAVESTI

(S'inclinant comme au théâtre)

- «Merci ! Donc, je connais bien ces femmes : je peux les mettre en confiance, accréditer les fables que vous leur raconterez... et vous permettre de les occire ensuite à votre gré, à votre rythme, à votre convenance !»


LE TUEUR

- «Mais... Pourquoi feriez-vous une chose pareille ? Vous comprenez,vous qui...enfin, qui semblez...en être si proche...»


LE TRAVESTI

- «C'est que... dans les douze ans dont je vous ai parlé tout à l'heure... (Respirant un grand coup) il y a dix ans d'une thérapie hebdomadaire avec le groupe... celui qui va débarquer ici...(Sur le point de craquer) Réalisez-vous ce que cela signifie ? (Avec un tic nerveux) Dix ans de mémérages et d'infantilisme ! (Hurlant) Avez-vous la moindre idée de toutes les bêtises révoltantes que j'ai entendues en dix ans ? (Hystérique) De toutes les confidences sans intérêt dont j'ai été abreuvé ? De tous les rabâchages inconsistants que j'ai endurés ? Des mièvreries sans nom dont elles m'ont gavé ? Des jalousies mesquines dont je fus le témoin ? Des brouilles définitives aussitôt battues en brèche par des réconciliations spectaculaires et irraisonnées ? Des assauts sans pitié, des crises de larmes, des traîtrises, des faussetés, des mensonges, des insinuations, des perfidies ? Et tout cela sans fin: l'enfer toujours recommencé ! Mais personne au monde n'aurait tenu le coup ! Ce que j'ai fait, aucune bête ne l'aurait fait ! (plus bas) Figurez-vous que mon psy m'avait envoyé là-bas pour me dégoûter de vouloir ressembler à une femme ! (Exalté) Mais justement, j'ai tenu bon, et j'ai conçu le projet d'être une autre femme, une femme meilleure, une femme nouvelle ! Marchant vers la liberté, débarrassés des basses contraintes génétiques, nous serons nos propres Pygmalions et nos propres Galatées !Nous éliminerons peu à peu toutes les ébauches imparfaites des temps passés, et, grâce à vous deux,cette entreprise titanesque et grandiose commencera dès ce soir ! Ces cadavres sont le signe que j'attendais! Mort à Venus !»


Le Travesti se tait, épuisé par son discours. Sous les yeux des deux compères ahuris, il se dirige vers la table basse. Arrivé devant celle-ci, il prend la bouteille de cognac vide et la contemple mélancoliquement.


LE TUEUR

(Ne sachant que dire)

- «Eh bien...Quel programme !»


Le Travesti regarde la lame de son couteau et passe le doigt dessus.


LE TRAVESTI

 «Est-ce qu'il vous plaît ?»


L'ADMIRATEUR

(Obséquieux)

- «Mais...certainement ! Vous savez, mon ami n'est pas n'importe qui : il a beaucoup d'expérience dans le...domaine qui vous intéresse, et saura sûrement vous seconder efficacement !»


L'ADMIRATEUR

- «Bien sûr ! (Réservant son effet) Le « Tueur au maquillage »... C'est lui !»


Le Travesti se tourne vers le Tueur.


LE TRAVESTI

 «Est-ce vrai ?»


Le Tueur s'incline.


LE TRAVESTI

 «Encore un signe des Dieux ! Comment n'ai-je pas aussitôt reconnu votre patte ? Monsieur, vous êtes un véritable artiste ! J'ai souvent admiré votre maîtrise... Et je n'aurais jamais espéré m'allier votre concours, qui est pour moi sans prix !»


L'Admirateur tend l'oreille et se dirige vers la porte.


LE TUEUR

- «Trop aimable !»


L'Admirateur passe la porte et écoute les bruits de la cage d'escalier.


LE TRAVESTI

 «Je vous assure, je suis sincère !»


L'Admirateur se retourne brusquement.


