Rencontre du type intermédiaire

par Michèle Anne Roncières

Deuxième Partie

Le gros voyant rouge de pression du système hydraulique de ma vieille DS ne tarda pas à s'allumer: la voiture débraya toute seule, et glissa encore sur deux cents mètres avant de s'immobiliser. Malgré plusieurs tentatives, il me fut impossible de la remettre en marche... J'étais au désespoir: comment trouver l'origine de la panne sans même une lampe de poche ? Sans compter que la DS, voiture semi-automatique, n'était pas de celles que l'on pouvait faire redémarrer en la poussant! Je ne pouvais même pas la diriger vers le bas-côté de la route: sans l'assistance fournie par le moteur, la direction était d'une lourdeur prodigieuse. Pourrais-je arrêter une voiture, si seulement il en passait une dans ce coin perdu ? La première chose à accomplir, avant de piquer une crise de nerfs, était de baliser la route pour éviter un accident, et j'allai prendre dans le coffre mon triangle de signalisation.

Ce fut à ce moment-là que je la vis: immense, circulaire, aveuglante et silencieuse, elle sembla sortir du dessus du bois voisin et se posa dans la clairière à côté de la route, à vingt mètres de moi et de la voiture: c'était ce qu'on appelait, à l'époque, une "Soucoupe Volante" !

J'étais pétrifiée, fascinée, mais, curieusement, pas effrayée le moins du monde. Et je le demeurai quand une porte s'ouvrit dans le flanc de la soucoupe et qu'il en descendit ses passagers, des êtres absolument semblables aux humains: des hommes, des femmes, qui se dirigèrent droit sur moi, après m'avoir prise dans un faisceau de lumière verte qui sortait d'une espèce de lampe-torche.

-"En voilà encore une." dit quelqu'un.

-"Ne lui faites pas peur ! " dit un autre.

Une grande femme blonde, étrangement, terriblement belle, d'une beauté comme je n'en avais encore vu aucune autre auparavant, s'avança jusqu'à moi et, d'une voix grave qui ne sortait pas de sa bouche, mais qui pénétrait mon esprit, me dit:

-"Bonjour... Venez avec nous.... Nous ne vous ferons aucun mal."

Sitôt que j'entendis cette voix, délicieusement harmonieuse, je me sentis débordée de confiance à son égard, je la crus aussitôt de tout mon être, etme sentis me mettre en marche de moi-même, sans qu'il me parût l'avoir décidé. C'était comme si mon corps agissait de son chef et je me fussebornée à le regarder faire...

Nous entrâmes lentement dans la soucoupe, moi entourée de tous les autres. On me fit asseoir dans une espèce de fauteuil bardé d'instruments divers,tandis que le reste de l'assistance se tenait debout, veillant toujours à m'encercler. J'étais dans une telle tranquillité d'esprit, sans douteartificiellement créée par la lumière verte qu'on braquait encore sur moi,que, s'il me vint l'idée qu'on allait fatalement s'apercevoir que jen'étais pas ce que je paraissais, cela ne m'inquiètait nullement.Et justement, comme devinant mes pensées, la femme que j'avais suivie reprit de sa voix intérieure:

"Ne vous tracassez pas... Nous savons ce que vous êtes... En fait, c'est vous qui ne le savez pas..."

Elle fit un geste et un écran géant, très mince, certainement holographique, se forma devant nous pour illustrer les propos qu'elle allait tenir.

"Nous sommes d'une galaxie lointaine, de la planète Xolth", fit-elle en désignant celle-ci sur l'écran parmi la carte d'une constellation inconnue.

"Nous sommes des êtres d'une structure cousine de celles des humains, et pourtant relativement différente: l'aspect sous lequel vous nous voyez n'est qu'une apparence d'emprunt, car il nous est possible d'en changer à volonté".

