Les conseils pratiques de Michèle Anne:
Aujourd'hui: "Comment acheter dans une boutique"

par Michèle Anne Roncières

Notre éternel problème, c'est bien connu, peut s'exprimer en ces termes: "Comment acheter des affaires de femme dans les magasins spécialisés sans que la jolie vendeuse se doute que c'est pour nous que nous les achetons ?". Car hélas, il faut bien en convenir, on ne trouve pas toujours tout par correspondance ! Aussi, voilà quelques astuces, fruit de presque quarante ans de réflexion, qui seront sans doute utiles à plus d'une.

A tout bien considérer, il semble qu'il suffise d'adopter un état, un comportement, une attitude tels qu'on ne puisse douter une seconde que vous êtes un homme véritable, viril à cent pour cent. Vous devez montrer que, de toute évidence, vous êtes un mâle, un vrai, et cela à tel point que soupçonner, ne fut-ce que le temps d'un éclair, que vous avez la moindre parcelle de féminité à exprimer relève d'un désordre mental majeur aussi bien qu'irrémédiable.

Oui, me direz-vous, mais comment ? Rien n'est plus simple; encore cela suppose-t'il parfois une petite préparation, une mise en condition physique aussi bien que psychologique. Voici la clef qui vous ouvrira la porte des lieux les plus difficiles à investir: Oubliez la femme que vous êtes au fond de vous-même, banissez-en toute trace dans votre personne; et lâchez complètement la bride à votre partie masculine.

Facile à dire ? Enfantin à suivre ! Voici quelques exemples:

Vous m'accorderez volontiers, je pense, que tout ce qui touche au soin de la personne est féminin par nature, cela est bien connu et d'ailleurs évident. Aussi, bannissez-les absolument: ne vous rasez pas pendant trois semaines avant la date projetée de votre achat; mieux, ne vous lavez plus, ni les mains, ni les cheveux, ni les pieds, ni le reste, pendant les six mois précédant celle-ci: finis les déodorants et autres après-rasages qui font tellement minets efféminés !

Je peux vous garantir que lorsque vous entrerez dans une boutique de lingerie fine, la barbe tachée des reliefs de vos repas antérieurs, les cheveux raides de crasse, et précédé d'un infâme remugle musqué, personne ne croira jamais que vous venez acheter pour vous !

De ce point de vue, plus vous serez ignoble, mieux ce sera: n'hésitez pas à revêtir en plus de tout cela des hardes dignes d'un clochard et d'ingurgiter juste avant quelques litres de vin rouge mêlé de saucisson à l'ail: si vous parvenez, dans cet état, à entrer dans la boutique de vos rêves, saisissez n'importe quoi au vol et au hasard: le seul souci du personnel sera de vous mettre à la porte, et on ne voudra certainement pas reprendre ce que vous aurez touché de vos gros doigts noirs et graisseux. Avec un peu de chance, vous pourez attraper un body de dentelle, une parure complète, que sais-je ? Il vous suffira de vous faire désinfecter, épouiller et nettoyer soigneusement par les services spécialisés des hôpitaux, et, rentrée chez vous, vous pourrez contempler votre acquisition avec la satisfaction, la joie et la fierté de celle qui a su mener à bien une opération délicate.

Ceci, c'est la manoeuvre de base, l'oubli de votre personnalité féminine, délicate et distinguée. Vous auriez grand avantage également à cultiver le comportement masculin. La vulgarité, la grossièreté et la muflerie, par exemple, sont masculines par essence: n'hésitez pas à en user, voire à en abuser.

Commencez donc par cracher par terre, en entrant dans la boutique, en guise de salut, les mains dans les poches, et continuez en dénigrant la marchandise et les femmes auxquelles elles sont destinées, sans oublier d'adopter le niveau de langage de la brute que vous devez être à dessein à ce moment là: quelque chose comme "Z'auriez pas de ces trucs pour gonzesses qu'elles se foutent sur la tronche pour avoir plein de couleurs dessus ? Ouais, du maquillage, c'est ça.". Un léger rot entre chaque phrase témoignera que vous venez de vider quelques canettes de bière en regardant un march de foot, occupation majeure de tout mâle digne de ce nom.