L'ADMIRATEUR

(Affolé)

- «Vous vous ferez des salamalecs plus tard! Quelqu'un arrive !»


LE TRAVESTI

 «La meute ou une éclaireuse ?»


L'ADMIRATEUR

- «Au bruit des talons... je dirais une éclaireuse !»


LE TRAVESTI

 «Je vois... Ne vous inquiétez pas, je m'en charge, je vais l'accueillir ... Aidez-moi seulement à rétablir ici un semblant d'ordre...»


Le Travesti fait signe aux deux hommes de le rejoindre devant le canapé. Il leur en désigne le bas et fait le geste de le renverser. A son signal, tous trois saisissent le bas du canapé et le renversent de telle sorte que les deux cadavres basculent en arrière ; après quoi ils remettent le canapé vide en position.


LE TRAVESTI

 «Filez dans la salle de bains ! Et la première personne qui y entre, assommez-la illico !»


Le Tueur et l'Admirateur se regardent. Une demi-seconde après, ils partent à toute allure dans le couloir.


14 Intérieur. Appartement de la victime N° 1 : La salle de bains. JOUR (Eclairage artificiel)


La porte s'ouvre.


LE TRAVESTI (VOIX OFF)

 «Entre, je t'en prie ! Tu vas avoir le choc de ta vie !»


Une jeune femme rousse, les cheveux courts, apparaît sur le seuil. Elle porte un pull-over vert sur un jean.


La jeune femme entre. Un sèche-cheveux argenté s'abat lourdement sur son crâne. La jeune femme s'écroule, les yeux révulsés.


Le Travesti apparaît derrière elle et ferme les yeux en signe d'assentiment.


L'Admirateur tient le sèche-cheveux, tout excité.


L'ADMIRATEUR

(Fébrile)

- «Vous avez vu ? Vous avez vu ? Je ne l'ai pas loupée ! Pas mal, pour ma première fois, non? Qu'en dites-vous ?»


LE TUEUR

- «Oui, c'était très bien ! Félicitations !»


L'ADMIRATEUR

- «Merci ! C'était plus facile que je ne pensais, finalement !»


LE TUEUR

- «Oh, vous savez, assommer une femme qui ne s'y attend pas dans un espace d'un mètre carré, ce n'est pas à véritablement parler un exploit !»


L'ADMIRATEUR

- «Je sais bien... Mais il faut un début à tout, n'est-ce pas ?»


LE TUEUR

(Conciliant)

- «Certainement...»


LE TRAVESTI

 «Messieurs... Puis-je vous rappeler que nous devons agir au plus vite ? Mettez-moi ça dans un coin... après l'avoir attachée, bien entendu... Moi, je vais prendre quelques accessoires...»


Le Travesti repasse la porte. Le Tueur et l'Admirateur tournent le corps de la victime n° 5


L'ADMIRATEUR

- «L'attacher, l'attacher... moi, je veux bien, mais avec quoi ?»


LE TUEUR

(Jouant l'examinateur)

- «Ah, mais c'est votre victime, mon cher... Allez, mettez-vous en condition d'examen... Il faut savoir improviser, que diable ! Dans notre art, c'est vital !»


L'Admirateur semble perdu. Il cherche des yeux, puis ouvre fébrilement une porte d'armoire et a une illumination. Il en ressort des ceintures de peignoirs.


LE TUEUR

- «Très bien, très très bien ! Vous voyez, quand vous voulez... Vous progressez à grand pas !»


L'Admirateur donne une ceinture au Tueur, qui la refuse.


LE TUEUR

- «Ah non, désolé... Vous devez vous débrouiller tout seul !»


L'Admirateur s'accroupit et attache les mains et les pieds de la victime n°5, puis reste pensif.


LE TUEUR

- «Vous n'oubliez rien ?»


L'ADMIRATEUR

- «Justement, si, je me demande..J'ai l'impression... Ah si, je sais ! Le baîllon !»


LE TUEUR

- «Il était temps ! J'ai failli vous donner un mauvais point !»