Sur l'écran, je voyais des Xolthiens, genre de bipèdes éthérés au naturel, qui s'amusaient à prendre les formes, les couleurs et les textures les plus diverses, comme pour une démonstration de leur pouvoir. Puis la scène changea et j'assistai au départ, depuis une base Xolthienne, de centaines et de centaines de soucoupes, qui ne ressemblaient d'ailleurs que grossièrement à celle dans laquelle je me trouvais, paraissant beaucoup plus rustiques.

"Il y a environ cent mille de vos années", reprit la femme, "nous avons lancé un grand programme spatial d'exploration de l'Univers... Nous avons visité des dizaines de milliers de galaxies, y compris celle que vous appelez la Voie Lactée... et des millions de planètes, dont celle-ci. Le sort a voulu que l'un de nos vaisseaux s'abîmât sur la Terre... son équipage dut y débarquer. Il y resta définitivement, les dommages subis étant malheureusement impossibles à réparer sur place et nos équipes de secours n'ayant pu localiser le vaisseau en perdition... Je ne vous cacherai pas que nos ancêtres, pacifiques de nature, ont été mis en difficulté par la... sauvagerie des Terriens de l'époque: il leur a donc fallu s'adapter, et prendre l'apparence des humains, voire... (Elle baissa la voix) prendre parfois possession de leurs corps, ce qui nous est également possible.

Pour de nombreuses raisons, l'acclimatation n'a pas été facile; Par exemple, le sexe n'existant pas chez nous, qui nous reproduisons par une sorte de "bourgeonnement", il nous est très difficile de comprendre, encore aujourd'hui, ce que les Terriens entendent par "homme" ou "femme", en dehors des caractéristiques physiques, que, vous l'avez vu, nous maîtrisons parfaitement...

Quoi qu'il en soit, nos ancêtres ont survécu, tant bien que mal. Certains se sont même beaucoup plus ici, à tel point que des métissages se sont produits, malgré les consignes formelles du Commandement Spatial...: ils ont eu de la descendance, et en ont encore. Oh, il est bien difficile de dire si l'incursion de notre civilisation a été, ou non, profitable à la Terre: sans nous, par exemple, il n'y aurait pas eu d'Art, ni de Science,et les Terriens ne seraient toujours qu'une bande de singes à peine améliorée. Mais, d'un autre côté, les caractéristiques Terriennes ont perverti quelques aspects de notre culture, et détourné, toujours par exemple, notre soif de connaissance en instruments de destruction...

Je vous ai parlé de la descendance terrestre de nos ancêtres: elle est,la plupart du temps, absolument identique aux Terriens de souche. Mais il arrive, par le jeu de la génétique, que le caractère Xolthien réapparaisse avec une force plus ou moins grande. C'est pourquoi il se trouve aujourd'hui sur Terre des dizaines de milliers de personnes qui n'ontaucune conscience ni de leur origine réelle, ni des facultés qu'elles tiennent de leurs ancêtres Xolthiens. Par contre, ce qu'elles ressentent pleinement, ce sont certains malaises dont elles leur sont tout aussi redevables: du mal-être, des troubles de l'identité en général... et de l'identité sexuelle en particulier..."

Ce fut à cet instant que je commençai à réaliser ce qu'on voulait me dire. La femme vit que j'avais compris, et continua:

"Depuis une cinquantaine d'années, nous sommes de retour sur Terre, avec la mission de retrouver nos "cousines", et de les aider à retrouver leur nature profonde, toujours présente, malgré le temps et ses migrations dans les corps terrestres. Vous le savez, maintenant, vous êtes l'une des nôtres... votre nature n'est-elle pas en conflit avec votre corps ?"

-"D'où vient ce conflit ?"demandai-je brusquement, prenant la parole pourla première fois, et évitant de répondre directement, ce qui me paraissait d'ailleurs inutile...

-"Nous l'ignorons encore. Il est très possible que la première incarnation terrestre qu'ait prise votre ancêtre ait été féminine, marquant votre gène Xolthien de certaines caractéristiques qui se révèlent contradictoires avec les chromosomes sexuels du système humain... Nous ne faisons que débuterles recherches en ce domaine. Quoi qu'il en soit, nous allons vous apprendre à modifier votre corps à volonté, par la seule force de votre esprit."

