un compte-rendu de Michèle Anne:
une journée de Michèle-Anne (Vécue!)

par Michèle Anne Roncières

Les gens se demandent souvent à quoi une travestie peut passer ses journées. Ils l'imaginent fréquemment se livrer à une infâme débauche ou alors se pâmer devant son miroir... La réalité est toute autre et la voici!

Ouf, cette fois ça y est, c'est le grand jour: je vais faire mes nouvelles photos ! Je vais étrenner une nouvelle coiffure, de nouveaux faux-cils, mes nouvelles lentilles, un nouveau fond de teint... voilà une semaine que je n'en dors plus. J'espère avoir plus de chance que la dernière fois: il y a six semaines, tout était prêt quand mon jeune fils est tombé malade et que ma femme a dû le garder à la maison...

Non, décidément, cette fois, tout s'annonce bien. Les enfants sont dans une forme olympique, ma femme sera prise toute la journée par son travail, et moi j'ai déposé un congé de huit heures pour aujourd'hui. Hier, j'ai couru les magasins pour retrouver un nouveau déclencheur pneumatique pour mon appareil, ma femme ayant égaré le mien.

Il est sept heures du matin. Encore deux heures avant de pouvoir renaître, une fois encore. Je me rase soigneusement, de bien plus près que d'habitude; dame ! C'est que dans quelques instants, je n'aurai pas le temps de recommencer !

Sept heures quinze: Je prépare le déjeuner pour toute la famille, y compris le biberon du petit dernier.

Sept heures trente: je réveille tout le monde et nous commençons à déjeuner.

Sept heures quarante-cinq: j'habille ma grande fille, et je vais la conduire à l'autocar qui la conduit à son école. Quand je rentre, il est huit heures quinze.

Huit heures vingt: J'habille ma petite fille, et mon bébé. Je sors et les conduis à leur crèche. Pendant ce temps-là, ma femme finira de s'habiller et partira à son travail.

Huit heures quarante: Je reviens à la maison. Ma femme est partie; le champ est libre; la journée m'appartient...

Il est huit heures quarante-cinq: je sors toutes mes affaires de ma "penderie secrète", une par une. J'extrait péniblement ma valise à maquillage, mes coiffures et accessoires, mes chaussures, les tenues que je compte porter.

A neuf heures, je commence le repassage... Où diable ma femme a t'elle mis le fer à repasser ?

Neuf heures quinze: le repassage est fini; il faut que je fonce dans la salle de bains, pour me maquiller.

Neuf heures trente: Après m'être encore passée le rasoir électrique, par précaution, sur tous les endroits que je sais difficile, j'ai mis cinq minutes pour mettre ma lentille gauche, énervée comme je suis... Par contre, ce nouveau fond de teint est épatant. Pourvu qu'il en soit de même avec mes faux-cils !

Neuf heures quarante: Flûte ! Contrairement à mes anciens, ces faux-cils sont asymétriques, et je ne l'ai pas remarqué ! il faut que je les enlève et que je recommence à zéro.

Neuf heures quarante-cinq: le bouchon du microscopique tube de colle à faux-cils tombe dans l'évier; je ne peux pas le rattraper à temps: il disparaît dans la vidange.

Neuf heures cinquante: J'ai dû démonter le siphon pour le récupérer et reboucher mon tube. et naturellement j'ai perdu du temps en cherchant ma clef de 35.

Neuf heures cinquante-cinq: Je suis énervée ! Mon tube de colle, bien bouché, m'a échappé des mains et tombe dans les toilettes ! Calme-toi, Michèle, calme-toi.

Il est dix heures à présent: au fur et à mesure que j'avance, je me transforme, non seulement physiquement, mais aussi nerveusement et psychiquement. Je m'apaise, deviens plus précise, plus joyeuse... Je savoure l'odeur de mes produits, je m'en enivre. Je crois que je n'ai jamais fait d'aussi bon travail; il est vrai que je pars de tellement loin que je ne peux que m'améliorer. Je repense aux conseils de mes amies; je crois qu'elles seraient fières de moi.

Dix heures dix: je mets mes faux-seins dans mon soutien-gorge; ils sont froids; je frissonne mais je n'ai pas le choix: C'est une nouvelle paire parce que les anciens ont fondu sur le radiateur la dernière fois. j'ai dû laisser la fenêtre ouverte tout l'après midi pour dissiper l'odeur !

Dix heures quinze: Je mets mes bijoux, puis c'est l'instant décisif: je pose ma nouvelle coiffure; c'est le choc, une fois de plus. Qui suis-je ? Pourquoi ai-je besoin d'artifices pour être celle que je suis ? Je me gratifie d'un grand sourire: je n'ai pas le temps de philosopher, aujourd'hui; il faut que je mette en place mon matériel de photographie.

Dix heures trente: j'ai mis un quart d'heure à rassembler mon appareil photo, son support universel, mes objectifs, mon déclencheur à rallonge de 10 m... J'installe mon appareil sur le chevalet de ma femme; il me faut encore changer de place la grande glace de l'escalier, pour que je puisse voir quelle pose je prends, et le grand miroir de la salle de bains, pour mieux voir l'expression de mon visage. Avec de grands efforts, je les décroche, les transporte et les installe sur le chevalet, sous l'appareil photo. Cette fois, il semble que tout soit prêt.