L'Admirateur retourne dans l'armoire et y prend un foulard. Il s'agenouille près de la victime n° 5 et la baîllonne consciencieusement. Cela fait, il se relève et marque une nouvelle pause, tournant autour de la victime n° 5, l'air hésitant.


LE TUEUR

- «Et maintenant ?»


L'ADMIRATEUR

- «Il faudrait la mettre dans la baignoire ? Mais je ne sais pas trop comment m'y prendre tout seul...»


LE TUEUR

- «Bon, je vais vous aider, pour une fois et parce que c'est vous... Et aussi parce que le temps nous presse... Mais je ne serai pas toujours à vos côtés... Comment ferez-vous, alors ? Vous croyez que j'avais un aide, moi, quand j'ai commencé ?»


L'ADMIRATEUR

- «Non, bien sûr... Merci !»


Le Tueur et l'Admirateur soulèvent la victime N° 5 et la déposent doucement dans la baignoire.


L'ADMIRATEUR

(Triomphalement)

- «Et voilà !»


LE TUEUR

(Sévère)

- «Et voilà? Vous ne voulez pas dire que vous avez fini ?»


L'ADMIRATEUR

(Sincèrement surpris)

- «Mais si... Je ne vois pas... ce que je dois faire de plus... non, franchement, je ne vois pas...»


LE TUEUR

(Encore plus sévère)

- «Vous ne voyez pas?Dites, vous croyez qu'elle va se noyer toute seule dans une baignoire sans eau ? Vous la prenez pour une sirène qui étouffe à l'air libre ?»


L'Admirateur est catastrophé.


L'ADMIRATEUR

(Vivement)

- «Je le savais ! Si, bien sûr, je le savais ! Laisser couler l'eau ! J'allais le faire !»


L'Admirateur se précipite sur le robinet d'eau froide et l'ouvre. L'eau coule à faible débit sur la tête de la victime n°5.


LE TUEUR

(Patelin)

- «Vous voyez... Une erreur de débutant... et qui pourrait vous coûter cher dans la réalité... C'est cela qui différencie les amateurs comme vous des vrais professionnels comme moi !»


L'ADMIRATEUR

(Soupirant)

- «Tu as raison... Je ne suis qu'un dilettante... Un vélléitaire... un raté !»


LE TUEUR

(Paternel)

- «Mais non, j'ai promis de te former... Je t'entraînerai, tu verras... Tu prendras ma suite !»


L'ADMIRATEUR

(Essuyant une larme)

- «Dis, à propos... Qu'est-ce que tu vas faire avec... avec le... enfin, avec la...»


LE TUEUR

- «Avec notre nouvel(le) ami(e) qui attend à côté ? Mais... rien du tout, pourquoi ?»


L'ADMIRATEUR

- «Je me disais... il faudrait peut-être la descendre comme les autres... Après tout, on dirait vraiment une femme !»


LE TUEUR

- «Ah non, pas question : c'est un homme ! »


L'ADMIRATEUR

- «Mais tu as vu comment elle parle ? Comment elle marche ?»


LE TUEUR

- «Ca ne compte pas ! Si je mettais robe et perruque, ca ne ferait pas de moi une femme et je ne me suiciderais donc pas pour autant !»


L'ADMIRATEUR

- «Oui, mais ça m'étonnerait que tu parviennes à un tel résultat ! Oh, que je n'aime pas cette situation ! Tout était si simple jusque là !»


La porte s'ouvre ;Le Travesti entre. Il porte dans une main des perruques, sous le bras deux robes et dans l'autre main la mallette du Tueur.


LE TRAVESTI

- «Mais rien n'est simple, savez-vous ? Et non seulement ça, mais tout se complique !»


L'ADMIRATEUR

- «Oh, vous vouliez mettre la main à la pâte ? Mais je crains que ce soit impossible : notre amie... prend son bain...»