-"Est-ce possible ?" demandai-je, émerveillée.

-"Bien entendu; cette faculté est en vous, endormie par les siècles. Mais nous allons la réveiller."

Elle se tut et délia sa robe qui tomba sur le sol, paraissant nue au regard de tous et sans la moindre gêne. Tandis que je la regardais, je m'aperçus que ses muscles gonflaient peu à peu, transformant visiblement son corps qui perdait ses courbes et ses rondeurs, son grain et son teint de peau, pour devenir massif, sombre et anguleux. Son visage même était parcouru de tressaillements imperceptibles qui en changeaient continuellement la physionomie, jusqu'à ce qu'il fût devenu celui d'un homme qui aurait pu être son frère. Même la longueur et la couleur des cheveux était différente, et si je n'avais assisté à la transformation qui venait de se produire, j'aurais cru avoir été le jouet de quelque illusion. Me laissant bouche bée, elle revint, quelques instants plus tard et de la même façon, à son apparence primitive.

"Essayez, vous aussi. Je vais vous aider."

Pendant que j'essayais de protester et de dire que cela me semblait hors de mes talents (alors qu'il ne sortait aucun son de ma bouche), des femmes me déshabillèrent complètement, sans qu'il me fût possible de leur résister: leurs gestes doux et mesurés ne souffaient point d'opposition, à tel point que je ne pouvais même y songer. Elle me retirèrent ainsi tous mes chers accessoires, depuis ma perruque jusqu'au rembourrage de mon corset. Combien en eus-je été marrie, d'en d'autres circonstances !

"Regardez-moi bien", fit alors ma tutrice.

Dès que je fus prise dans son regard, je me concentrai malgré moi sur l'opération qui m'était proposée, et cela dans une attention totalement nouvelle: guidé par une force inconnue, mon esprit semblait parcourir et détailler chaque point de son corps pour en enregistrer les détails les plus subtils. J'eus tôt fait de succomber devant l'incroyable masse d'informations; ma tête me sembla exploser, et l'insupportable pression que j'éprouvais, qui n'avait cessé de grandir durant ces quelques secondes, se relâcha aussitôt.

"Arrêtons-nous là", entendis-je: "C'est incomplet, mais... plutôt réussi. Qu'en pensez-vous ?"

Je tâchai de récupérer mes esprits, et la première chose que je sentis, ce fut mes cheveux qui m'agaçaient les joues: je les repoussai de la main, par réflexe, bien avant de réaliser que c'étaient mes vrais cheveux, devenus longs ! Dans ce mouvement, je bougeai un peu le torse, et sentis aussitôt la nouvelle masse de mes seins, qu'un second réflexe me fit couvrir de mes mains, avant d'éprouver, un peu plus bas, comme l'ombre d'une absence.J'étais au Paradis, et sans prendre encore toute la mesure de mon bonheur. Sans me laisser le temps de jouer avec mes cheveux, ni d'explorer mes courbes, on m'apporta un grand miroir ovale, et je n'en crus pas mes yeux en reconnaissant dans celui-ci le visage de celle que j'avais à côté dem oi. J'étais sa parfaite sosie.

-"Pourquoi disiez-vous que ce n'était pas complet ?", demandai-je, intriguée.

Mon interlocutrice sourit:

-"Il manque quelques détails: des grains de beauté, par exemple... mais ce n'est pas grave. Avec un peu d'entraînement, vous pourrez prendre l'apparence exacte de n'importe quelle personne."

Je n'étais cependant pas au bout de mes surprises.

(Fin de la deuxième partie)

Michèle Anne Roncières, auteur et propriétaire de ce texte, s'en réserve, sauf accord express de sa part, tous les droits pour tous les pays et notamment en ce qui concerne les modifications ou la réécriture, totale ou partielle, ainsi que pour toutes les formes de diffusion et d'exploitation

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