Surtout, ne désignez rien avec précision: un vrai mec ignore non seulement ce que sont les fards, les bonnets, les chouchoux, les crèmes de jour et les serres-tête, mais jusqu'à ces termes eux-mêmes: les seuls vocables de "truc", de "machin" et de "bidule" serviront amplement à désigner ce que vous cherchez, pourvu que vous puissiez en indiquer une utilisation approximative. Et ne parlons pas des griffes ni des tailles: il est impensable, je répète, absolument impensable, que vous demandiez le "dernier de chez Lejaby, en Bonnet B, Taille 85, couleur chair" ou "si ce tailleur de chez Lazzaro que vous avez en vitrine, il existe en 57 ?" (Notez la subtile méconaissance des tailles). Pour donner une idée des tailles, justement, faites plutôt des gestes: "Elle est grande comme ça (mettez habilement votre main au niveau de votre front), grosse comme ça (encadrez non moins habilement votre propre embonpoint)"; Pour la poitrine, n'oubliez surtout pas de prendre la vendeuse (ou l'une de ses collègues) comme référence, en lui balançant en pleine figure un bon gros compliment bien balourd et bien ringard, appuyé d'un regard plombé de tels sous-entendus qu' il est impossible de ne pas les entendre ! Un homme authentique comme celui que vous voulez paraître ne peut pas laisser passer une telle occasion.

Bien entendu, vous pouvez donner en passant pour votre achat autant d'explications qu'il vous semblera nécessaire, en veillant toutefois à ce qu'elles accréditent votre personnage; par exemple, si vous achetez un soutien-gorge, claironnez vaillamment: "C'est pour mettre au rétro d'mon bahut, pour faire bicher un pote !" en précisant "Mon bahut c'est un trente-huit tonnes, faut pas être une mauviette pour conduire ça ! D'ailleurs j'emballe toutes les auto-stoppeuses que j'veux avec, mais elles veulent jamais m'laisser leurs trucs en souv'nir, alors mon copain Roger y veut jamais m'croire, avec ça y s'ra bien obligé pas vrai ?", ce qui donnera de votre bon goût, de votre éducation et de vos passe-temps, l'exact reflet de ceux d'un mâle bon teint.

Enfin, paraissez extrêmement surprise devant l'importance des prix qu'on vous annonce, et dont vous n'êtes pas censée non plus avoir une idée de l'ordre de grandeur: n'hésitez pas à manifester bruyamment votre étonnement scandalisé, voire votre réprobation bougonne: un "Quoi ? Trois cent balles pour c'truc là ? Vous rigolez ?" sera à ce titre du meilleur effet possible. Bien entendu, tout ceci n'est qu'un exposé succint de petits trucs de base: vous êtes libres de les développer, de les perfectionner, de les fignoler autant qu'il vous plaira. Ainsi, une astuce radicale, et que je trouve particulièrement fine, pour éviter toute équivoque, est de tout acheter cinq ou six tailles en dessous de la vôtre: par exemple, du 36 si vous faites du 48 ! Naturellement, il vous sera rigoureusement impossible de rentrer dedans, mais votre objectif aura quand même été atteint: vous aurez brillamment réussi votre achat et feinté la vendeuse avec un brio qui vous vaudra bien des jalousies dans notre petit monde, qui reste si souvent, hélas, à la porte des boutiques qu 'il convoite.

Et à qui qu'on dit Merci pour les bons trucs ?

Merci Michèle Anne !

Michèle Anne Roncières, auteur et propriétaire de ce texte, s'en réserve, sauf accord express de sa part, tous les droits pour tous les pays et notamment en ce qui concerne les modifications ou la réécriture, totale ou partielle, ainsi que pour toutes les formes de diffusion et d'exploitation

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