LE TRAVESTI

(Regardant les affaires qu'il apporte)

- «Oh, ça ? Mais ce n'est pas pour elle, Messieurs, c'est pour vous !»


Le Tueur et l'Admirateur se regardent, interloqués.


LE TRAVESTI

- «C'est pour votre, bien... Faites-moi confiance ! Quand la horde sauvage débarquera ici, vous y intégrer sera votre seule chance !»


15 Intérieur. Appartement de la victime N° 1 : La salle de bains. JOUR (Eclairage artificiel)


L'Admirateur et le Tueur sont de dos, faisant face à un miroir recouvert d'un linge. La mallette est ouverte, posée sur le lavabo sous le miroir. Vêtus des robes apportées par le Travesti, ils portent, le Tueur une perruque brune et l'Admirateur une perruque blonde. Le Travesti leur met une dernière touche de maquillage.


LE TRAVESTI

- «Là ! Ca y est ! Vous pouvez regarder !»


Le Travesti enlève le linge du miroir. Le résultat est acceptable. L'Admirateur et le Tueur ont une mimique de stupéfaction,poussent un cri d'effroi et détournent le regard et se retrouvent à se regarder l'un l'autre. Ils tournent précipitamment la tête de l'autre côté avec un autre cri.


LE TRAVESTI

- «Ah ça,évidemment, je ne peux pas faire de miracles ! Mais enfin vous allez voir, il y en a quand même beaucoup de naturelles qui sont largement plus moches que vous !»


LE TUEUR

- «Mon Dieu, quelle humiliation ! Enfin, ça aurait pu être pire : j'aurais pu être blonde !»


L'ADMIRATEUR

- «Merci beaucoup, dites-donc ! Vous croyez être mieux avec vos ailes de corbeau ?»


LE TRAVESTI

- «Allons allons ! Ah là là, on peut dire que vous vous mettez vite dans la peau de vos personnages, vous : elles ne sont pas féminisées depuis deux minutes qu'elles commencent déjà à se crêper le chignon ! Tant mieux ! Je crois que j'entends du bruit dans l'escalier, vous allez pouvoir peaufiner vos rôles !»


LE TUEUR

- «Hélà Hélà ! Nous sommes censées être qui, d'abord ?»


LE TRAVESTI

(Spirituel)

- «Vous êtes des femmes, vous n'êtes donc pas sensées ! Excusez-moi pour ce jeu de mots, c'était trop tentant ! Bon, vous êtes d'anciennes maîtresses d'Hector... des erreurs de jeunesse.. en raison de votre physique... difficile... vous avez été séduites et abandonnées et vous venez avec nous lui faire rendre gorge...Ca plaît toujours !»


L'ADMIRATEUR

- «Mais comment être... crédibles ? On n'est quand même pas des Claudia Schiffer !»


LE TRAVESTI

- «Je vous rassure : elles non plus et c'est tant mieux sinon elles vous écharperaient ! Oh ça c'est très facile : Comme toutes les autres, vous êtes des frustrées de naissance, jamais contentes, toujours exploitées par tout le monde, mesquines, confites de jalousie, et pour vous consoler vous récoltez et colportez tous les potins imaginables ! Vous voyez le tableau ?»


LE TUEUR

- «Et pour les prénoms ? On s'appelle comment ? Malika ? Ursula ? Deborah ?»


LE TRAVESTI

- «Heu, non ! Pour vous...heu... Germaine et Marguerite, ça fera très bien l'affaire! (tendant l'oreille) Ah, le bruit enfle, le temps presse! Sortons d'ici avant que la meute n'y fasse irruption et ne découvre une « Diane au bain » qui a tout d'une nature morte...»


Le Tueur et l'Admirateur se dirigent vers la porte. Le Travesti les arrête en leur désignant du doigt la baignoire et le cadavre de la victime N° 5.


LE TRAVESTI

- «S'il vous plaît ! Fermez le robinet, j'ai horreur du gaspillage ! Songez qu'il y a dans le monde des gens qui meurent faute d'eau !»