Dix heures quarante: J'ai oublié de faire la mise au point. Je tends par terre des fils pour repérer le champ et règle le télémètre sur un lampadaire qui se tient à la place que j'occuperai. oui, un lampadaire, comme dans le sketch des Inconnus...

Dix heures cinquante: Je commence enfin mes prises de vues, tâchant de varier les poses, les tenues... Je suis obligée d'appuyer sur la poire avec la pointe d'un pied, ce n'est pas toujours commode !

Onze heures: j'avais oublié qu'il y a un feu rouge provisoire devant la maison: Me tenant devant la fenêtre, dépourvue de rideaux, je suis la cible des regards des automobilistes qui s'ennuient en attendant le vert. Ma foi, ils sont trop loin pour se douter de quoi que ce soit. Certains me font signe. Je me détourne en haussant les épaules: voilà qu'on est draguée chez soi, à présent ! Ah les c..., s'ils savaient! comme disait Daladier à son retour de Munich!

Midi: Ca n'avance pas ! Chaque fois que je change de position, il faut que je vérifie la distance et remette au point. Combien ai-je encore de robes à mettre, d'accessoires à combiner ? Et puis j'ai faim: tant pis; sauter un repas ne me fera aucun mal, justement.

Midi trente: Avec certaines robes, il me faut mettre un soutien-gorge sans bretelles; je vais le passer, remets en place mes seins-postiches, agréablement chauds maintenant. Quand je remonte l'escalier, je les sens agréablement sauter au rythme des marches.

Treize heures: je commence à fatiguer. Vérifiant mon maquillage dans le miroir, je m'aperçois qu'un léger raccord est nécessaire: les traits du crayon Khôl sont en train de diffuser. Je devrais renoncer définitivement au crayon au profit de l'eye-liner, qui tient mieux.

Treize heures dix: un peu de fond de teint, un peu de poudre, un peu de rouge à joues et je repars. Deux heures: J'ai fait vingt photos; il m'en reste quatre à prendre sur la pellicule. Je décide de changer de coiffure, et par conséquent de bijoux: retour à la salle de bains. J'en profite pour essayer un nouveau rouge à lèvres qui devrait bien aller avec cette teinte de cheveux.

Trois heures: Ca y est, c'est fini. Je suis épuisée et je meurs de faim. Il me faut tout remettre en ordre avant que ma femme n'arrive, dans deux heures précises. Avant tout, me démaquiller.

Trois heures quinze: Un quart d'heure pour retrouver mon dissolvant pour vernis à ongles: la peur de ma vie ! Heureusement, il est très efficace, et comme j'ai pris soin de laisser des bandes non vernies sur les côtés des ongles (un truc pour les faire paraître plus allongés), il ne me restera pas la moindre trace. Au tour du visage, à présent, qui doit redevenir le triste et banal visage de tous les jours. Je commence par enlever les faux-cils. Quel dommage !

Trois heures vingt-cinq: naturellement, je n'ai plus non plus de lait démaquillant ! Mais là, je pourrai faire face, en utilisant le lait de toilette de mon bébé, c'est la même chose... A regret, j'enlève ma coiffure. Est-ce que je rêve ? Il me semble être féminine même sans elle. Trois heures quarante: j'enlève toutes les couches et retrouve peu à peu celui que j'ai oublié avec tant de bonheur. Dire qu'il va falloir remettre ces pantalons ! Ca me dégoûte presque...

Trois heures cinquante: je vérifie soigneusement chaque zone de mon visage: il ne reste plus aucune trace de maquillage. Je soupire.

Quatre heures: Maintenant, il faut ranger mes affaires. Tout replier soigneusement et mettre à l'abri pour la prochaine fois. Avec tendresse et nostalgie (déjà !), je brosse mes perruques, les caresse et les replie comme il faut. Je soupire encore plus fort que tout à l'heure.

Quatre heures trente: tous mes vêtements sont rangés dans mes sacs de voyage, et je les replace un par un dans ma cachette. Ma femme doit revenir vers cinq heures, mais ma marge de sécurité (une demi-heure) est en train d'expirer; il faut absolument que dans un quart d'heure au maximum, toute la maison soit dans l'état dans lequel elle l'a laissée ce matin en partant.

Quatre heures quarante: j'ai remis en place la grande glace, le miroir, les tables, les chaises, le lampadaire, le chevalet. J'ai rangé mon matériel photo. Un dernier coup d'oeil m'assure que je n'ai rien oublié: avec les années, j'ai acquis le "coup d'oeil féminin" pour ce genre de choses !

Quatre heures cinquante: la clef tourne dans la serrure: c'est ma femme qui revient. Après cette journée, je me sens tendre envers elle et je vais l'accueillir.

Quatre heures cinquante-cinq: "Déjà là ? Tu as passé une bonne journée ?" me demande-t'elle. "Oh, une journée fantastique... " lui réponds-je, encore dans mes rêves, et tout en songeant à la prochaine.

Michèle-Anne

Michèle Anne Roncières, auteur et propriétaire de ce texte, s'en réserve, sauf accord express de sa part, tous les droits pour tous les pays et notamment en ce qui concerne les modifications ou la réécriture, totale ou partielle, ainsi que pour toutes les formes de diffusion et d'exploitation

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