Le Tueur regarde l'Admirateur avec un air de reproche. Penaud, l'Admirateur va fermer le robinet et revient. Le Travesti ouvre la porte.


16 Intérieur. Appartement de la victime N° 1 : Le séjour. JOUR (Eclairage artificiel)


Le Travesti, le Tueur et l'Admirateur entrent dans le salon. Un groupe d'une vingtaine de femmes y est déjà, toutes habillées sans recherche, de jeans et tee-shirts. Une femme interpelle le Travesti.


UNE FEMME

- «Eh ben ? Qui c'est, ces deux-là  ?»


LE TRAVESTI

- «Ah,ce sont deux nouvelles amies qui rejoignent nos rangs... Et qui n'ont pas eu la vie facile, je vous prie de le croire ! Je vous présente... Germaine... (Le Tueur sourit maladroitement) et Marguerite... (L'Admirateur fait un signe de la main) (D'un ton confidentiel) Ce sont des victimes d'Hector... »


A ces mots, un brouhaha se forme et les visages se détendent.


UNE AUTRE FEMME

- «En tout cas, vu comment qu'elles sont fringuées et à quoi qu'elles ressemblent, elles ont pas dû lui soutirer beaucoup de pognon !»


Eclat de rire général.


LE TRAVESTI

- «Mesdames, voyons ! Un peu de solidarité féminine !»


La meute s'avance alors vers le Tueur et l'Admirateur avec des mines apitoyées.


LE TRAVESTI

- «Germaine et Marguerite n'ont peut-être pas su y faire avec le maudit Hector (Huées), c'est vrai ! Mais justement, c'est le moment de lui faire rendre gorge, de le faire cracher au bassinet ! Et nous, nous savons y faire, n'est-ce pas mesdames ? (Acclamations) Alors, fonçons immédiatement (Acclamations) chez ce damné mâle exploiteur de la féminitude ! (Huées) qui a ruiné notre pauvre Francine ! (Murmurant pour lui-même) Oups ! J'ai gaffé !»


UNE FEMME

- «Mais justement, où qu'elle est, Francine ? Et Roberte ? Et Caro ? Elles devaient pas venir avec nous ?»


LE TRAVESTI

(Se reprenant)

- «Elles n'ont pas pu nous attendre! Elles sont déjà sur place, à nous ouvrir le chemin ! Ne les faisons pas languir plus longtemps ! Et surtout, ne les laissons pas nous frustrer de notre part de notre vengeance légitime contre ce pilier du monde phallocrate qui nous relègue à notre place ! (Clin d'oeil au Tueur et à l'Admirateur )(Murmurant pour eux) Sont pas assez fines pour piger... (Voix normale) Allons-y maintenant ! (Tonnerre d'acclamations)»


La meute s'ébranle et reflue sur le palier. Profitant de l'occasion, le Tueur saisit la dernière femme du cortège par derrière et l'étrangle en lui faisant une clef de bras à la gorge. Elle s'écroule sans que personne ne le remarque, à l'exception du Travesti, qui applaudit silencieusement et avec des gestes très mesurés. Le Travesti fait signe des yeux à l'Admirateur d'en faire autant, en lui désignant une autre femme du menton. L'Admirateur saisit un lourd seau à champagne et assomme la femme avec, qui s'écroule aussitôt. Le Travesti lui fait un signe d'assentiment.


Le Tueur et l'Admirateur rattrapent la meute sur le palier. Le Travesti reste seul dans la pièce.


LE TRAVESTI

(Pour lui-même)

- «...Mais par un coup du sort,

Elles se trouvèrent zéro en arrivant au port !»


Il ferme la porte derrière lui.


FIN

Michèle Anne Roncières, auteur et propriétaire de ce texte, s'en réserve, sauf accord express de sa part, tous les droits pour tous les pays et notamment en ce qui concerne les modifications ou la réécriture, totale ou partielle, ainsi que pour toutes les formes de diffusion et d'exploitation

Retour